Food

Yazid Ichemrahen, pâtissier du Royal Monceau : "J'aime être à contre-courant"

Depuis maintenant une décennie, Yazid Ichemrahen est l’un des chefs pâtissiers les plus courus de la planète.

clothing footwear shoe
Bûche du Royal Monceau - Raffles Paris

Après avoir obtenu le titre de champion du monde des desserts glacés en 2014, Yazid Ichemrahen a servi les plus grands hôtels et les plus grandes tables, des pays du golfe aux Trois Vallées. En avril 2024, il est devenu le chef pâtissier du Royal Monceau à Paris. Chef privé, tant pour les milliardaires que pour l’Élysée — il a récemment accompagné le Président de la République lors de son voyage d’État au Maroc —, il a accepté d’accorder un entretien à L’OFFICIEL, le temps d’un déjeuner à l’hôtel Peninsula. Nous avons évoqué son passé et ses projets.

Yazid Ichemrahen aime être à contre-courant

Loquace, Yazid Ichemrahen nous confie préférer échanger avec des magazines de mode plutôt que de discuter avec la presse culinaire. Il cite Bernard Arnault, référence chère au pâtissier-businessman, pour qui « seul le poisson mort va dans le sens du courant ». En clair, il n’aime pas faire comme tout le monde et aime être « à contre-courant ».

Nonobstant cette volonté de passer par d’autres canaux, le pâtissier présente une réelle appétence pour la mode et le luxe. Il a réalisé une forêt-noire en reprenant un coloris noir utilisé par Saint Laurent et s’est inspiré, dans une série de créations, du plissé des robes d’Azzedine Alaïa, l’un de ses stylistes de prédilection. Son manteau est fait sur mesure chez Dior et il dit apprécier l’histoire des grandes maisons de haute couture.

Ce goût pour la mode témoigne aussi de sa recherche de l’inaccessible et du confidentiel. Un monde que son enfance ne lui a pas permis de connaître.

Au cours de l’entretien, on ressent un profond détachement de Yazid Ichemrahen
avec l’histoire de sa vie

L’écriture de ses mémoires, Un rêve d’enfant étoilé (Éditions CDP, 2016, suivi d’un deuxième pan en 2023) et la participation à la réalisation d’un film sur son parcours, À la belle étoile (Sébastien Tulard, 2023) l’ont, d’une certaine manière, dépossédé de son histoire, en en faisant un récit. En témoigne le maître d’hôtel du Peninsula qui, entre le plat et le dessert, dit à Yazid Ichemrahen à quel point il a été inspiré par son parcours.

Sa vie est en effet une longue histoire de revanche contre la vie, d’autant que celle-ci a commencé tragiquement. Sa mère, instable psychologiquement et jugée inapte à l’éducation d’enfants, est à l’origine du décès de son petit-frère. Il est placé, à deux ans, dans une famille d’accueil des environs d’Épernay chez un couple qui l’accueille jusqu’à ses onze ans.

« Tatie » et « tonton », comme il appelle ses parents de cœur, ont deux enfants, Dany et Laurent. Ces derniers travaillent dans les boulangeries-pâtisseries de grands hypermarchés, Leclerc, Carrefour et Cora. C’est à leur contact qu’il découvre la pâtisserie.

Il émet ainsi le souhait de « faire comme Laurent et Dany ». Il sera pâtissier. Et leurs réalisations, chez Cora, Leclerc et Carrefour sont autant d’influences pour lui.

Ses « madeleines de Proust », ce sont la bûche de Noël Carrefour et les éclairs industriels sous cellophane

Et après avoir rejoint un foyer d’accueil à onze ans, où il officie notamment commeaide cantinier, il  obtient un CAP de pâtisserie. Rêvant de Monaco et de ses fastes, il part alors avec un solde de 907 euros sur la Côte d’Azur. À nous deux, Monte Carl’. L’apprenti pâtissier dépense sa bourse en trois nuits au Negresco, toque à la porte de Joël Robuchon à l’hôtel Métropole qui le prend en essai, et dort sur les galets de la plage de Nice le reste de l’année.

Si Yazid Ichemrahen apprend très vite au contact des plus éminentes figures de la pâtisserie, il nous explique que ce qui fait sa marque de fabrique, c’est le goût de la simplicité dans ses créations. Ce goût, il nous confie le devoir à l’influence de sa « tatie », se demandant, à chaque fois qu’il prépare un gâteau si elle l’aurait aimé. Il n’est pas un adepte des croisements gustatifs « très spéciaux », « du type fenouil-betterave ».

« Un simple fondant au chocolat dans un palais étoilé » est sa plus grande fierté

Comme Cédric Grolet, autre pâtissier en vogue à qui il est souvent comparé dont la cuisine est fondée sur l’utilisation de fruits, Yazid Ichemrahen voit dans la simplicité de ses créations sa marque de fabrique.

Quelle est donc la méthode Ichemrahen ? D’abord une éthique de travail. Pour lui — il cite une discussion qu’il a eu avec le chef Yannick Alléno —, le pâtissier ne doit pas perdre de vue le fait que son objectif est de « bien nourrir les gens » tout en faisant attention aux artisans et aux gens qui cultivent. En effet, il se montre particulièrement concerné par le sort des producteurs affirmant préférer travailler directement avec ces derniers plutôt que d’aller acheter « sa crème chez Metro ». Si le sort des agriculteurs le concerne autant, c’est que, pour lui, ils sont des hauts- représentants du savoir-faire français, qu’il tient en très haute estime.

art drawing
cocoa dessert food chocolate sweets brownie cookie
Bûche du Royal Monceau - Raffles Paris

Passionné de pâtisserie dévoué à son métier, Yazid Ichemrahen n’en est pas moins un homme d’affaires

Celui qui a réalisé un portrait du Président de la République en chocolat est un chef privé sollicité par de grandes fortunes, et des partenariats avec les hôtels Accor et sa filiale Raffles font des grands palaces du monde dans lesquels ils officient autant de vitrines pour sa pâtisserie.

Cette ambition est née lors de ses années dans un foyer pour jeunes. L’argent est perçu comme une échappatoire à des conditions miséreuses, Le pâtissier nous dit avoir eu moult démêlés bancaires et judiciaires. Il espère, après avoir été interdit bancaire à deux reprises, « que la Banque de France ne toque plus à sa porte ». Il n’a pas ainsi oublié les objectifs matériels qu’il s’était donnés enfant.

Yazid Ichemrahen nous explique ainsi, rétrospectivement, que le fait qu’il ait acheté un appartement avenue Foch est lié au Monopoly

C’est ainsi que, dans cette quête de symboles de réussite, il a choisi le premier arrondissement de Paris pour y ouvrir sa boutique-flagship, At home. Le restaurant qui ouvrira au printemps 2025 offrira la possibilité d’observer les pâtissiers finalisant des créations derrière un comptoir. Le visiteur pourra aussi découvrir les recettes de la mère de cœur du pâtissier, sa « tatie ». Au programme : salade à la tomate, œufs mimosa, poulet rôti et enfin frites à la patate douce.

Et après l’ouverture d’un restaurant, Yazid Ichemrahen a désormais un nouveau rêve. Travailler avec les grandes maisons de la place Vendôme, dans le but de faire dialoguer haute joaillerie et pâtisserie. Il a déjà travaillé avec Repossi. Peut-être un jour Van Cleef & Arpels ou Cartier ?

Tags

Recommandé pour vous