Pop Culture

Rencontre avec Etienne Daho, idole pop toujours moderne

Avec son splendide nouvel album, Etienne Daho poursuit sa carrière exemplaire, avec des chansons grandioses et romanesques. Deux mois avant sa sortie, il avait fait confiance à L’Officiel Hommes pour en dévoiler ses secrets. Voici une version longue de notre rencontre.

Photographie : Pierre-Ange Carlotti. Stylisme : Barbara Loison. Vêtements : Celine par Hedi Slimane.
Photographie : Pierre-Ange Carlotti. Stylisme : Barbara Loison. Vêtements : Celine par Hedi Slimane.

Comment raconter trente ans de compagnonnage avec un chanteur sans parler un peu de soi ? Disons que dès Paris, Ailleurs, nous y entendions ce qu’on n’entendait pas dans la chanson d’ici, un souci pop qui ne faisait pas de compromis, un geste singulier, une voix qui s’adressait à tous et toutes, mais dans laquelle on entendait des confidences à nous seuls destinées. Ses entretiens, secrets et généreux, ouvraient des brèches vers d’autres mondes. Qui d’autre, alors, remplissait les plus grandes salles françaises, évoquait The Velvet Underground, Young Marble Giants (pour ceux et celles que ça intéresse, Paris, le Flore est une délicieuse déclinaison de Love at First Sight, signée en 1982 par Stuart Moxham, pour son deuxième groupe The Gist, après la dissolution des Young Marble Giants, fin de la parenthèse nerd…), The Jesus & Mary Chain, Syd Barrett, Nico, pour nous inviter dans son univers, donnant au nôtre une nouvelle dimension, plus riche et déroutante, nous présentant des artistes qui deviendront des ami-e-s pour la vie ? Ses albums ne décevaient jamais, avaient la vertu d’avancer sans se retourner sur les triomphes du passé, nous accompagnant fidèlement au rythme des battements incertains parfois d’une vie. Quand un concert s’achève, la tradition veut que le chanteur, la chanteuse, remercie le public - profitons de l’occasion pour le remercier ici d'avoir affûté les plus belles chansons de la pop française. C’est peu dire que Tirer la nuit sur les étoiles est un éblouissement, mis sur orbite par un exquis duo avec Vanessa Paradis donnant son titre au disque. Il dessine en douze chansons, un paysage sensuel, aux contours organiques, presque érotiques, tracés au plus près des épidermes. Il s’en dégage une douce phosphorescence, d’où s’échapperaient des fusées dynamitant les sens. Entre embardées pulsées par un cœur enjoué et ballades déposées à nos pieds par une âme inquiète, sereine aussi, le disque, porté par une voix exceptionnelle d’assurance, de nuances, de délicatesse, soulignée par des arrangements exceptionnels, évoquant les miniatures exquises composées par le regretté Burt Bacharach, est à écouter les yeux fermés (sauf si vous pilotez un avion), ou la soul soignée et soyeuse des années 70, celle d’un Isaac Hayes, par exemple.  Sa puissance évocatrice convoque visions et récits, à recomposer selon ses propres histoires, tant les paroles laissent ouvert le champ de tous les possibles. Sa grande beauté - à l’instar des disques qui ne nous abandonnent jamais - tient autant à ce qu’il nous offre un autoportrait de l’artiste, qu’au miroir tendu. Un phare.

 Quand revient l’envie de faire un nouvel album ?

 Pour celui-ci, je suis passé par trois étapes. D’abord la réédition d’Eden en 2019, pour laquelle il y avait beaucoup de travail, pour remettre à la lumière du jour des choses qui autrement seraient restées pour toujours dans l’obscurité. Ensuite, j’ai retrouvé Jane Birkin, pour faire son album, Oh Pardon, Tu Dormais (2020), et travailler sur sa tournée. C’est un processus aussi long que de faire un disque pour soi, c’était beaucoup de temps, d’amour. On partait d’une pièce de théâtre qu’elle avait écrit. J’aime beaucoup sa langue, ses trouvailles, qui sont tellement poétiques. Il fallait faire de la pièce des chansons, c’était passionnant. Ensuite, il y a un projet avec Italoconnection, qui fait de l’italo-disco, pour le titre Virus X, qui parlait à la fois de relations toxiques et la période marquée par le virus que nous avons tous traversé. Tous ces projets m’ont permis de laisser maturer autre chose, de laisser les idées se préciser. Après, c’est allé assez vite…

Il y a aussi eu la parution de ton album de reprises, Surf (2020), qui te tenait particulièrement à cœur, puis le Secret Book (avec Sylvie Coma, Editions de la Martinière, 2022), deux autres façons de revenir sur ton passé… C’était pour mieux redémarrer ?

 Je revenais sur mes pas, je suis repassé d’un point zéro jusqu’à maintenant. Le livre regroupait des archives très personnelles. C’était assez agréable, il n’y a rien que je puisse renier, chaque addition de ces petits moments fait sens. Cela m’a permis de me sentir si bien aujourd’hui, même s’il y a toujours une base d’intranquillité. Il y a aussi eu une collection avec Saint James. Tous ces pas de côté font du bien, j’en ai besoin pour de nouveau avoir envie. Cela fait tellement longtemps que je fais de la musique qu’il est essentiel qu’elle soit préservée.Je voulais vraiment faire Surf. Je trouve que dans une belle discographie, il faut un disque de reprises, un disque pour enfants - ça, je l’ai fait aussi avec Le Vilain Petit Canard (2020, avec Arnaud Valois et Sandra Gaudin), et un disque de Noël…Pendant le confinement, je triais mes disques durs, et il y en avait un marqué «vide », et tout Surf était dessus, alors que je croyais les bandes perdues. Son succès a été comme une réparation pour moi. J’aime tellement les chansons que je reprends dessus, elles sont en moi pour toujours. 

 Quel est le point de départ de cet album ?

J’ai passé beaucoup de temps en Bretagne ce qui m’a reconnecté à mon deuxième album, La Notte, qui avait écrit dans ce même environnement iodé, dans une ambiance assez nocturne. J’aurais du mal à décrire son style, il est né de plein d’envies différentes. Il fallait trouver un équilibre entre elles. Je travaille toujours avec le même cadre : l’image de la pochette que j’ai en tête, un titre et l’ordre du disque. Je comble ce qui me semble manquer en termes de tempos et d’intentions. C’est comme un puzzle. 

D’où vient justement ce titre ? 

D’un documentaire sur Ava Gardner, où elle parle de son histoire d’amour avec Sinatra, et de cette nuit où, un peu ivres, ils étaient dans le désert à tirer des coups de revolver dans le ciel. J’aime cette image de la folie du sentiment amoureux. 

 Tu travailles comment avec tes équipes ? Tu leur fais écouter de la musique en référence ?

 Oui, ce que j’écoute moi-même, et je partage notamment des sons de batterie, de basse. La créativité c’est de faire siennes d’autres sources, c’est l’art de la transformation en quelque chose qui devient son propre style.

 Et en l’occurrence, quelles étaient ces sources ?

 Beaucoup de soul, toujours. Notamment pour l’assise rythmique et l’articulation avec le chant. En studio, je chante systématiquement en écoutant la basse et le pied de batterie, y compris pour les ballades. Si j’ai l’articulation, je sais me placer, tout va bien, sinon, je n’arrive pas à chanter. Je chante toujours les lignes de basse au bassiste, c’est comme une seconde mélodie, qui va donner une forme, donner à la voix tous ses appuis, ses inflexions. J’ai besoin de sentir ce groove perpétuel, même s’il est lent. J’ai toujours été très marqué par Dionne Warwick, dont ma mère avait deux disques qu’on écoutait en boucle, et les arrangements de Burt Bacharach, auxquels j’ai pensé pour Boyfriend. Il y a mille définitions de la pop, mais rendre simple quelque chose de très sophistiqué, de garder un haut niveau d’exigence en restant accessible, peut en être une. 

 Il y a beaucoup de voix féminines, de Jade Vincent à Vanessa Paradis. C’était un parti pris dès l’origine ? 

Totalement. Surtout Jade Vincent, je suis tombé amoureux de son groupe, Unloved, il est dans ma vie amicale, artistique. C’est à la fois aventureux, tortueux, et parfois avec un impact immédiat. Sur l’album, ils ont travaillé sur Boyfriend et Comme des Aimants, et Jade chante avec moi sur I’ve Been Thinking About You. Quand j’ai écrit la chanson qui donne son titre au disque, j’avais la voix de Vanessa en tête. C’était l’occasion de se retrouver, et j’aimais bien l’idée d’ouvrir avec ce titre tonitruant.

 La construction du disque a un aspect très cinématographique

Je voulais proposer un voyage, comme si je prenais quelqu’un par la main dès la première chanson pour l’emmener quelque part et l’emmener jusqu’à la fin. 

Tu as l’impression que tes chansons se répondent au fil des années ?

C’est possible…L’inspiration fait des boucles temporelles. Par goût, je fais des disques différents des précédents. Mais on ne s’éloigne jamais vraiment très loin de sa matière première, on écrit toujours la même chanson, avec des habits différents, des éclairages différents, en essayant de faire toujours mieux.

Est-ce que le « je » de tes chansons, est toujours toi, ou adoptes-tu parfois des points de vue fictifs ?

C’est surtout moi. Le déclenchement, c’est ce qui me pique, une émotion qui déclenche une mélodie avec les mots qui s’y glissent, sans que j’ai trop à y réfléchir. Je suis fait pour ça.  

Une fois le processus lancé, tu travailles rigoureusement, ou tu laisses venir l’inspiration ?

Il y a un moment où je sens qu’il faut se mettre au travail. Il faut s’imposer une discipline, au moins pour les textes, sur lesquels je peux travailler pendant des heures, avec régularité, intensité. J’essaie d’écrire des paroles rythmiques, parce que j’ai encore des sons pop ou soul à l’esprit, et que l’anglais dans le format de la chanson ne fonctionne pas du tout comme le français. Cela demande beaucoup de temps…J’en bave parfois pour que cela soit fluide. 

Est-ce que regrettes certaines chansons, parce qu’elles disaient trop de toi ?

J’ai regretté d’avoir publié Boulevard des Capucines. Il y a eu un malentendu, les gens pensaient que je regardais la façade de l’Olympia, et que je me projetais à la place de l’artiste qui était annoncé. Je ne pouvais pas laisser la chanson si peu comprise, mais je savais que dévoiler ses ressorts allait mettre toute l’attention sur eux et moins sur l’album. Alors que c’est une chanson sur le pardon, c’est un chemin de victoire. J’ai eu la sensation que les gens entraient dans mon intimité, mais par la mauvaise porte. Je ne regrette plus son existence, je suis sorti de mon histoire, pour ressentir son universalité. C’est ça la pop : l’émotion que l’on perçoit, pas ce qu’elle raconte. 

Il y a un aspect très bienveillant dans tes chansons.

J’ai découvert que je pouvais écrire sur l’apaisement, sans ce que cela enlève de l’intensité. Boyfriend témoigne, je crois, de cette capacité à réconforter. 

Est-ce que tu rêves de musique ?

Pas souvent, mais c’est arrivé que je me réveille avec l’intégralité d’une chanson. Bleu Comme Toi est arrivée d’un coup au matin, ou Au Commencement, de purs produits de mes rêves. 

La dimension spirituelle est aussi très prégnante dans le disque…

Cela vient de la soul. Elle ne m’a jamais quitté, depuis mon enfance, je connaissais tous les tubes sur le bout du doigt. Les Supremes, OV Wright, Al Green, Smokey Robinson, les Four Tops…Ecrire des chansons c’est être connecté à quelque chose que tu ne connais pas, c’est un mystère que je ne veux pas comprendre. Je ressens tout, très fortement, trop, parfois. J’ai l’impression de ne pas avoir de peau. Quand tu es un artiste, tu avales le monde et tu le restitues avec ta sensibilité. Tout ce que l’on capture, les amitiés, les amours, devient éternel grâce aux chansons, c’est merveilleux. 

Tirer la Nuit sur les Etoiles (Barclay). Sortie le 12 mai.

En tournée française à partir du 4 novembre, et en concert à L’Accor Arena de Paris le 22 décembre.

Toutes les dates de la tournée sont à retrouver sur  https://dahofficial.com

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Photographie : Pierre-Ange Carlotti. Stylisme : Barbara Loison. Vêtements : Celine par Hedi Slimane.
Photographie : Pierre-Ange Carlotti. Stylisme : Barbara Loison. Vêtements : Celine par Hedi Slimane. Chaussures : Creepers
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