Quel livre offrir absolument aux fans d’Alain Bashung ?
Cette passionnante plongée dans le processus créatif d’Alain Bashung confirme la stature à part d’un grand artiste.
Disparu en 2009, Alain Bashung a laissé sur l’histoire de la chanson française une marque profonde, indélébile, en semant derrière lui des disques comme autant de repères, de balises, de phares à suivre pour tracer sa propre route créative (on ne compte plus ceux et celles qui ont vu en lui un exemple national, moins pour copier l’inimitable que pour s’assurer qu’une autre chanson française était possible), se consoler, se rassurer, s’en faire des amis pour la vie (pour ceux et celles moins doué-e-s pour faire sortir d’une guitare ou d’un piano un brasier magique). En 13 albums solos (sans compter les parutions posthumes ou les captations de concerts), le chanteur n’a eu de cesse de changer de logiciel en entrant en studio. A l’image d’un David Bowie, ce n’est pas tellement l’ouvrage qu’il remettait sur le métier - remettant plutôt les compteurs à zéro, pour tout réinventer, l’ouvrage et le métier. Christophe Conte, qui a déjà signé de beaux livres consacrés à Nino Ferrer ou Etienne Daho, et réalisé de formidables documentaires sur les Kinks et les Who (ce dernier est encore disponible sur arte.tv jusqu’au 28/02/2023). L’auteur se met dans les pas de Bashung pour mieux comprendre comment il a fait du studio un instrument essentiel à sa démarche, tant son génie du casting - paroliers, musicien-ne-s, producteurs-trices, ici en pleine lumière - a permis à ses chansons de trouver une forme unique, qu’elles n’auraient pas trouvé autrement, ailleurs, avec d’autres partenaires de jeu. Entre intuitions brillantes et travail acharné, passion dévorante pour les aventures hors des sentiers battus (mais alors vraiment loin de toute civilisation connue des cartographes de la chanson d'ici, les contraignant à en redéfinir à chaque fois les frontières), en témoigne l’extraordinaire L’Imprudence, dont on ne fera jamais le tour) et amour pour des formes plus classiques (et dans classiques, ici, on entendrait presque un néologisme mariant classe et claque), la vie créative de Bashung est ici racontée avec un authentique sens du récit, porté par la voix de ses complices. Riche en détails et de surprises même pour les fans aux disques durs saturés d’anecdotes, le livre suit, avec beaucoup de délicatesse, l’entrelacement de la vie privée du chanteur et l’évolution de sa discographie, visitant les recoins d'une boîte crânienne visiblement pas encline au surplace, cogitant inlassablement. Les dernières pages, fatalement indissociables de la maladie qui aura sa peau, sont ainsi chargées d’émotion. Pour avoir eu la chance d’avoir assisté aux ultimes concerts de Bashung, on confirme que ces dates parisiennes sont inoubliables. On repense souvent à cette silhouette fragile débutant avec panache le récital par l’exceptionnel Comme Un Lego composé par Gérard Manset. « Je suis un Apache, je suis un Indien, auquel on fait croire que la douleur se cache. Je suis un Apache, je suis un Indien, auquel on fait croire que la montagne est loin » chantait-il sur Je tuerai la pianiste : ce magnifique livre arpente avec intelligence et tact une montagne qui ne connaîtra pas le sort malheureux des glaciers islandais, fondant inexorablement. Elle nous servira de point d’ancrage pour longtemps encore, pour retrouver son chemin, quand l’horizon paraît trop éloigné.
En studio avec Bashung. Un livre de Christophe Conte (Editions Seghers, 216 pages, 29€)