Pop Culture

De la country au rock, retour sur l’histoire de ces genres nés des communautés noires

Avec "Cowboy Carter", Beyoncé célèbre la musique country, avec à la clé la réappropriation d'un genre parmi d'autres, dont les racines afro-américaines ont été effacées. L'occasion de dresser la liste de ces différents styles musicaux et de revenir sur leurs histoires. 

Célébrant la musique country, le nouvel album de Beyoncé, “Cowboy Carter”, explose tous les records malgré un premier accueil controversé. En moins de 24 heures, il est devenu l’album le plus streamé de 2024 sur Spotify, et 26 de ses 27 titres se sont retrouvés dans le top 100 d’Apple Music. Un succès qui s’oppose aux premières réactions des auditeurs : lorsque l’icône annonce son projet en février dernier, tant la communauté country, que la communauté noire s’opposent à son choix. La première affirme que la chanteuse texane n’a pas sa place dans la country, parlant parfois même d’”appropriation culturelle”. La deuxième l’accuse de vouloir se conformer aux goûts d’un public blanc, en célébrant ce genre musical.

 

Beyoncé fait rapidement taire ces critiques en expliquant ses motivations, à savoir se réapproprier un genre musical aux racines afro-américaines oubliées. Cette volonté était déjà véhiculée par “Renaissance”, consacré à la musique house et disco et premier acte d'une trilogie d'albums. Avec “Cowboy Carter”, décrit comme “la meilleure musique qu’elle ait créée" par l’artiste même, Queen B se réapproprie aussi la country. Quant au troisième acte, certaines rumeurs annoncent déjà qu’il sera un album rock : une suite logique dans son combat contre l’oubli de l’apport musical afro-américain. Autant de genres musicaux nés au départ dans les communautés afro-américaines, mais whitewashés à travers les époques. Le résultat ? Ces communautés pionnières n'y trouvent plus leur place et semblent toujours reléguées à la case hip-hop. Un constat dénoncé par Linda Martell dès les premières secondes de "SPAGHETTI" : "Les genres sont un drôle de petit concept, n'est-ce pas ? En théorie, ils ont une définition simple et facile à comprendre. Mais en pratique, certains peuvent se sentir confinés". Country, house, disco, rock… Voici les genres musicaux nés de cette communauté peu créditée, ayant complètement révolutionné le monde de la musique.  

Du blues au rhythm and blues (des années 1860 aux années 1940)

Datant des années 1860, le blues est l’un des premiers genres musicaux afro-américains reconnus. Moins populaire, son influence reste immuable, étant à la source de la plupart des musiques rythmant notre quotidien.

Dans un contexte de fin de guerre civile et d’abolition de l’esclavage, les noirs du sud des États-Unis s’inspirent d’hymnes religieux et de chants d’esclaves, pour développer le blues et ses airs sombres. Cette pratique est d’abord un moyen d’expression pour la communauté, qui traduit ses luttes en chants et en danses. Au fil des années, le genre se popularise et devient un moyen de faire carrière, une première pour les musiciens afro-américains. Certains animent les bars et speakeasies locaux, d’autres deviendront des artistes renommés, comme B.B. King et Bessie Smith.

 

La lente ascension du blues sera complètement transformée après la deuxième guerre mondiale : le genre traditionnel rencontre le jazz frénétique grâce aux migrations de nombreux Afro-Américains vers le nord des États-Unis. Le rhythm and blues surgit. Encore loin de ressembler au style d'Usher et Alicia Keys, cette musique est d’abord, comme son nom l’indique, le simple mélange de mélancolie et d’airs dansants, portée par Aretha Franklin, Nat King Cole, Ray Charles, Marvin Gaye, et bien d’autres.

Le jazz (années 1910)

Les premiers grands noms du jazz qui viennent à l’esprit peuvent être Frank Sinatra, le “roi du jazz” Paul Whiteman, ou encore Benjamin David Goodman, le “roi du swing”. Pourtant, ce style éclectique, surnommé “la musique classique noire”, doit pleinement son succès aux pionniers tels que Duke Ellington, et aux Afro-Américains qui l’ont fait naître à la Nouvelle Orléans. Leur recette ? Le blues, les airs des Antilles françaises, et un principe clé : l’improvisation. Ces ingrédients forment les chansons iconiques qui feront vibrer les clubs des années 20, résistantes à l’épreuve du temps. Qui ne s’est jamais laissé emporter par “At Last” d’Etta James ou “What a Wonderful World” de Louis Armstrong ?

Le jazz ne serait pas ce qu’il est devenu sans influences euro-américaines, surtout au niveau de ses instruments caractéristiques : saxophone, piano, clarinette, contrebasse… Leur poids semble cependant grossi par l’industrie musicale de l’époque, la sortie du premier album de jazz le prouve. En 1917, Paul Whiteman, chef d’orchestre blanc, et son groupe The Original Dixieland Jazz Band, sortent “Livery Stable Blues”. D'après Slate, le compositeur affirmera, dans une interview accordée au magazine Tempo, que sa “musique est strictement blanche” et que “c’est auprès des Blancs que les Noirs ont appris cette musique et ces rythmes”.

 

La country (années 1920)

La musique country, d'abord nommée hillbilly music, émerge des zones rurales du sud des États-Unis dans les années 20, à la croisée des cultures afro-américaine, irlandaise, anglaise et écossaise. Ce mélange se lit clairement dans les œuvres du genre, liant les rythmes et techniques vocales du blues, du gospel, et des chants traditionnels européens. Ses instruments le reflètent aussi : le banjo, emblème de la country - entendu dès les premières notes de "TEXAS HOLD EM'"-, vient tout droit d’Afrique de l’ouest, tandis que le fiddle, autre symbole du genre, est importé par les immigrés de Grande-Bretagne.

À la fin des années 20, la musique country dépasse les radios rurales locales, se commercialise et signe ainsi le début du rejet des artistes afro-américains. Les célèbres Hank Williams, Jimmie Rodgers, Johnny Cash et la Carter Family, qui ont tous appris de mentors noirs comme Rufus “Teetoy” Payne, Gus Cannon ou Lesley Riddle, arrivent sur le devant de la scène, alors que les artistes afro-américains sont blacklistés des radios, classements et évènements country. Ce choix émane d’une industrie musicale convaincue que les blancs n’écoutent que les créations blanches, et inversément. La musique et la culture country restent malgré tout profondément ancrée dans la communauté afro-américaine du sud des États-Unis. Des artistes comme Darius Rucker et Charley Pride connaissent un succès international, certains développent une country noire underground, d’autres dédient leurs albums à leurs racines du sud, comme Tina Turner, Ray Charles et Beyoncé.

 

Du rock 'n' roll au rock (des années 1950 aux années 1960)

Dans les années 50, des artistes tels que Little Richard et Chuck Berry accélèrent la cadence du rhythm and blues et propulsent le piano et la guitare électrique sur le devant de la scène, au dépens de la star du moment, le saxophone. Le rock 'n' roll est né. C’est une révolution de plus pour le monde de la musique, à travers son agressivité inédite et sa dédicace à un tout nouveau public : les adolescents. Ce genre est le premier à adresser son message à cette nouvelle génération rebelle, chantant leurs expériences et sentiments. Au fil des années, cette musique suit ses ancêtres et se popularise, touchant d’autres publics que sa communauté d’origine. Des artistes blancs reprennent peu à peu les titres du genre : le premier à l'adopter avec succès est sans doute Elvis Presley, considéré comme le roi du rock 'n' roll. D’autres suivront ce parcours, comme les Beatles ou les Rolling Stones à leurs débuts.

 

Au milieu des années 60, les artistes abandonnent le “roll” et laissent place au rock : un style toujours plus fort, plus agressif, plus effréné, et quasi défini par le légendaire Jimi Hendrix. Le musicien d’exception introduira les solos de guitare trépidants et l’usage de pédales wah-wah. Ses méthodes influenceront les œuvres des plus grands : Prince, Slash, Lenny Kravitz… Cette première version du rock restera ancrée comme le symbole des jeunes hippies des années 60, une génération révoltée contre le capitalisme, le racisme, et la guerre du Vietnam.

 

Le disco (années 1970)

Les années 70 peuvent-être considérées comme l’âge d’or de la musique afro-américaine, marquées par l’apparition consécutive du disco, du hip-hop, de la house et de la techno. Cette prolifération s’explique notamment par la propagation simultanée de boîtes de nuit underground, des lieux de rencontre et de fête pour les communautés marginalisées.

Le disco est le premier arrivé du quatuor, s’introduisant dans les clubs LGBTQ+ noirs et latinos des grandes villes américaines. Lumières colorées, musique électronique, DJs sur le devant de la scène... ce nouveau genre révolutionne la nightlife et fait naître des icônes telles que Donna Summer, Diana Ross, The Village People, ou encore ABBA. Il est cependant restreint à ces clubs underground avant la sortie de La fièvre du samedi soir en 1977, avec John Travolta. Le film relaye la musique, la danse, et le style clinquant du genre au grand public, permettant son ascension commerciale. Malgré ce succès soudain, le disco reste stigmatisé et connaît une chute rapide, à la suite d’un racisme et d’une homophobie grandissante, surtout de la part des adeptes du rock.

 

La house et la techno (années 1970)

À deux doigts d’être jeté aux oubliettes, le disco est heureusement repris à Chicago par des DJs comme Frankie Knuckles et Ron Hardy. Ces artistes mixent les anciens titres disco et titres hip-hop, avec une pulsation régulière de 4/4 et 120 bpm. Le résultat ? La house émerge et fait vibrer les clubs LGBTQ+ afro-américains. Elle sera d’abord un symbole d’unité, d’inclusion et d’amour, comme l’a été son prédécesseur, et fera naître des titres énergiques comme “Move Your Body” de Marshall Jefferson et Solardo. La house deviendra aussi, à sa sortie du underground, l’arrière-plan des soirées raves aux quatre coins du monde.

 

En parallèle, à Detroit, la communauté queer noire développe la techno et son son futuriste, s’inspirant toujours du disco, mais d’autant plus du hip-hop et de ces techniques de mixage innovantes. Les DJs pionniers de ce dernier genre sont Ken Collier, Stacey Hotwaxx Hale, Derrick May, et bien d’autres.

L hip-hop (années 1970)

Le hip-hop est indéniablement l’un des genres musicaux les plus fructueux du moment, que ce soit au niveau du rap américain originel ou de ses dérivés. Les classements le prouvent : rien qu’en France, en 2023, les cinq artistes les plus écoutés sur Spotify sont Jul, Ninho, PNL, Damso et Nekfeu.

Tout a commencé à la chute du disco, alors que les DJs Kool Herc, Grandmaster Flash, et Afrika Bambaataa, “sainte trinité” du hip-hop, animent leurs soirées dans le Bronx. À coup de basses fortes et caisses claires, ces maîtres des platines rythment leurs mixs en parlant à leur public, créant ainsi la musique hip-hop et la culture qui en découle. DJs, rap, b-boys et graffitis, les quatre piliers de ce mouvement sont alors développés par les communautés afro-américaines, caribéennes et latinos à New York, puis dans l’ensemble des grandes villes des États-Unis. Ces groupes marginalisés sont, dans les années 70, particulièrement touchés par le traffic de drogue, la violence des gangs et une pauvreté transmise de génération en génération. Cette révolution musicale et culturelle leur permet d’exprimer et de dénoncer leur situation à travers le conscious et gangsta rap, comme l’on fait les pionniers Public Enemy et N.W.A. Dans les années 90, la culture hip-hop émerge du underground grâce à l’ascension d’artistes comme Tupac Shakur, The Notorious B.I.G, Snoop Dogg, Lauryn Hill, et bien d’autres, qui ouvrent la voie vers le succès planétaire du genre. Cette première commercialisation touchera tout type de publics et inspirera tous genres d’artistes, que ce soit dans le monde de la musique, de la mode, de la danse, ou du cinéma.

 

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