Design

Charles Zana : "J'aime intégrer l’art dans les maisons"

L’architecte et décorateur d’intérieur imagine des intérieurs au classicisme twisté dont la signature est un juste équilibre entre design contemporain et empreinte du passé. Rencontre avec un homme passionné et passionnant qui met en scène les œuvres d’art de ses clients dans les intérieurs qu’il dessine, et qui nous parle de sa collection de mobilier récemment éditée.

portrait photography head face person beard finger man adult male

Acteur incontournable de la décoration d’intérieur et de l’architecture, Charles Zana l’est certainement devenu sous l’influence de son père, qui a gardé un amour du bâtiment après ses études de dessin technique et industriel, et qui avait eu l’occasion de dessiner des ponts du génie civil en Tunisie. Une passion qu’il avait lui-même héritée de son père, promoteur immobilier. L’architecture sous ses différentes formes a donc toujours fait partie de la famille Zana, et s’est transmise de père en fils sur deux générations.

Mais bien avant l’architecture, c’est à l’art que Charles Zana s’intéresse, très jeune. Ce goût lui est transmis là encore par son père qui aime beaucoup le peintre Georges Mathieu, certains artistes des années 50 comme Jean-Michel Atlan, et qui collectionne les céramiques de Georges Jouve, Jean Lurçat ou Pablo Picasso.

Les dialogues, parfois les chocs

On est dans les années 1970, marquées par l’amour des Pompidou pour les arts. “Ils avaient une vision moderne de la société aussi bien dans la mode, la musique, la littérature ou l’art, leur aménagement était donc résolument contemporain.” Avant même de commencer ses études, sa culture artistique du jeune Charles Zana est solide. Parallèlement, il est plutôt bon en mathéma- tiques et en géométrie. L’architecture, à ses yeux, semble alors regrouper ces deux spécificités, l’art et la géométrie. Il passe donc le concours des Beaux-Arts de Paris, qu’il réussit.

interior design wood floor living room table flooring chair dining room dining table person

Charles adore l’idée d’aller étudier à Saint-Germain-des-Prés. Il s’y rend en bus depuis Saint-Mandé où il vit avec ses parents. “J’aimais Saint-Germain pour son architecture, sa proximité avec la Seine, et son histoire avec cette aristocratie qui vivait entre Montparnasse et Saint-Germain”. Et puis c’était l’époque où les galeries d’arts décoratifs comme Valois, Gastou ou François Laffanour commençaient à s’installer entre la rue des Beaux-Arts et la rue de Seine. “Pour moi, jeune étudiant qui aimait beaucoup le mobilier d’architecte, c’était fantastique d’avoir toutes ces galeries qui s’agrégeaient autour de l’école.”

Six ans d’études plus tard, il part à New York, puis revient à Paris pour fonder son agence, Charles Zana Architectes, en 1990. Ses mentors en la matière sont Luis Barragán, dont le travail “s’est inscrit très fortement dans la culture de son pays, le Mexique, avec l’utilisation de ses formes et de ses matériaux et [m]’a ouvert à une architecture beaucoup plus contemporaine”. Ettore Sottsass le passionne pour “sa mélancolie, son ironie et sa façon de ramener du divin dans le projet”. Carlo Scarpa, “le virtuose de l’architecture qui a imaginé les bases de la scénographie contemporaine”. Et Louis Kahn qui “a puisé dans la tradition américaine et donc dans l ’Arts & Crafts pour réaliser des bâtiments iconiques avec l ’utilisation du bois et de la brique”.

Dès ses débuts, on retrouve dans le travail de Charles Zana, “cet art de vivre à la française avec cette idée de la tradition maîtrisée, de ce goût pour l’histoire, la culture, et en même temps cette envie de changement et de quelque chose de résolument plus contemporain”. Il a un très grand talent également pour mettre en scène les œuvres d’art de ses clients dans les intérieurs qu’il dessine. On pourrait imaginer qu’il travaille comme un commissaire d’exposition, ce à quoi il répond : “si l’on considère que l’exposition, c’est la vie de mes clients, alors oui je travaille comme un commissaire d’exposition. Ce que j’aime dans mon travail, c’est mettre en scène des familles, leurs goûts, partir d’un existant et intégrer l ’art dans les maisons”.

living room furniture couch interior design home decor lamp chair flooring floor person

Alors qu’il est en train de commencer à installer des œuvres d’art dans une maison à Saint-Tropez, qu’il vient de terminer, il confie aimer “poser les œuvres de façon intuitive. Quand on fait des expositions, on est parfois obligé de suivre un sens chronologique. Moi non, dans les maisons, je préfère, encore une fois, les dialogues, parfois les chocs, je peux aimer les deux. Je pense que les objets se répondent et que les œuvres s’installent un peu naturellement”.

Les clients de Charles Zana sont très souvent des collectionneurs comme lui, et ont pour point commun de ne pas avoir envie d’une maison de décorateur. Comme il nous explique : “Je suis très contextuel. J’aime bien faire à Saint-Tropez une maison qui se réfère à la Provence, travailler des terres cuites, le plâtre, les enduits à la chaux. Si je fais une maison à New York, je vais avoir envie de travailler les bois peints. Mes clients sont dans ce même respect des maisons, des lieux et ne veulent pas de décor. Ils désirent un aménagement intérieur à la façon d’un art de vivre respectueux des lieux. J’ai la chance de faire des maisons dans de beaux endroits, j’aime beaucoup l’idée de respecter, de continuer quelque chose quand les existants sont intéressants, mettre en scène les lieux, les gens et les collections. Avec ces trois éléments, je vais imaginer une narration et réaliser une belle maison.”

Une table de salle à manger pour deux assiettes

Chaque intérieur qu’imagine Charles Zana raconte donc une histoire, “j’aime bien dire que, depuis vingt ans, je suis dans la narration. J’aime l’idée de parler des projets sans montrer d’images, ce qui n’est pas toujours facile”. On en profite pour lui demander de nous raconter l’histoire de son appartement... “C’est un appartement XVIIIe qui a été très peu abîmé, très peu touché et très peu restauré. On sent donc la trace du temps. On ne cherche pas à mentir ni à rénover et j’aime vivre dans cette ambiance-là. Les proportions du XVIIIe siècle sont celles que j’adore. C’est presque comme les aristocrates, presque trop haut, presque trop grand, presque trop habité et presque trop déglingue, mais ça garde un panache et une beauté incroyable. Et pour la décoration, j’ai ajouté quelques touches contemporaines avec le mobilier”. En effet, Charles Zana a commencé à éditer sa propre collection de mobilier il y a quelques mois, et nous raconte ses prémices. “On a lancé notre mobilier pendant la FIAC l’année dernière et on le présentera cette année au Paris Art Design. Nous avons toujours dessiné du mobilier pour nos projets, cela s’inscrit dans cette tradition française de l’art décoratif, la haute couture de la décoration d’intérieur. Mais quand la demande venue de particuliers qui ne désiraient pas refaire leur maison est elle aussi apparue, on a décidé de s’y consacrer pleinement. L’approche qui consiste à dessiner des meubles pour des espaces que je n’ai pas moi-même dessinés est vraiment nouvelle. C’est une autre façon d’appréhender un espace. Cette démarche est très française. Mes confrères et moi sommes issus de l’aménagement intérieur, on connaît donc très bien l’utilisation finale de chaque objet. À chaque client, une nouvelle demande. Certains veulent un canapé pour discuter, d’autres une table de salle à manger pour deux assiettes. À la façon d’un couturier, ce que nous proposons est du sur-mesure.” Dans sa proposition, on trouve des tables, des bureaux, des chaises, des fauteuils, des canapés et des luminaires. Tout est très raffiné, d’un goût exquis, surtout pas tape-à-l’œil, et de très belle facture. Il y a une harmonie des matières, des volumes intéressants et des couleurs subtilement choisies.

staircase interior design flooring floor handrail wood dining room living room chair hardwood

Pour ce qui est de ses chantiers actuels, Charles Zana, qui a l’habitude de dessiner des hôtels (le Lou Pinet à Saint-Tropez ou le Kimpton à Paris), des appartements haussmanniens ou des palais vénitiens, des boutiques (Goyard à Monte-Carlo), des salons de coiffure comme celui de David Mallett à New York et des restaurants (Café Artcurial à Paris), travaille actuellement sur un restaurant/atelier/boutique pour le pâtissier Yann Couvreur à Miami – qui devrait ouvrir ses portes pour Art Basel Miami. Quand cet architecte ultra-talentueux n’est pas sur ses chantiers ou avec ses clients, il parcourt les ga- leries d’art à la recherche de perles rares comme Adel Abdes- semed dont il aime la virtuosité, l’artiste sud-africaine Marlene Dumas qu’il a découverte à la biennale de Venise et qui est selon lui la plus grande peintre actuelle, ou, dans un genre différent, la peintre franco-israélienne Nathanaëlle Herbelin. Quand il contemple une œuvre, Charles Zana “a besoin de sentir un propos, une cause, un fond. Je n’aime pas l’art quand il est purement décoratif, mais j’adore le courant de l’Art décoratif ”. Cet homme, qui n’arrête jamais, est également professeur à l’école Camondo et propose un cours intitulé “L’art et le design : la collection dans le projet”, qui a pour but d’éveiller la curiosité et l’appétit de ses étudiants pour la culture. Cette envie lui est venue lors d’une conversation avec le directeur de l’école, René-Jacques Meyer, à l’occasion d’une remise de prix pour lequel il faisait partie du jury. Mais cette envie est surtout née d’un constat, “si l ’on veut que Paris demeure la capitale de la décoration d’intérieur, alors il faut que les meilleures écoles du genre soient ici et que nous, architectes, trouvions du temps pour transmettre notre expérience”. Chose dite, chose faite, il est ainsi devenu enseignant. Charles Zana, un homme aux multiples talents, dont la créativité sans limites ne cesse de nous bluffer.

flooring floor interior design chandelier lamp living room furniture building couch home decor

Tags

Recommandé pour vous