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Bulgari : Tout l'art des complications

Ces dernières années, Bvlgari a plus que jamais imposé son nom dans le monde des complications horlogères, en décrochant notamment huit records du monde de finesse avec son modèle Octo Finissimo. Associant design, innovation et savoir-faire, la maison italienne entend poursuivre sur ce segment porteur des complications, comme l’explique Antoine Pin, directeur de la division horlogère de Bulgari.

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L'OFFICIEL : Pensez-vous que posséder une manufacture permet d’avoir une réelle indépendance industrielle ? Quels en sont les avantages ?
Antoine Pin : Notre identité, c’est le design et l’innovation. Ce n’est pas moi qui le dit, ce sont nos clients. Cette identité, nous la cultivons au travers de notre indépendance. Avoir son propre outil de production et investir continuellement, c’est nous garantir cette indépendance, qui rend la marque plus autonome et performante et qui stimule notre capacité d’innovation. Cette grande liberté est un accélérateur de créativité. Nous avons intégré la construction, puis la R&D, puis l’industrialisation, ce qui nous assure la maîtrise de notre savoir-faire et de nos innovations.

Quelles sont les complications les plus emblématiques produites par Bvlgari ?
Nous avons trois axes de développement pour les mouvements : l’extraplat à travers Finissimo et Ultra Finissimo, les montres à sonnerie – Bvlgari fait partie des quatre maisons à maîtriser toutes les familles de montres à sonnerie, répétition minutes, petite sonnerie, grande sonnerie – et les mouvements mécaniques de petite taille, qui sont de vrais bijoux pour les montres de joaillerie. À l’image du travail de fond continu que nous menons, la légitimité horlogère de Bvlgari s’illustre notamment au travers de multiples sagas et montres devenues iconiques. À commencer par nos huit records du monde de finesse de l’Octo Finissimo, une montre que nous avons lancée en 2012 et pour laquelle nous nourrissions de grandes ambitions. Tourbillon ultraplat, quantième perpétuel ultraplat, sans oublier une grande sonnerie, une répétition minutes et un carillon tourbillon.

Pouvez-vous nous raconter l’aventure de l’extraplat chez Bvlgari ?
À l’origine, la finesse n’était pas le territoire d’expression naturel de la maison, réputée pour ses pièces de haute joaillerie à la générosité italienne. Deux ans après le lancement de la première Octo, une réflexion s’est faite au sein de l’équipe que la montre prendrait un caractère plus italien si elle s’affinait, à la manière d’un costume fait sur mesure qui se porte prêt du corps sans le genrer. C’est ce qui nous a amenés initialement vers la réflexion autour d’un produit, et donc d’un mouvement très plat. C’était aussi une façon de mettre en avant notre intégration horlogère que de nous plier à l’exercice de style perçu comme un graal horloger, tant il impose de jouer avec les limites de la physique. La saga a commencé avec l’Octo Finissimo Tourbillon manuel, dont l’épaisseur, impressionnante, n’excédait pas le 1,95 mm. C’était en 2014. La suite s’est enchaînée naturellement avec les équipes qui, je dois dire, ont pris goût au challenge d’explorer les records de finesse dans l’éventail des complications horlogères traditionnelles. Bousculer les codes, chercher à repousser les limites tout en conservant une esthétique forte et les codes Bvlgari dans toutes nos créations, l’aventure fut absolument passionnante et très enrichissante !
L’Octo Finissimo Ultra est le point d’orgue de cette saga des records, ouvrant la porte sur de nouveaux chapitres que nous pouvons d’autant mieux imaginer puisque nous sommes une manufacture indépendante.

Combien de modèles de mouvements compliqués produisez-vous ?
Nous fabriquons plus d’une vingtaine de mouvements différents en interne, dans notre manufacture située au Sentier dans la Vallée de Joux en Suisse. C’est là que sont conçus et assemblés notamment les Finissimo extraplats, les Picolissimo comme les calibres Solotempo, ainsi que les grandes complications. C’est une gageure, sachant que nous avons également notre propre manufacture d’habillage horloger, avec  la fabrication de nos boîtiers, bracelets et cadrans, réunis sous le même toit, à Saignelégier. Cette capacité industrielle d’ensemble nous offre une réactivité industrielle unique pour une maison italienne et accrue, ce qui nous permet de
répondre aux demandes du marché.

Quel est le temps de développement d’un mouvement à complications et quelles en sont les grandes étapes ?
Franchement, c’est très variable. Le temps de développement pour un mouvement à complications peut varier de deux à cinq ans, voire davantage pour une plus grande complication. Pour vous donner une idée, il faut environ deux ans pour un chronographe sur une base existante de mouvement et jusqu’à sept ou huit ans pour des mouvements à sonnerie. Nous avons mis trois ans pour le mouvement Ultra et deux ans et demi pour Piccolissimo, ce qui est un record en soi, facilité par l’expérience acquise au cours des années précédentes dans le domaine des montres extraplates. On peut identifier cinq grandes étapes dans le développement d’un calibre chez Bvlgari :
1. La faisabilité technique qui correspond à l’étude des solutions techniques pour réaliser les fonctions, la vérification des coûts et des délais.
2. La construction avec la réalisation du mouvement en 3D, les simulations ressorts, couples, la vérification des pressions, etc.
3. La création du dossier de plans de détails pour l’industrialisation et la production des composants.
4. L’homologation au laboratoire avec la vérification des mécanismes, les tests d’usure (fatigue pour vérifier la tenue dans le temps), les tests de fiabilité (chocs, effets des champs magnétiques, variation de températures, etc.).
5. Enfin, la première série dans les ateliers de production.

Les contrefaçons des montres compliquées sont-elles nombreuses ou les complications protègent-elles des contrefaçons ?
Il est vrai que c’est un nouveau phénomène que nous avons vu apparaître en saisissant des contrefaçons sur plusieurs marchés du monde entier, néanmoins plutôt sur le segment des montres à petites complications. C’est une bataille de tous les jours et la meilleure des réponses est de continuer à perpétuer d’une part le travail à la main de nos artisans – ils maîtrisent des savoir-faire extraordinaires, ajoutant ce supplément d’âme à nos montres compliquées – et, d’autre part, à avoir toujours un pas d’avance en termes d’innovation.

On parle souvent de complications femme. Quelles sont-elles ?
Si les phases de lune et les quantièmes étaient à l’origine des complications prisées par les femmes aujourd’hui, le tourbillon, la répétition minutes et les heures sautantes ont fait ces dernières années une entrée remarquée dans l’éventail de nos montres pour les femmes, de plus en plus connaisseuses. Concernant le tourbillon, nous pouvons dire que nous avons donné le ton au début de l’année 2020 en présentant une montre Serpenti Seduttori Tourbillon. Ce dernier est le plus petit du monde, spécialement conçu pour se nicher dans la tête du serpent. Sa création a, d’une certaine manière, marquée la renaissance d’une tradition perdue dans les années 1970, lorsque les mouvements mécaniques miniatures furent remplacés par des mouvements à quartz.

À l’image de la mode, l’horlogerie évolue vers des modèles non genrés. Comment cette tendance se traduit-elle dans les montres à complications ?
C’est un phénomène dont on parle beaucoup, mais qui est compliqué à réaliser dans l’horlogerie, tout simplement pour des questions de morphologie ! Les tailles de poignet sont significativement différentes et on ne peut simplement pas poser les calibres les plus importants, nécessitant des boîtes de 45 mm de diamètre sur les petits poignets. Je me souviens que nous avions estimé à 30 % la part des montres TAG Heuer de taille moyenne ou grande vendues à des femmes à la fin des années 1990. Le phénomène d’appropriation des modèles masculin par les femmes n’est donc pas récent. Il est évidemment beaucoup plus rare dans l’autre sens, puisqu’il existe peu de modèles initialement créés pour les femmes. Notre collection Serpenti est l’un des rares exemples. Et c’est justement plutôt ce point qui nous paraît intéressant. Plutôt que de créer des modèles non genrés – ce qui est d’ailleurs très difficile à définir –, nous préférons mettre le talent de nos équipes au service d’une créativité débridée, répondant aux goûts de tous, et développer nos calibres de petite taille pour offrir une large gamme de montres mécaniques à complications sur les modèles féminins.

Quels sont les marchés/pays les plus porteurs pour les montres à complications pour femmes ?
Comme pour tout ce qui est exceptionnel, ce marché est sous haute tension. Et ce, dans toutes les zones géographiques du monde, et en particulier dans la Grande Chine et le Moyen-Orient. La production de nos montres à complications pour femmes est nécessairement limitée par nos capacités de production, lesquelles ne sont pas extensibles. Et comme la demande est beaucoup plus forte que l’offre, c’est très tendu. Lorsque nous livrons une montre à complications pour femmes, que ce soit en Asie, aux Etats-Unis ou en Europe, elle part immédiatement chez l’une de nos clientes – aujourd’hui, celles-ci deviennent souvent elles-mêmes collectionneuses.

Combien la manufacture compte-t-elle de collaborateurs et combien d’entre eux travaillent sur les mouvements ?
Plus de 100 collaborateurs sont dédiés essentiellement à l’activité mouvement, tous métiers confondus. La totalité des collaborateurs Bvlgari Horlogerie représentant plus de 400 personnes. Votre complication préférée ? Difficile de choisir, car je les aime toutes ! Mais j’ai sans doute une certaine préférence pour l’Octo Finissimo Répétition Minutes, qui a repoussé de manière quasi inimaginable les limites des montres à sonnerie ! Elle combine l’extrême finesse à la complication horlogère la plus élaborée, qui nécessite un savoir-faire rare et très pointu. Nous sommes repartis de zéro pour la concevoir et le résultat est époustouflant de technicité.

Aujourd’hui, faut-il avoir toujours une âme d’enfant pour réussir dans l’industrie horlogère suisse ?
Plus que jamais ! Le risque ultime, c’est l’indifférence. Il faut pouvoir s’émerveiller, et d’ailleurs les grands acteurs de ce secteur ont tous, d’une façon ou d’une autre, cette capacité d’émerveillement, cette énergie un peu primaire. C’est leur force.

Votre prochaine nouveauté en 30 secondes ?
Je triche ! La pièce unique Octo revêtue de marbre que nous venons de dévoiler pour Only Watch 2023. Un défi technique colossal, dont nous venons de voir le bout – six ans de R&D pour la réaliser – et une esthétique tellement Bvlgari.

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