Pourquoi il faut absolument regarder le documentaire sur The Velvet Underground
Immersion vertigineuse au cœur de la centrifugeuse new-yorkaise des années 60, plongée enivrante dans ce bain bouillonnant des expériences sans frontière ni œillère, qui a permis au fabuleux groupe The Velvet Underground d’advenir sous l’impulsion d’Andy Warhol, ce documentaire signé par le toujours passionnant cinéaste Todd Haynes fera date.
Aviez-vous vu l’exposition parisienne consacrée au Velvet Underground à la Cité de la Musique ?
J’avais vu sa version new-yorkaise. Son commissaire, Christian Fevret, un proche de John Cale, m’a ouvert plein de portes. Il a été d’une grande aide et d’une grande générosité.
Quand et comment avez-vous découvert le Velvet Underground ?
J’ai commencé à les écouter au lycée, tout le monde en parlait. Mais pour ce qui est de la façon dont je les ai vraiment découverts, c’est plus compliqué. Quand vous prenez conscience qu’il y a un univers artistique singulier à portée de main, il faut parfois plus de temps pour s’y plonger vraiment. J’écoutais Bowie, Roxy Music, Patti Smith, du punk, je connaissais surtout leurs chansons par les reprises que Bowie en a faites. Que le Velvet arrive dans ma vie était inéluctable.
La vie du groupe, en tout cas sa naissance, était inextricablement liée à la scène artistique new-yorkaise, avec bien sûr le rôle fondamental joué par Warhol et la Factory. Est-ce que cet aspect-là de leur trajectoire a contribué à l’intérêt que vous leur portiez ?
C’était surtout leur premier album, les chansons, ce qu’elles transmettaient, leur message musical, qui a été l’élément déclencheur. Je m’y sentais profondément lié, créativement, je m’y trouvais. Sans même lire les paroles, je me sentais concerné directement. Le rapport à l’identité, à la transgression, au processus créatif, m’a fait comprendre quelque chose : créer n’est pas toujours agréable, heureux, épanouissant, sain. Il faut savoir sortir de soi des sensations pas forcément gratifiantes. Tout ce qui entourait le groupe, l’approche expérimentale qui touchait tous les arts à ce moment, le refus des conventions.que vous évoquez, s’est imposé à moi plus tardivement.
Vous évitez les clichés liés au groupe, la drogue, les aventures sentimentales…
Il y avait beaucoup à raconter, mais je tenais surtout à ce que la musique et les images se chargent de la narration, à ne pas surcharger le récit en anecdotes, ou suivre un fil narratif rigoureux. J’ai renoncé à certaines histoires intéressantes mais je voulais vraiment que les spectateurs soient assaillis, dérangés, par la musique. Pour ce qui est des drogues, bien sûr qu’ils en prenaient, mais pour travailler, c’était une méthode pour s’isoler du monde, ou pour intensifier leur rejet de leur époque. Par exemple, ils s’intéressaient beaucoup à Dylan mais faisaient semblant de le haïr. C’était très punk de leur part.
On entend pas une seule chanson en intégralité avant la deuxième heure du film…
J’en suis très fier ! On sème des indices pendant une heure, mais surtout pour vous faire oublier le sujet du documentaire, pour faire monter la pression, et quand vous entendez enfin Venus in Furs, c’est une grande claque pour vous le rappeler.
Etait-ce paradoxalement libérateur pour construire votre film que deux des membres fondateurs, dont Lou Reed, notoirement difficile à interviewer, soient morts ?
S’il avait été en vie, j’aurais eu envie de le rencontrer, pas comme journaliste, mais en tant que cinéaste, peut-être que j’aurais obtenu ainsi un point de vue unique, honnête. Ou qu’il m’aurait opposé de la résistance, mais cela aussi aurait été intéressant. Il est incontestable qu’il était aussi brillant que tourmenté. Mais je ne voulais pas me servir d’archives d’interviews de lui, à part celles où on le voit avec Warhol, ou les images du concert de 1972 au Bataclan avec John Cale et Nico.
Comment avez-vous choisi vos témoignages ?
J’aspirais à revenir à l’esprit de cette époque, pas à accumuler des témoignages répétant à quel point ce groupe était extraordinaire. Je voulais interviewer des artistes ayant activement participé à cette scène, musicale ou artistique, où l’expérimentation était au centre de tout. Une des évidences, c’était le cinéaste Jonas Mekas, ou le musicien La Monte Young. Ou ecnore le chanteur Jonathan Richman, qui a dû les voir 70 fois en concert ! De même, je n’ai pas interviewé de journalistes rock, parce qu’ils s’intéressaient pas alors au groupe, ce n’est que plus tard que le Velvet est devenu l’objet de leur attention. Et je ne voulais pas que le film parle d’autre chose que de ce moment précis où le groupe a existé.
Le film évoque aussi une sculpture, taillée dans des heures et des heures d’archives. Le travail de montage a-t-il été essentiel ?
Avec mon équipe, nous avons travaillé sur le film entre le moment où l’époque Trump arrivait à son terme et alors que le Covid était en train de tout bouleverser. Nous nous plongions dans ce monde incroyable avec une démarche instinctive. Ma seule certitude était que je voulais absolument jouer sur les split-screens, dans la plus pure tradition Warholienne. Nous voulions expérimenter avec la forme du documentaire musical, s’éloigner des codes stylistiques du genre. Nous avions les droits de deux heures et demi de films, et le film dure deux heures !C’était un tel privilège d’avoir accès à toutes ces archives, dont beaucoup étaient inédites.
Quelle chanson du Velvet, à vos yeux, représente le mieux leur essence ?
La réponse la plus simple à une question compliquée serait Heroin.C’est le pivot du premier album, une de premières écrites par Lou Reed, celle qui démontre que le groupe a trouvé son identité sonore, et dont les paroles ne ressemble à absolument rien à cette époque. Ce n’est pas nécessairement ma préférée, mais elle est parfaitement symbolique de leur démarche.
Est-ce que ce travail va influencer vos prochaines œuvres de fiction ?
Mon prochain film sera consacré à la chanteuse Peggy Lee, et ce qui m’intéresse c’est de trouver le langage plastique et narratif qui illustre le mieux sa vie.
Il y a une formule très célèbre du musicien Brian Eno, disant « Le Velvet Underground a vendu 10000 exemplaires de son premier album, mais tous ceux qui l’ont acheté ont formé un groupe. » Avez-vous sciemment choisi de ne pas l’inclure ? Et quel-le cinéaste, ou quels films, ont révélé votre propre vocation ?
Mon documentaire ne s’intéresse pas vraiment à l'héritage du groupe mais je pense que le potentiel d’inspiration ou d’émulation qu'illustre cette phrase s'explique par le fait que le groupe était lui-même le produit d'une époque intensément créative qui a permis aux idées artistiques de fermenter et d'être se disséminer. Les premiers films qui m’ont marqué et m’ont donné envie d’en réaliser ? Le Lauréat, de Nike Nichols, Midnight Cowboy de John Schlesinger, 2001 de Stanley Kubrick et Performance de Nicolas Roeg & Donald Cammell.
Un documentaire de Todd Haynes. Disponible sur Apple TV+ Le 15 octobre.