Design

L’intuition de Laura Gonzalez

Artisanat, art contemporain, papiers peints floraux, esthétique néoclassique et influences ethniques, les joyeux mélanges de l’architecte parisienne Laura Gonzalez l’ont propulsée aux quatre coins du monde, sur les projets les plus ambitieux et les plus cool du moment.

adult female person woman dress shoe furniture face head plant

Biot, Vallauris, la Fondation Maeght… l’enfance de Laura Gonzalez, née à Paris, se passe dans le Sud de la France près de Cannes où la lumière, la mer, les couleurs et l’artisanat la nourrissent d’une façon particulière. “Enfant unique, mes parents m’emmenaient partout. Ils adoraient l’art et les salles des ventes, et c’est pour cela que chiner est devenu une passion.” L’art l’interpelle, elle le côtoie sous toutes ces formes. Elle dessine, réalise de la poterie, mais sans savoir vraiment ce qu’elle veut faire de sa vie. L’architecture n’est pas une évidence tout de suite. “Je n’y avais pas pensé, personne dans ma famille n’était architecte ou décorateur. Mais je me souviens que mes parents aimaient beaucoup les tissus. Les murs de ma chambre étaient recouverts de grosses fleurs Pierre Frey que je détestais parce que je ne pouvais pas scotcher de posters dessus. Le bureau de mon père, lui, était tapissé d’un imprimé cachemire. Chaque pièce de la maison était très chargée, maximaliste, avec cette inspiration ethnique d’Afrique du Nord, et plus précisément d’Algérie, là où mon père est né.” Petit à petit, l’architecture entre dans sa vie, jusqu’à devenir une évidence en terminale. “Je me suis dit : je me lance! Je voulais faire un métier artistique, mais je ne me voyais pas poursuivre mes études seulement dans une école d’art. J’avais également ce côté très organisé, et l’architecture combinait ces deux facettes de ma personnalité. Dès le premier jour, j’ai su que c’était pour moi.” Elle ouvre son agence Pravda Arkitect quelques mois avant d’être diplômée de l’École nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais en tant qu’architecte DPLG. De cette période, Laura Gonzalez nous parle avec passion. “C’était une école pas comme les autres avec des ateliers aussi étonnants que celui de la chorégraphe Carolyn Carlson, devant laquelle j’avais dû danser dans la Cour du Mûrier, l’ancien cloître du couvent des Petits-Augustins, afin de mettre en accord l’expression corporelle et l’architecture. J’ai également passé six mois aux Beaux-Arts où j’ai pris des cours de dessin de nus. Je suis partie en Chine pendant deux mois et à Venise pendant trois mois pour la réalisation de mon projet de fin d’études. Mon idée était d’imaginer un musée à la Punta della Dogana, avant que François Pinault n’ouvre sa fondation et confie son projet architectural à Tadao Ando… Il aurait pu me le confier!”, raconte-t-elle avec humour.

Mélanger les choses

Son premier gros chantier est la mythique boîte de nuit parisienne Bus Palladium, qui représente l’expression de son style. “C’était une aventure complète. C’est l’avantage de ces lieux où la marge de manœuvre créative est beaucoup plus importante que celle d’un appartement parisien. Avec lui, j’ai aussi appris toutes les problématiques techniques d’un lieu public. Et je l’ai réussi avec un budget restreint en chinant, en mélangeant des tissus, des imprimés et en dessinant des moquettes. C’était mon premier exercice qui m’a permis de montrer que j’avais vraiment un style.” Avec son père, propriétaire d’hôtels et de restaurants, Laura baigne également dans l’univers de l’hospitalité. Cela lui permet de s’affirmer dans la réalisation du Dar Mima, le restaurant de l’Institut du monde arabe à Paris, qui vient d’ouvrir, ou encore à La Coupole, au Lapérouse ou à l’hôtel Saint James. “Je me sens à l’aise dans ce milieu puisque j’ai grandi en son sein. Mais le vrai sujet est l’attractivité. Je n’aurais pas pu aller aussi loin avec mon style si je n’avais pas multiplié ce genre de projets. L’accélération de ma carrière vient donc certainement de mon expérience en la matière. Je me suis engouffrée dans la brèche. Chaque projet était une nouvelle histoire à raconter avec des contraintes différentes. Surtout, j’ai toujours adoré m’atteler à des endroits mythiques.”

Réveiller ces beaux endormis – même si elle réalise également des lieux à partir d’une boîte blanche – est un challenge, mais surtout un plaisir. “Cela fait partie de l’air du temps, et c’est important de savoir le faire.” Dans chacun de ses projets, on retrouve de la couleur et des imprimés qui font indéniablement partie de sa signature. “Même quand j’essaie de calmer les choses, je n’y arrive pas. C’est comme dans mon appartement, parfois, je me dis que je vais être plus neutre, et ça repart. Les tapis arrivent, puis les tissus, les tableaux, les canapés… Pour moi, c’est une joie de vivre, et je pense que dans ce climat stressant, on a envie d’un intérieur joyeux et coloré qui nous transporte ailleurs, et qui nous fait rêver. Étant boulimique de travail, il m’aurait été difficile de ne faire que du minimalisme car je me serais enfermée, j’imagine, dans un carcan.”

Quand on écoute Laura Gonzalez, on pense immédiatement aux ensembliers. “C’est totalement mon savoir-faire, celui de réussir à mélanger les choses et de trouver la bonne harmonie, qui est pour moi hyper intuitive. Pour choisir le tissu d’une pièce, on peut passer six heures. Et il suffit qu’un modèle ne soit plus disponible, et nous voici partis pour refaire toute la pièce. Parfois, ça fait trop vieillot, trop kitsch, pas assez moderne, trop lumineux, il faut toujours trouver le bon équilibre. C’est comme un jeu de Tetris. Et aujourd’hui, avec les pénuries, c’est très compliqué. On se dit, c’est bon, on est bon, et non, tel matériau n’existe plus ou celui-là ne sera livré que dans dix mois, et ça recommence.” Ses mentors ne sont autres que Renzo Mongiardino, Madeleine Castaing, Dorothy Draper, Jacques Grange, Veere Grenney ou le studio Peregalli pour leur façon de travailler des lieux classiques. “J’adore le classique même si je m’en affranchis avec mon style plus coloré que le leur, ce qui m’inspire, je le transforme.”

indoors reception room waiting room home decor furniture living room interior design chair couch desk
Dans l'ordre, deux clichés de la Galerie Laura Gonzalez. L'Hôtel Saint James Paris, photo Matthieu Salvaing. Puis, l'expo Splendor à New York, photo Denise Behrens.

De New York à Majorque

Avec ses trois enfants, elle qui voyageait beaucoup, le fait désormais moins souvent et différemment en achetant énormément de livres. “Chaque projet agrandit ma bibliothèque d’une quarantaine d’éditions, du roman à la biographie en passant par le livre d’art. Je rêve actuellement d’aller au Japon. On réalise d’ailleurs un hôtel à Paris, rue du 4-Septembre, qui sera japonais maximaliste.” Pour ses autres projets, une quarantaine en ce moment, “ils mélangent du retail, de l’hospitalité et des résidences. Le plus fou est certainement celui du magasin Le Printemps à New York. Il est situé dans un bâtiment totalement Art-déco, situé au 1 Wall Street building. On ne va pas créer un départment store, mais un énorme concept-store qui va revisiter le retail d’aujourd’hui avec plein d’expériences différentes. On travaille aussi sur un hôtel Mandarin Oriental à Majorque, situé dans un bâtiment des années 70 assez fou, révolutionnaire même à l’époque de sa construction. On a également un hôtel à Rome dont le bâtiment était une ancienne gendarmerie qu’on ouvre normalement cet automne. Aux États-Unis, on travaille sur une boutique Cartier à Miami, dans le Miami Design District, sa façade est faite par Diller Scofidio qui a fait la High Line à New York.” Et sa collaboration avec le joaillier ne s’arrête pas là, de nouvelles adresses sont prévues à Hawaï, Tokyo et sur les Champs-Élysées. En ce qui concerne les projets de particuliers, elle en fait peu et surtout des résidences secondaires. “On est une agence de quarante-cinq personnes, notre manière de travailler nous laisse peu de temps pour réaliser des appartements, on préfère faire des résidences secondaires parce que l’expérience est sympathique, plus relax, que ce soit à Marbella ou Capri, là où nos clients ont envie de se détendre, de prendre leur temps. Je travaille également sur un livre sur dix années de style, édité chez Rizzoli et  qui sortira cet automne. Je ne voulais pas faire un portfolio donc on a choisi des projets à la façon d’une narration qui brosse à la fois du résidentiel, des hôtels, des restaurants et des maisons à la campagne. On a créé des imprimés spécialement pour l’occasion.”

Sur quarante-cinq personnes, il y a trente-huit femmes. On apporte une autre vision, une sensibilité différente et les clients viennent chercher aussi cela chez nous. C’est la sensibilité qui nous différencie, et plus particulièrement dans le travail. Une génération importante de femmes architectes est en train d’arriver et je pense y avoir contribué.

— Laura Gonzalez

Question de sensibilité

Certains de ses clients sont des collectionneurs d’art contemporain pour qui elle fait rentrer leurs pièces dans le décor de façon intuitive et non muséale. Laura nous confie apprécier depuis longtemps le travail de Claire Tabouret dont elle possède un petit portrait, acquis aux enchères il y a sept ans. Comme ses confrères, elle aime le mobilier mais ne se veut pas designer. “La création de mobilier, j’appelle cela ma petite récréation. Pour cette collection, on travaille avec les artisans d’art, on fabrique tout en France, on n’a pas de stock, et on présente chaque pièce dans notre galerie de la rue de Lille dans le 7e arrondissement de Paris, que l’on met en scène une fois par an.” La prochaine exposition sera en septembre. Cette collection plaît et voyage jusqu’à New York. De décembre à mars dernier, elle fut le sujet de son exposition “New York Splendor” à The Townhouse. Avec autant de réalisations et de collaborations, on se demande ce qui a évolué dans l’approche de l’architecture d’intérieur de Laura Gonzalez au cours de ces dernières années… “Je me suis affinée, j’ai repoussé le curseur assez loin, mais j’ai gardé une ligne d’équilibre, grâce aux budgets, aux types de chantiers qui ont évolué, mais aussi grâce à l’expérience. On a moins de barrières créatives, et surtout, on a un autre champ d’exploration artistique avec de nouveaux matériaux, notamment des matériaux recyclés, c’est donc une nouvelle façon de travailler. Selon moi, l’usage des matières fait le style.” Alors que l’architecture fut principalement et longtemps une histoire d’hommes, avoir participé à ce changement fait-il d’elle une femme engagée ? “Engagée, je le suis. Dans mon agence, sur quarante-cinq personnes, il y a trente-huit femmes. On apporte une autre vision, une sensibilité différente et les clients viennent chercher aussi cela chez nous. C’est la sensibilité qui nous différencie, et plus particulièrement dans le travail. Une génération importante de femmes architectes est en train d’arriver et je pense y avoir contribué.”

Tags

Recommandé pour vous