Quel livre offrir aux fans d'Etienne Daho ?
Pop star, certes, mélomane passionné et généreux, mais aussi pudique que créatif, le chanteur se dévoile rarement. Ce magnifique recueil de textes et de photographies nous en dit un peu plus…
Que sait-on d’une star ? Seulement ce qu’elle veut bien donner à voir : tout, rien, ou les masques qu’elle choisit de porter. Dans ce registre-là, David Bowie était aussi un génie, pour s’inventer des personnages, de Ziggy Stardust au Thin White Duke, en passant Halloween Jack il imaginait des personnalités sur mesure, au fil des projets, des disques. Dans une tonalité elliptique, disons, Bob Dylan sait pareillement brouiller les pistes. Plus proche de nous, satellisé jeune par ses tubes, Etienne Daho a pu se sentir dépassé par une célébrité phagocytant le temps et l'espace autour de soi soudain rétréci. Pour s’en protéger, longtemps, il livrait peu de lui-même, ou par touches impressionnistes délicates, ainsi dans la terrassante Boulevard des Capucines, chanson tellement personnelle qu’elle a disparu de son répertoire scénique, comme si cette soudaine impudeur, elle aussi, le dépassait. Dans les entretiens donnés au fil des ans, c’est surtout, et magnifiquement, de musique dont il est question, partageant ses passions avec le grand public, évoquant Nick Drake, The Byrds, The Jesus & Mary Chain, Mazzy Star, The Velvet Underground avec générosité, offrant l'accès à une cave abritant des trésors méconnus. Toute une génération lui est ainsi reconnaissante de cette vocation de passeur, sensible dès le disque Pop Satori, où il reprenait, en une sublime version, Late Night, de Syd Barrett (à ce jour, des frissons nous parcourent encore au souvenir de ce soir de novembre 2006 à L’Olympia, où il avait repris l’album dans son intégralité à l’occasion du vingtième anniversaire de sa parution.) Alors que se profile un nouvel album, dont l’on ne connaît pour l’instant que son nom, déjà hypnotique, Tirer la nuit sur les étoiles, un magnifique recueil de photographies et de textes dessine moins une autobiographie qu’un autoportrait tel qu’un miroir changeant de forme au fil des ans le reflèterait. On retrouve dans ce livre un peu plus que ses secrets, sa passion pour la musique, dévorante mais surtout essence pour alimenter le feu créatif, sa loyauté aux ami-e-s (Elli Medeiros, qui signe une belle préface, Jacno, le disparu, entres autres), les rencontres renversantes (Jeanne Moreau, Jane Birkin, Dani), sa bienveillance pour les musicien-ne-s grandi-e-s au son de ses chansons (Dominique A., par exemple, ou Clara Luciani), la curiosité pour ses contemporains (le groupe Unloved, qui a travaillé avec lui sur le dernier album en date, Blitz), son goût pour la mode (ses costumes de scène, dessinés par Hedi Slimane en 2014 et 2019 témoignent autant d’un regard attentif que de son amitié pour le directeur artistique de la maison Celine). Rythmé par des archives personnelles, photographies, coupures de presse, lettres, le récit de sa vie, mené avec délicatesse par une amie de ses années lycéennes, la journaliste Sylvie Coma, raconte un artiste qui de son succès a fait des armes pour sa liberté créative, là où d’autres, peut-être, auraient été aspiré-e-s par les contraintes inhérentes à la popularité. Il n’élude rien des envolées soudaines et des crashs traumatisants, de cette vie entre haute voltige et bitume qui blesse, éloges dorés et rumeurs immondes. Intelligemment construit, suivant la discographie pour mieux faire des pas de côté, jeter un coup d’œil par dessus l’épaule pour reconnaître des souvenirs vifs, retrouver des images à l’éclat intact, le texte capte avec justesse cette mélancolie habillée de légèreté - à moins qu’il ne s’agisse de l’inverse ? Personnel et sincère, sans narcissisme, A Secret Book jette une lumière neuve sur une pop star - au sens le plus noble du terme -, inscrite dans notre imaginaire collectif, et qui, du Grand Sommeil jusqu’aux Flocons de l’été, en passant par la sublime adaptation, en compagnie de la grande Jeanne Moreau, du poème de Jean Genet, Sur Mon Cou, a tôt compris que la singularité, les failles, les souvenirs, la curiosité, la combativité aussi, façonneraient un imaginaire unique. N’appartenant qu’à lui, il nous ouvre, ici ou dans ses disques, la porte, une fenêtre, laissant tout l’espace pour s’y installer, y voir et entendre ce qui, chacun-e différemment, nous regarde, nous parle, nous enchante.
Etienne Daho et Sophie Coma : A Secret Book (Editions de La Martinère, 384 pages, 49,90€)