Le marseillais
Ora-ïto a 44 ans et des airs d'éternel adolescent. Mais il ne faut pas se fier à son visage juvénile et à son allure très décontractée. En réalité, tout ce que le designer touche se transforme en or. Son dernier coup d'éclat ? Le designer a servi d’intermédiaire entre Emmanuel Macron et l’artiste Daniel Buren, qui a réalisé une œuvre patriotique aux couleurs du drapeau français pour l’Élysée. Cette dernière, qui consiste en une décoration de la verrière du jardin d’hiver, était dévoilée à un parterre de personnalités en vue en septembre dernier, lors d'un événement très médiatisé. Les affinités entre le petit prince du design et le président ne datent cependant pas d'hier. Emmanuel Macron s'asseyait déjà dans un fauteuil créé par le designer lors du débat télévisé l'opposant à Marine le Pen en 2017. Et dans le bureau présidentiel, trône deux siègles Ico (avec la maison italienne Cassina) signés par le prodige qui fait la fierté du Sud.
L'art de la simplexité
Avant d'être adoubé par les Ors de la République, Ora-ïto avait déjà marqué plusieurs fois les esprits jusqu'à devenir incontournable. A même pas 20 ans, celui qui a rapidement arrêté ses études en école de design (ESDI) utilisait les logos de grandes marques (sans leur demander leur autorisation) pour créer des objets virtuels en 3D. Il imaginait ainsi un sac à dos Louis Vuitton et une mallette pour ordinateur portable Apple jusqu'à attirer l'attention des marques qu'il « hackait. » Très jeune, dans les années 90, bénéficiant d'un buzz conséquent, il monte sa propre marque. Un pari gagnant. Que ce soit lorsqu'il dessine des chaises, des canapés ou des lampes, on retrouve toujours chez le designer sa touche élégante, intemporelle et futuriste. Ce fils de joaillier (le Français Pascal Morabito) et neveu d'architecte (Yves Bayard) travaille ses œuvres avec une précision d'orfèvre. Les lignes et les couleurs sont sobres mais rien n'est laissé au hasard. Ce style, le designer le surnomme la « simplexité », soit un mélange entre une simplicité apparente et une complexité cachée dans l'élaboration des formes. Sur son site web, le Marseillais explique ainsi sa vision des choses : « La simplexité est l’art de rendre simple des choses compliquées. Cela consiste donc à développer une réponse simple face un problème complexe. Pour être simple sans être simpliste, le travail d’un designer consiste à trouver la solution intégrant le maximum de complexité dans une enveloppe aussi simple que possible, à réunir le maximum de contraintes derrière la façade la plus évidente à comprendre et à utiliser. Une forme simplexe est une forme d’apparence simple mais qui intègre une complexité invisible. »
Éclectisme et modernité
Au fil des années, le jeune homme multiplie les projets osés et éclectiques. Tout semble l'inspirer, du petit objet du quotidien à l'espace d’envergure. Le designer touche à tout s'est déjà attaqué à une bouteille en aluminium pour Heineken, un flacon de parfum pour Guerlain (Idylle), un vélo électrique (pour Angell) qui a fait sensation, des casques, des lunettes, un hôtel, un cinéma, des baskets (Nike), des bijoux (Christofle) et même des tramways et des métros. Parmi les clients de l'artiste-entrepreneur, on compte Adidas, l’Oréal, Toyota, Levi's, Kenzo, le groupe Air, Thierry Mugler ou encore Habitat… Le projet le plus salué de celui a été nommé Chevalier des arts et des lettres en 2011 ? Il s'agit sans doute
du MaMo (Marseille Modulor), un centre d'art en plein ciel qui surplombe la Cité radieuse, le chef-d’œuvre réalisé par Le Corbusier à Marseille.
« Pouvait-on trouver mieux ? Plus puissant, plus iconique, plus exaltant, plus énergique que ce toit-terrasse déposé dans les airs ? » explique le designer à son sujet. A l'image de ce lieu qui atteint littéralement les sommets, l'odyssée Ora-ïto n'est pas prête de s'arrêter. L'homme de plus en plus préoccupé par les problématiques écologiques travaille actuellement sur le projet Odysseo dans sa ville natale. En plein dans l'air du temps, il s'agira d'un lieu d'éducation et de sensibilisation à l’environnement décliné en plusieurs pans. Cette idée devrait prendre corps en 2026, avec un musée interactif, un centre de recherche et un campus de formation aux métiers de la transition écologique. Afin de former les Ora-ïto de demain ?
Ora-ïto nous parle de sa collaboration de longue date avec Daniel Buren :
« On s’est rencontrés il y a plusieurs années grâce au galeriste Kamel Mennour. On a fait une exposition ensemble durant l’été 2013, au MaMo à Marseille. Elle s’appelait Défini, fini, Infini. On a imaginé une pièce infinie. Ensuite, il y a eu plusieurs projets à deux. On a travaillé sur un immeuble dans le 15ème arrondissement de Paris, avec une école de cuisine à l’intérieur ou encore sur une tour à Monaco, qui sera inaugurée en janvier prochain. On bosse sur les projets en amont, du principe, jusqu’à la construction. Pour la verrière de l’Elysée, je n’aime pas l’expression « jouer les intermédiaires ». En fait, on m’avait demandé de réfléchir à des espaces. Et en voyant la verrière du Jardin d’hiver, j’ai tout de suite pensé à Daniel Buren pour la réinventer. »