Femmes

Salma Hayek Pinault : "Accepter ses failles, c’est un aspect de la confiance en soi"

L'actrice et productrice Salma Hayek Pinault nous parle de son rôle dans “Without Blood”, de ses liens profonds avec Angelina Jolie, de ses engagements et de sa confiance en elle (qu’elle n’a pas toujours).

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Photographie CHARLIE GRAY
Stylisme GAIA FRASCHINI

“Tu doutes de toi avec une telle confiance.” Salma Hayek Pinault me rapporte cette remarque que lui a faite un jour Channing Tatum, son partenaire dans Magic Mike – Dernière danse. D’après Salma – qui me raconte l’anecdote en riant –, il a raison. Depuis ses débuts à Hollywood dans les années 1990, après avoir tourné dans des telenovelas au Mexique, Salma, 58 ans, a toujours dégagé une confiance en elle grisante, inspirante. Mais sous cette assurance se cache quelqu’un qui doute. En dépit de décennies de succès, parmi lesquels des rôles comme la reine des vampires d’Une nuit en enfer, une interprétation nommée aux Oscars pour Frida, une tête d’affiche face à Matthew Perry pour la romcom Coup de foudre et conséquences (un de ses rôles préférés) et un guest récurrent dans la série chouchoute des Emmys 30 Rock, Salma est une femme qui a travaillé dur pendant toute sa carrière. Elle a bataillé en faveur de l’inclusion, en mettant en avant acteurs et personnages hispanophones dans l’industrie du divertissement. Elle a coproduit Ugly Betty, l’adaptation américaine de la série colombienne Yo soy Betty, la fea (dont elle n’a pas douté un instant du succès, mais pour laquelle elle a dû affronter des réticences), et créé sa propre compagnie de production, Ventanarosa. Son dernier projet, une série télé adaptée du best-seller mexicain de 1989 Chocolat amer, sera disponible sur Max le 3 novembre. L’histoire, qui se déroule pendant la révolution mexicaine, suit un couple d’amoureux empêchés de vivre ensemble par les traditions familiales, entre autres obstacles. “L’un des défis était de le rendre pertinent pour notre époque, où ces traditions n’ont plus cours, dit-elle. Les gens s’intéressent aux diverses manières dont on a fait du tort aux femmes au fil de l ’Histoire”, dit-elle avec un petit rire. Salma est nature et drôle – naturellement drôle –, avec un sens de l’humour un peu tordu. Plus on discute avec elle et plus la remarque de Channing Tatum prend tout son sens (il ne m’a personnellement fallu que cinq minutes).

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Robe imprimée, ALEXANDER McQUEEN PAR SEÁN McGIRR.

Bien qu’elle ait pu constater quelques progrès, c’est toujours une lutte pour réaliser des projets dont les personnages sont mexicains ou hispanophones. Chocolat amer, par exemple, est resté six ans en développement. “J’ai essayé d’expliquer à l’industrie qu’elle passait à côté d’un marché important qui mérite d’être représenté à l’écran, puisque cette communauté a une forte présence, dit-elle. Il y a 600 millions d’hispanophones dans le monde. Certains Latinos ne parlent pas espagnol, mais leurs racines sont hispaniques, et ils ne sont pas pris en considération.

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Combinaison et cape, ELIE SAAB.

Avec Ventanarosa, la société de production qu’elle a fondée avec son associé Jose Tamez en 1999, Salma recherche des projets dont la forte identité latino mais dont les sujets sont universels. “Nous ne produisons que des projets dont nous pensons qu’ils s’adressent à tous les êtres humains. Leur originalité provient de la richesse de cette culture, mais nombre d’autres cultures lui ressemblent et vont pouvoir s’y identifier. Nous n’essayons pas d’isoler des publics, de dire Oh, comme c’est intellectuel. Mais nous ne faisons pas de projets bateaux ou ultra-commerciaux non plus. Nous cherchons ce qui est à la fois original et universel.” Pour Salma, l’originalité est vitale, bien que ce soit de moins en moins vendeur en cette ère où triomphe l’obsession hollywoodienne pour les franchises, remakes, reboots et formules éculées. “Chaque fois que vous arrivez avec quelque chose d’orignal, on vous combat, raconte-t-elle. Même si ce n’est pas un projet latino, chaque fois que vous tentez d’être original, tout le monde panique.” Salma attribue son succès au fait qu’elle ne lâche rien, et qualifie Chocolat amer de “miracle”. “Vous ne pouvez pas vous imaginer tout ce que j’ai dû faire pour arriver à le faire diffuser”, dit-elle. Une adaptation de Chocolat amer était sortie au Mexique en 1992.

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Robe corset et slingbacks, GUCCI. Bague (main droite), BOUCHERON. Bague (main gauche), perso.

Cet automne, Salma sera Nina dans Without Blood d’Angelina Jolie, dont la première a eu lieu au Festival du film de Toronto en septembre. Le long-métrage, adapté du court roman éponyme d’Alessandro Baricco, a pour sujet le traumatisme personnel après la brutalité de la guerre. Nina en souffre directement, elle qui a vu très jeune son père exécuté, et se confronte à son traumatisme tout au long du film. En dépit de ses thèmes et scènes difficiles (“un tas de monologues”), Salma décrit le tournage comme l’un des plus agréables qu’elle ait connus. “Ça ne s’est jamais passé aussi tranquillement, j’ai mémorisé mes répliques sans effort. C’était si étrange. Au début, il y a eu un processus, parce que le premier soir, quand je suis rentrée chez moi, j’ai craqué, j’avais dû retenir mes émotions pendant si longtemps.” Angelina Jolie a conseillé à Salma, pour interpréter ce rôle, de retenir ses émotions plutôt que de leur laisser libre cours.

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Débardeur, INTIMISSIMI. Boucles d’oreilles et collier, BOUCHERON.

Cette expérience aussi agréable que possible – sur un film aussi éprouvant émotionnellement –, elle la doit à Angelina Jolie, que Salma se souvient d’avoir croisée des années auparavant lors d’une soirée professionnelle à Hollywood. Mais elles n’avaient jamais vraiment fait connaissance avant le tournage des Éternels, un Marvel de 2021. Quand Salma parle d’Angelina, elle rayonne, sa voix s’anime tout en restant calme. “Lentement, et de façon très authentique, nous avons commencé à réellement voir qui nous étions mutuellement, ce qui n’est pas ce que voient les autres gens, comme si nous étions sur la même longueur d’onde, ou quelque chose comme ça”, dit-elle. Le tournage terminé, leur amitié a perduré. “C’est très réel, dit-elle, et ce n’est pas quelque chose dont elle parle souvent ou qu’elle affiche sur son Instagram. C’est très spécial. Je ne peux pas le décrire, mais je vois dans vos yeux que vous comprenez ce que j’essaie d’exprimer.” Ce qu’elle semble apprécier plus que tout chez Angelina, c’est son intrépidité – elle a des avis très tranchés, et ne craint pas d’avoir la franchise parfois brutale –, qualité qui s’applique tout autant à Salma. Elle dit d’Angelina qu’elle est une réalisatrice “généreuse” et, à plusieurs reprises, qualifie de “délicieux” le tournage qu’elle a vécu sous sa direction. Toutes deux sont aussi des mères dévouées. Salma a un enfant avec son mari, l’homme d’affaires François-Henri Pinault, et est la belle-mère des trois enfants de ce dernier. Le couple, qui s’est marié en 2009, a une sorte de principe familial : on ne passe jamais plus de deux semaines loin des siens (avec quel- ques exceptions), ce qui peut se révéler un “cauchemar” quand il s’agit de planifier un projet et de le tourner. Angelina s’est adaptée, sans souci.

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Veste, BLAZÉ. Courte robe bustier, ANTONIO RIVA. Jupe rebrodée, NO21 PAR ALESSANDRO DELL’ACQUA. Boucles d’oreilles et bracelet, POMELLATO. Sandales, AQUAZZURA.

Spontanément, Salma évoque le traitement d’Angelina par la presse. “Je n’ai jamais rencontré personne qui soit aussi incompris, dit-elle. J’entends des choses qui sont si éloignées de la réalité. Ça a été une sorte de choc d’assister à ça.” Salma a elle aussi eu droit à son lot de mensonges, “de très, très nombreuses fois”. “À un moment, il y a plusieurs années, au Mexique, on disait que je ne savais plus parler espagnol, que j’avais oublié ma langue maternelle. Pendant qu’aux États-Unis on me disait Vous pouvez vous débarrasser de votre accent?” Avant même d’être célèbre, Salma consacrait une bonne partie de son temps à des œuvres caritatives, et particulièrement à la défense des victimes de violences conjugales. Son engagement pour de telles causes a “toujours été automatique”, quelque chose qui lui vient naturellement. Aujourd’hui, elle et son mari sont au conseil d’administration de la Fondation Kering, qui a pour mission d’“éradiquer la violence basée sur le genre”. En septembre, la fondation a organisé un dîner de gala, Caring for Women, à New York, auquel assistaient des célébrités telles Kim Kardashian, Dakota Johnson et Julianne Moore. Pour Salma, il est important que “95 %” du travail accompli se passe loin des caméras. “C’est très stratégique, explique-t-elle. Je m’offre une infrastructure pour ça. Vous ne me verrez pas en parler sur Instagram.” À l’inverse, son Instagram est le lieu de toutes les joies : photos en bikini, instantanés de la fashion week de Paris (comme une vidéo d’elle avec Harry Styles au show Valentino), photos en coulisses à d’autres événements. Salma me révèle la question qui la dérange toujours au sujet de la cause qu’elle défend : a-t-elle été elle-même victime de violences domestiques ? – ce qui n’est pas le cas. Quand elle répond par la négative, on lui demande le pourquoi de son engagement. “Si on ne s’engage que pour les causes qui nous concernent, s’engage-t-on vraiment ?”

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Robe, BALENCIAGA COUTURE.

Salma a toujours été franche et sincère quant à la condition faite aux femmes dans l’industrie du divertissement, et en dehors, et quant à son expérience de femme de couleur dans cette même industrie, qui l’a toujours incitée à soutenir les autres dans son cas, notamment sa meilleure amie, Penélope Cruz, qu’elle a prise sous son aile lorsque celle-ci a débarqué à Hollywood – en 2006, elles partageaient l’affiche de Bandidas. Mais Salma s’est parfois reproché sa nature franche et directe. “Après coup, je me dis Oh mon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait ? Mais finalement, aujourd’hui, je n’apparais plus si franche puisque tout le monde l’est bien davantage, pense-t-elle. Tout le monde est si polarisé, alors je garde le silence. Les conversations qui n’ont rien à voir avec les problèmes réels mais tout à voir avec le besoin désespéré d’attirer l’attention, m’ennuient. Plein de gens s’intéressent moins aux sujets auxquels ils prétendent s’intéresser qu’au fait d’avoir raison. Le sujet, c’est eux. Franchement, il y a des problèmes si profonds que je ne me fais aucune illusion. Je soutiens ces causes depuis si longtemps que mon opinion n’y changera rien.”

Pendant son temps libre, Salma regarde “beaucoup de trucs nuls” car c’est la seule chose qui la détende. “Les bons trucs, pour moi, c’est du boulot”, dit-elle. Si elle regarde quelque chose d’intéressant, son cerveau s’enclenche; le cerveau de la productrice, pour ainsi dire. “La médiocrité me fait du bien. J’ai trouvé le moyen d’en tirer parti.”

Il est impossible de prendre la mesure exacte de l’influence de Salma tant dans l’action caritative que dans le divertissement, mais son combat pour l’inclusion des Latinos à Hollywood a eu des résultats tangibles. Le carton d’Ugly Betty a certainement fait parler autour des machines à café et, depuis, davantage de séries ou de films centrés sur les Latinos – avec ou sans Salma – ont vu le jour, parmi lesquels Jane the Virgin, Roma, et Coco. Quand je lui demande d’où vient son manque de confiance en elle, elle ne me donne pas de réponse précise. Mais son succès et son influence comptent peut-être parmi les nombreuses choses qui la font douter d’elle-même – un sentiment que les femmes connaissent bien. “Il y a des moments où quelque chose me fait me sentir très fragile, et puis je rebondis sur une plus grande impression de confiance. J’aime cette insécurité, décrit-elle. Je ne la laisse pas m’affecter ou me déborder. C’est le secret. Si je ne doutais pas de moi, je serais arrogante et je n’apprendrais rien. Accepter ses failles, c’est un aspect de la confiance en soi. Bon nombre de nos complexes proviennent d’un travail de sape collectif dirigé contre les femmes. Au bout d’un moment, on peut arrêter de se sentir coupable de se demander si on ne serait pas tout simplement extraordinaire.”

Crédits :
COIFFURE Mariana Padilla
MAQUILLAGE Angloma avec les produits WESTMAN ATELIER
MANUCURE Jessica Malige
PRODUCTION Joshua Glasgow
COUTURIÈRE Alizée Tilagone Le Borgne
ASSISTANTS PHOTO Garth McKee et Lautaro Ceglia
ASSISTANTE STYLISME Nadia Gil
Special thanks, Stefano Roncato

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