Ludivine Sagnier : "J’ai besoin que mes personnages soient plus difficiles à composer"
Depuis ses débuts, elle n'a jamais déçu. Actrice subtile, au jeu fin et sensible, Ludivine Sagnier construit une carrière impressionnante. Rencontre entre deux actualités.
Photographie LOUISE MEYLAN
Stylisme JENNIFER EYMÈRE
L’OFFICIEL : Est-ce que tu attends autre chose d’un rôle qu’à tes débuts?
LUDIVINE SAGNIER : Le point commun entre mes choix, c’est le réalisateur. J’ai besoin de savoir avec qui je vais travailler avant de lire le scénario. Les personnages que je recherche ne sont pas les mêmes. J’ai envie de faire quelque chose que je n’ai pas fait avant, d’un défi. J’ai besoin que les personnages soient plus complexes, difficiles à composer, de me dépasser et de m’amuser. J’ai aussi une conscience de mes acquis, mon travail au sein de l’école de cinéma montée par le collectif Kourtrajmé m’a aidée, à travers la transmission, à mieux me connaître comme actrice, à prendre conscience de mes forces et de mes lacunes. Je suis de plus en plus expérimentée, et j’éprouve la nécessité d’affronter des défis à chaque fois plus exigeants.
L’O: C’est presque une approche sportive...
LS: Presque! Ces derniers temps j’ai aussi beaucoup travaillé en anglais, et le défi de la langue est important, c’est un autre rapport à la prononciation, au rythme, le travail sur l’accent est essentiel.
L’O: Tu as travaillé en italien, en anglais, en français. Qu’est-ce que ça modifie dans ton approche globale?
LS: J’adore, mais cela demande plus de travail. Je répète deux à trois fois plus, cela demande beaucoup de rigueur. C’est plus long, car il s’agit de trouver le bon accent et de la spontanéité. C’est super gratifiant quand j’y arrive! Ce travail de minutie permet aussi d’arriver à un autre niveau de jeu, de travailler sur les silences, les ruptures, cela amène une technique nouvelle.
L’O: Tu fais beaucoup de recherches sur tes rôles en amont des tournages ?
LS: J’ai eu la chance de jouer des personnages historiques, comme Diane de Poitiers dans The Serpent Queen. Je ne connaissais pas grand chose au xvie siècle, et maintenant je pourrais presque soutenir une thèse sur la cour de Catherine de Médicis, de François 1er et de Henri II! J’ai travaillé avec des historiens pour dénicher des éléments de vie afin de nourrir mon rôle. Dans Franklin (avec Michael Douglas, à venir sur Apple TV+), je joue une pianiste, j’ai donc dû me mettre au piano et lire la correspondance assez abondante laissée par Benjamin Franklin. Cet aspect académique me plaît beaucoup. J’ai commencé à travailler très jeune, et j’ai toujours été un peu frustrée de n’avoir pas fait d’études longues.
L’O: Tu mets du temps à trouver la voix de ces rôles ?
LS: Je me nourris des musiques de l’époque, et je travaille sur la posture et la mobilité. La part de la créativité de l’acteur, de l’actrice, n’est pas forcément dans le texte, ni dans l’image, mais dans ses intentions qui disent sa vision du monde. Une fois qu’on est précis sur les intentions, leurs nuances, leurs contradictions, la voix s’impose.
L’O: Tu lis beaucoup de textes sur l ’art du jeu ?
LS: J’ai beaucoup lu Michel Bouquet, Louis Jouvet, Michael Chekhov... Mais j’en apprends autant en lisant l’autobiographie de Liv Ullmann, Devenir. Je ne suis pas tellement dans la théorie. À l’école de Kourtrajmé, j’ai un responsable pédagogique qui donne les cours, qui est très l’aise avec cette dimension. J’ai l’impression d’avoir davantage appris de manière instinctive, je commence à verbaliser ces acquis-là, qui viennent étayer ses propos.
L’O: Forte de tous ces acquis, justement, tu te sens plus en mesure d’imposer ta vision aux cinéastes ?
LS: Oui, mais ce n’est pas toujours évident, parce que quand je travaille avec des maîtres comme Sorrentino (pour la série The Young Pope, en 2016), ou Kore-eda (La Vérité, 2019), mon humilité m’empêche d’avoir cet aplomb... Il n’empêche que je sais m’imposer, ce que je n’aurais jamais fait il y a vingt ans, j’étais totalement passive. Ce n’est pas que je doute moins, mais c’est comme si les convictions s’imposaient aux doutes...
L’O: Cela fait trois ans maintenant que tu es impliquée dans l’école montée par Kourtrajmé à Montfermeil, tu peux nous en parler ?
LS: J’ai créé sa section acteurs. C’est une école gratuite, pour celles et ceux qui n’ont pas eu accès à une formation digne de ce nom, elle est donc plutôt destinée à des gens d’origine sociale plutôt modeste, et qui représentent ainsi la diversité de la société française. On sort une petite promotion tous les ans, d’une quinzaine de personnes. C’est réjouissant. La dimension sociale rejoint la dimension artistique. Le groupe forme une matière vivante, mouvante, on aide ces élèves à accoucher de leur identité d’artiste. Ensuite, on les accompagne au travers de partenariats avec des directeurs-trices de castings.
L’O: Tu as aussi animé des ateliers en prison, est-ce toujours d’actualité ?
LS: Non, administrativement, c’est trop lourd. Mais c’était une première étape dans mon envie de m’impliquer dans la transmission, d’être un pont entre une jeunesse précaire et un environnement artistique qui semble inaccessible. J’aime bien l’idée d’être sur le terrain, de faire plutôt que de dire, d’agir, pour voir les choses bouger.
L'O: Peux-tu revenir sur ton spectacle seule en scène, l’adaptation du livre Le Consentement de Vanessa Springora ?
LS: C’était un projet solo qui était plus intime. Sébastien Davis, le directeur de la pédagogie de l’école Kourtrajmé, m’a mise en scène. C’est important de sortir de sa zone de confort. J’avais une peur panique d’être seule sur scène, même si j’ai un batteur avec moi. On a essayé de faire honneur à son texte et à son parcours.
L'O: Est-ce que Lupin a changé quelque chose à ta carrière ?
LS: Je garde toujours un œil sur les projets qui peuvent plaire à mes enfants. C’est aussi un immense plaisir de jouer avec Omar Sy. Je ne m’attendais pas du tout à un tel succès à l’international, cela m’a donné accès aux deux séries américaines que j’ai faites dans la foulée.
L’O: Tu te nourris de quoi quand tu ne tournes pas ?
LS: Je regarde beaucoup de classiques des années 40, 50 sur LaCinetek. Les Clouzot, Duvivier, Renoir ou Douglas Sirk, Dreyer.
L’O: Quels sont les projets qui ont le plus marqué ton rapport au jeu ?
LS: Quand j’avais 15 ans, avoir doublé Natalie Portman dans Léon. Travailler sous la direction de Besson était incroyable, c’est un formidable directeur d’acteurs. Les rencontres avec François Ozon et Claude Miller aussi. Le Consentement. Et récemment, The Serpent Queen, parce que travailler sur une série permet de développer son personnage.
L’O:Avec l’expérience,tu es en paix avec l’idée d’être constamment jugée?
LS : C’est toujours éprouvant, mais avec le temps on développe des outils de distanciation.
L’O: Et les prochains défis ?
LS: Produire un film. Je suis productrice associée sur le film de mon mari, Kim Chapiron, Le Jeune Imam (en salles depuis le 26 avril). C’est un premier pas. J’aime l’idée d’avoir une vision d’ensemble d’un projet, de gérer des talents, de conseiller, de soutenir.
Actualités : The Serpent Queen disponible sur StarzPlay.
À venir : la 3e saison de Lupin sur Netflix, le 5 octobre. La minisérie Benjamin sur Apple TV +.
La reprise du spectacle Le Consentement, à Paris au Théâtre du Rond-Point, est prévue pour l’année prochaine
COIFFURE Rudy Marmet
MAQUILLAGE Fred Marin
OPÉRATEUR DIGITAL Frédéric Zara
ASSISTANT PHOTO Thomas Reynaud
ASSISTANT STYLISME Kenzia Bengel de Vaulx