Nana Komatsu : "Chanel m’a donné ma chance, il y a quelque chose de filial entre nous"

Photographie Emma Panchot
Stylisme Jennifer Eymère

C’est un immense camélia blanc posé au centre de la pièce. Une fleur si grande qu’elle pourrait cueillir l’homme, cette fois, et non l’inverse. C’est une sculpture monumentale et pourtant radicalement sobre, plantée ici, devant nous, au milieu du défilé Chanel prêt-à-porter automne-hiver 2023/2024 qui s’apprête à lancer ses lumières, ou plutôt ses feux – chacune des flammes que sont ces corps.

Si vous savez déjà pourquoi Gabrielle Chanel vouait un culte au camélia – l’absence d’épines et de parfum, cette élégance neutre et pure –, vous ne pouviez vous attendre, cependant, à y voir se dessiner une femme en son intérieur. Soudain, ce sont de grands yeux qui se sont ouverts en son sein. Soudain, des paupières hautes et deux pupilles noires, noires absolument, une bouche à présent, une figure tout entière, ces pétales qui sont un visage projeté, celui de Nana Komatsu.

Assis au fond d’un studio, vingt-quatre heures plus tôt, je regardais les flashs photographiques inonder sans répit l’intimité d’un plafond. Ils tentaient en vain de s’y figer, les idiots – ils n’y parviendraient jamais. J’attendais que Nana Komatsu termine ses acrobaties, elle aussi, sourires et jambes lancées, qu’elle me rejoigne enfin pour me raconter un morceau de son chemin. J’étais d’abord curieux, vous comprendrez, puisque l’on m’avait précisé qu’elle était une de ces actrices qui, dans son pays, le Japon, a quasiment atteint le stade d’idole. C’est donc tout naturellement que je lui ai d’abord demandé son prénom et son nom, pour plaisanter, et comment tout cela avait commencé. “Je n’avais que 12 ans lorsque l’on m’a repérée dans une rue de Tokyo. J’ai débuté en tant que modèle, le cinéma est venu plus tard, à 18 ans.” Chacun concédera que tout cela n’a rien d’original, devenir mannequin à 12 ans, puis obséder un pays entier la décennie suivante. Nana Komatsu m’a très vite parlé de Chanel, après, une maison à qui elle doit beaucoup, précise-t-elle : “je n’étais pas encore très connue lorsqu’ils m’ont appelée, c’était une surprise ; cette maison m’a donné ma chance, il y a désormais quelque chose de filial entre nous”. Ambassadrice, ai-je répondu, j’aimerais bien savoir en quoi cela consiste exactement. Pour être honnête, c’est un terme qui appartient à la famille du mot “artiste”, quelque part, dans le sens où l’on ne sait plus vraiment ce qu’il signifie. Un de ces mots fourre-tout. Ambassadrice, donc : “C’est d’abord être proche des valeurs que défend la maison. C’est se sentir proche de Gabrielle Chanel ainsi que de la vision de Virginie Viard, aujourd’hui. En tant que femmes, ce sont toutes les deux des modèles : une affirmation de soi et de son indépendance.” D’accord, j’ai dit, j’avais déjà entendu cela quelques fois, avant qu’elle ne rajoute cette phrase superbe, cette phrase que je veux noter : “ce que l’on apprend, c’est qu’il y a différentes manières d’habiter le monde” .

Nana Komatsu m’a parlé de ses voyages, ici, des différences fondamentales entre l’Occident et le Japon, et qui peuvent selon elle se résumer par le fait que, là-bas, la simple idée de porter des chaussures dans une chambre vous donne la chair de poule, la vraie. J’ai d’abord cru que c’était exagéré, n’ayant justement jamais mis un pied au japon, puis j’ai très vite compris que non, qu’il fallait même que je change de sujet – ce qui nous rebute est une forme importante de la personnalité.

Sa carrière d’actrice commence alors ainsi, à 18 ans, relativement naturellement, comme l’on dit adieu à un inconnu – d’un claquement de cils. Ce sont des rôles tour à tour sombres ou lumineux, ai-je noté, des sentiers différents dans lesquels elle formule “tenter de se trouver, se découvrir, et parfois même exorciser des choses”. J’ai aimé cette honnêteté qui lui fera confesser que ces choses sont assez difficiles à retranscrire par les mots. Je connais cela : les silences qui sont les plus beaux indices – les détails à déceler par la température et non le bruit.