Design

L'œil avisé de Lecoadic Scotto

Artistes, designers et architectes, Yann Le Coadic et Alessandro Scotto ont inventé une architecture suggestive où la narration de chaque projet se veut unique. Avec eux, on ne parle pas de signature mais d'émotion, d'habitat, de lumière, de lignes, et surtout de technique pour un art de vivre sur-mesure. 

Les architectes d’intérieur Yann Le Coadic et Alessandro Scotto. CI-DESSUS : Scénographie pour Artcurial.
Les architectes d’intérieur Yann Le Coadic et Alessandro Scotto. CI-DESSUS : Scénographie pour Artcurial.

L’un est né à Gènes, en Italie, et est architecte DPLG, l’autre a étudié les Arts décoratifs et est parisien. À eux deux, ils forment le duo de l’agence Lecoadic Scotto. Avant de les rencontrer, on aurait pu imaginer qu’ils avaient étudié en- semble ou qu’ils se connaissaient depuis l’enfance, mais il n’en est rien. La rencontre s’est presque faite par hasard. Comme nous le raconte Yann Le Coadic : “En sortant des Arts-Déco, j’ai eu la chance d’être l’assistant personnel de l’artiste Christian Astuguevieille qui était, entre autres, le directeur artistique des parfums Comme des Garçons. Rey Kawakubo ve- nait régulièrement lui rendre visite. Il était également en charge d’une collection de mobilier un peu étrange vendue chez Holly Hunt à New York. On échangeait aussi avec Christian Liaigre. Toutes ces rencontres étaient passionnantes. Je travaillais à huis clos avec lui, c’était une personne très exigeante et donc une très bonne école. C’est à ses côtés que je suis un peu tombé dans la marmite de la mode. La première boutique que j’ai réalisée en solo fut celle de Loulou de la Falaise, rue Cambon. Un écrin à la façon d’un cabinet de curiosités. Grâce à lui, mais de façon indirecte, j’ai aussi rencontré Olivier Theyskens pour qui j’ai réalisé la boutique Rochas lorsqu’il en était le directeur artistique. Un joli projet avec de beaux moyens. Je retrouve quelques années plus tard, Olivier chez Nina Ricci, pour réaliser la boutique de l’avenue Montaigne. La pression n’est pas du tout la même. La marque appartient à un géant des cosmétiques qui désire radicalement changer l’image de la marque et imposer celle de leur nouveau designer. On est au milieu des années 2000, j’ai plusieurs chantiers à mon actif mais je n’aurais jamais imaginé que mon premier gros chantier serait si énorme. Le résultat attendu devait dépasser toutes les attentes. Au cours d’une soirée, je laisse échapper que ce projet est trop gros. Pour m’aider, un de mes amis, parle de moi et de ce chantier à Alessandro et propose de nous présenter. C’est ainsi que notre collaboration a commencé. Le projet Nina Ricci s’est joliment terminé et nous avons décliné cette nouvelle identité dans leurs boutiques du monde entier, un travail passionnant.”

Avant donc de s’installer à Paris, Alessandro Scotto fait ses armes chez Locatelli Partners et réalise des projets pour Missoni ou Valentino puis fonde son cabinet en solo. À Paris, les deux hommes collaborent régulièrement jusqu’à ouvrir une agence ensemble en 2001. Quand on les écoute raconter leur histoire, on a envie de parler de complémentarité, et pas seulement à cause de leurs formations, mais également de leurs origines et de leurs cultures. Comme nous l’explique Ales- sandro, “sur tous les projets, on travaille ensemble. On partage tout, mais chacun amène un regard plus pointu à certaines étapes du projet en fonction de ses spécificités”.

Appartement jardins du Palais-Royal.

Des projets substantiels

Dès l’ouverture de leur cabinet, ils continuent sur leur lan- cée dans le monde du luxe, que ce soit pour le parfumeur Francis Kurkdjian ou la créatrice de bijoux Aurélie Bidermann. Pour eux, ils réalisent des petits écrins très parisiens où tout est histoire de détails. L’élégance semble innée chez eux qui préfèrent parler d’intuition. Est-ce que leur élégance est toujours la même en 2022? “On aime bien travailler les atmosphères. Faire en sorte de ne pas suivre les tendances ni les modes. On est très méf iant à l ’égard de cet air du temps que l ’on retrouve chez tout le monde. Cela nous effraie et on aurait plutôt tendance à se baser sur les choses que la France a déjà ancrées en elle.” Question signature et ADN, Le Coadic et Scotto répondent par simplicité. Même si on essaie de leur imposer certaines choses, ils essaient toujours de garder la main sur le gouvernail. Ils évoquent également le sens des proportions pour rester juste, parlent de lumière qu’ils essaient toujours de capter et de faire circuler. Enfin et surtout, ils se tournent vers des projets substantiels avant d’être instagrammables. Chose que leurs amis photographes, comme Mathieu Salvaing ou François Hallard, ne manquent pas de leur rappeler avec humour. “Au début, on s’est demandé pourquoi puis on a compris : l’image parfaite n’est pas dans nos priorités même si c’est important. Nous essayons plutôt de faire ressentir une ambiance.” Et justement, il suffit de pousser la porte d’un hôtel ou d’une maison qu’ils ont réalisés pour comprendre que chacun de leur projet raconte une histoire. Le Nolinski Venise – qui va ouvrir en début d’année prochaine, et qui a été acheté aux enchères par le même groupe hôtelier que celui de l’hôtel Cours des Vosges –, qu’ils ont réalisé, fut pendant plusieurs décennies la chambre de commerce de la ville de Venise. “Un bâtiment exceptionnel devant lequel tout le monde passe mais ne s’arrête jamais, hypnotisé par le Grand Canal et ses palais. Il se trouve après la place Saint-Marc, en allant vers le pont du Rialto. Il surplombe la ville avec sa façade néoclassique habillée d’ornements maritimes classés, mais surtout il ne ressemble à rien de ce que l’on peut voir à Venise. C’est le premier bâtiment de la ville en béton armé, il est donc ancré dans le xxe siècle, et c’est sur ce détail que le départ de notre réflexion a commencé. Cet hôtel sera un 5 étoiles avec un restaurant étoilé, le premier à Venise. Il arrive à point nommé avec la part belle que font le cinéma, l’art et la mode à la Cité des doges.”

Appartement Jardins du Palais-Royal et Duplex Saint-Dominique.
Appartement Jardins du Palais-Royal et Duplex Saint-Dominique.

Du design à l’archéologie

Pour un hôtel particulier parisien à la devanture Directoire, le studio a étudié le séquençage de ce type de bâtiment et la main courante en fer forgé qui y a laissé ses empreintes. Chaque projet est l’occasion de se plonger dans un univers et d’en tirer les ficelles. Pour l’hôtel Cours des Vosges, ils ont pris possession d’un hôtel particulier du xviie. Quand ils sont arrivés sur place, ils y ont découvert “un showroom en open space déglingué avec du lino et du faux parquet Versailles. La seule chose qui était dingue était la vue, sur la place des Vosges”. Ils refont tout, du sol au plafond, et jouent avec l’idée de chambres communicantes pour un effet bluffant. Très souvent, leurs chantiers les poussent presque vers l’archéologie. Ils décollent les papiers peints, tombent les faux plafonds, regardent sous les planchers et parfois découvrent des mer- veilles comme un enduit du XVIIe ou un plafond d’époque intact. Chacun de leur projet les amène à rencontrer des clients impliqués, passionnés, cultivés qui leur sont fidèles. Ils commencent toujours par savoir comment vivent leurs clients. Leur première rencontre ressemble presque à une séance de psy. Ils veulent connaître la moindre habitude : est-ce qu’ils reçoivent, fument le cigare, aiment prendre un verre, écoutent de la musique?... “À la fin, ce sont eux qui vont vivre dedans et en profiter longtemps...” Cette notion d’habitat passionne Yann Le Coadic qui l’étudie à travers les musées d’archéologie du monde entier. “C’est une quête sans fin. On murit. On grandit. Notre œil continue sans cesse de s’améliorer. Il voit mieux et il continue de chercher.” En plus de cette passion, l’architecte est revenu en solo vers le design, l’un de ses premiers amours, avec sa première collection d’objets et de mobilier, Ehrerò, tout en métal, éditée par Pouenat et sortie au tout début de cette année. “Je l’ai initiée parce que je disais à Alessandro que j’aimerais bien faire autre chose que des chantiers, des travaux plus personnels. Je me suis donc lancé et je vais continuer à développer des projets dans un esprit un peu plus radical. J’ai besoin d’expérimenter, redessiner, peindre, sculpter pour nourrir mon travail et mes inspirations d ’architecte.”

Duplex Saint-Dominique (salle de bains) et Duplex Saint-Sulpice.
Duplex Saint-Dominique (salle de bains) et Duplex Saint-Sulpice.

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