Pierre Marie : "rien ne m’excite plus qu’un nuancier"
Il embellit tout ce qu'il touche. Sur ces imprimés singuliers, l'intelligence des formes s'allie à la richesse des couleurs. Rencontre avec un ornemaniste enchanteur.
L’OFFICIEL : Enfant, rêviez-vous d’être artiste dessinateur?
PIERRE MARIE : La légende familiale raconte que, à 4 ans, j’ai commandé un bureau et des crayons pour Noël, et quand mes parents m’ont demandé si je ne préférais pas un jouet, j’ai répondu “si ça peut vous faire plaisir”! (rires) Je suis retombé sur des photos d’enfance où l’on me voit dessiner sur ma serviette de plage au lieu de faire des châteaux de sable. Et j’ai passé ma scolarité à dessiner dans les marges de mes cahiers. Mon rêve, c’était de travailler pour les studios Disney, je m’amusais à inventer des histoires fantastiques.
L’O : Vous avez été le plus jeune dessinateur de carrés pour Hermès, parlez-nous de cette aventure...
PM : Quand j’ai contacté Hermès en 2008, j’étais le plus jeune, oui. Depuis mon premier carré L’Ombrelle Magique, sorti en 2010, j’en ai dessiné une trentaine pour cette belle maison. Je me souviens de mon arrivée dans l’“écurie” de dessinateurs de carrés, il y avait Henri d’Origny, Cathy Latham et Joachim Metz, trois grands dessina- teurs qui ont signé des carrés que je collectionnais...
L’O : Vous vous décrivez comme un ornemaniste, celui qui décore tout, vous décorez vraiment tout ?
PM : Oui! Dans un intérieur, il n’est pas une surface que je n’envisage pas de décorer d’un motif, d’un dessin. Bien sûr tout est question d’équilibre et je veille à ce que cette envie d’ornement ne devienne un automatisme, une recette. Cette envie doit se concilier avec une observation des lieux, une rigoureuse mise en scène dans l’espace, et une circulation fluide. Le résultat doit être agréable à vivre.
L’O : Parlez-nous de votre univers créatif nourri de votre carte postale mentale issue de vos vacances à vélo en France...
PM : Ces grandes randonnées à travers la France (1500 km chaque été!) sont une idée de mon petit ami, Ahmed. L’été prochain, on aura fini la boucle que nous avons entamée il y a six ans et complété ainsi notre tour de France. Cette formule sportive a été une vraie révélation pour moi qui ne tiens pas en place. Le vélo, pour nous, c’est l’allure parfaite qui permet de découvrir notre pays hors des sentiers battus.
L’O : Ras el Hanout est votre œuvre la plus connue...
PM : C’est ma première tapisserie et c’est une œuvre manifeste. Elle porte en elle un double message : le désir du renouveau des arts décoratifs et la perpétuation d’un savoir-faire inscrit au patri- moine culturel immatériel de l’humanité : la tapisserie d’Aubusson. Lorsque j’ai rencontré Patricia Racine, la directrice artistique de la Manufacture Robert Four, je lui ai parlé de mon souhait de faire une tapisserie à Aubusson dans les traces de Jean Lurçat ou encore Dom Robert, et elle m’a ouvert les portes de la Manufacture. J’ai pu choisir 300 couleurs nécessaires pour cet ouvrage “parfumé”, représentant ce mélange d’épices d’Afrique du Nord à la façon d’un herbier géant, en écho aux tapisseries millefleurs du Moyen-Âge ou aux tapis persans qui sont toujours des représentations de jardins.
L’O : Avec quels architectes d’intérieur travaillez-vous?
PM : J’ai collaboré l’année passée avec Franklin Azzi pour un restaurant sur le toit des Galeries Lafayette,Tortuga. Je travaille régulièrement avec Pierre Yovanovitch pour des tapis et plus récemment des vitraux que je crée sur mesure pour ses magnifiques chantiers. India Mahdavi me soutient en achetant des pièces que j’expose dans ma galerie. Et je suis en train de plancher avec Charles Zana sur un projet de vitrail monumental pour un futur hôtel à Paris.
L’O : Parlez-nous de votre galerie parisienne...
PM : S’il est vrai que le textile et le verre ont une place de choix dans ma pratique, j’aime travailler d’autres matériaux. C’est ce que j’explore au sein des expositions que je présente dans ma galerie du 9e arrondissement. Chaque fois, c’est une nouvelle histoire, avec un décor fait de pièces autoéditées (tapis, luminaires, objets). De la pièce unique à l’édition de 8, ces œuvres constituent au fil des années un catalogue de pièces de collection.
L’O : Qui sont vos mentors ?
PM : J’aime l’idée de l’art total qui est un des fers de lance du mouvement Art nouveau. Par conséquent, je dirais que mes mentors sont William Morris, Paul Follot ou Victor Horta bien sûr. J’ai créé un papier peint pour sa maison, qui est aujourd’hui le Musée Horta à Bruxelles, il est posé sur les murs de son bureau. C’était une magnifique expérience!
L’O : La couleur a-t-elle encore des mystères pour vous ? quelles sont celles que vous aimez travailler et celles que vous détestez, et pourquoi ?
PM : Les couleurs restent un mystère et c’est ce qui est beau! Rien ne m’excite plus qu’un nuancier. Dans l’absolu je ne déteste aucune couleur, tout dépend de son support, et la façon qu’elle a de résonner avec son entourage. J’aurais plutôt tendance à éviter les teintes trop pures, sorties du tube. Ce que j’aime en fait, c’est l’idée d’une palette, d’une harmonie colorée.
L’O : Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
PM : Sur un appartement haussmannien à Paris, un appartement Art déco à Milan et la prochaine exposition à la galerie. Le reste je ne peux pas encore vous en parler, mais je ne chôme pas !