Be Well

Décryptage : quand le bien-être mène à une injonction de prendre soin de soi à tout prix

Quand le développement du "wellness" mène à une injonction ressentie de prendre soin de soi à tout prix, on se détourne du "bien-être pression" pour retrouver le plaisir avant tout. 

body part face head neck person skin

Appliquer lotions, sérums, crèmes et concealers avant le yoga mais après la méditation face au soleil levant peut devenir une contrainte, surtout quand ces routines s’accompagnent d’une culpabilisation en filigrane. "On a beaucoup utilisé le mot “bien-être”, qui est quasiment devenu synonyme de bonheur. Sous l'angle de la beauté, on l’a lié à la santé, au fait d'avoir une peau radieuse et des cheveux brillants, et on y a ajouté des rituels de sport et d'alimentation. Le soin de soi, des autres et de la planète, le tout imbriqué, est devenu le prérequis à ce “bien-être”. Mais chaque tendance a sa contre tendance et de plus en plus de gens se tournent vers des pratiques moins complexes, moins altruistes et plus personnalisées. Plus égoïstes.Anne Étienne-Reboul, CEO de Peclers Paris, l’un des plus importants bureaux de tendances et d’enquêtes prospectives internationales, analyse les évolutions des microtendances. Elle annonce l’arrivée de nouvelles aspirations profondes, en direction d’une quête de plaisir sans complexe. "On est moins obsédés par la clean beauty et les discours moralisateurs ont du mal à fédérer ceux qui veulent simplement se sentir bien, sans s’imposer des objectifs contraignants. On observe un phénomène nouveau de rejet de l'injonction de bonheur lié au bien-être, qui sur-responsabilise les individus." Si on n’est pas heureux, c'est qu'on n'a pas fait la bonne retraite en silence, si on est déprimé, c'est qu'on n'a pas enlacé le bon arbre. "Des humoristes comme Florence Foresti et Blanche Gardin, plus acides, détournent la bonne pensée de l’épanouissement cliché et rencontrent l’adhésion de toutes les générations." Prendre soin de soi sans se plier aux normes crypto new age ouvrirait donc la voie à une autre spiritualité : celle qui rend la vie plus drôle.  

cup coffee table furniture table couch glass beer beverage living room candle

Une routine beauté si et comme on veut

Pour Anne Étienne-Reboul, il faut s'insurger contre l'idée que si on ne s'investit pas assez, on est en faillite personnelle, alors qu’on ne fait que se prémunir d’un déséquilibre. "C'est sans doute une réaction post-Covid : le bien-être ne rime plus avec équilibre, contrôle et modération. L’excès, la jouissance, la célébration, marquent une rupture avec les obligations de vie saine, rigoureuse et moralisatrice. 80 % des Américains considèrent la masturbation comme du soin de soi et on voit apparaître en cosmétique des “sex cares”, produits de soin qui reproduisent le glow et le rouge aux joues post-orgasme." Aujourd’hui, on veut pouvoir faire du yoga et engloutir un burger pour fêter ça. La subculture de salle de bains, la marque de cosmétiques tout-terrain (Malin+Goetz) en a fait son signe distinctif. Lancée à New York en 2004 par deux entrepreneurs très occupés qui ont eu l’intuition qu’une certaine sociologie de consommateurs débordés était prête à accueillir une gamme de soins adaptés à un lifestyle moderne urbain, "à contre-pied de ceux qui prônent la déconnexion et l'illusion du temps pour soi", explique Simon Ford, General Manager de la marque pour l’Europe. "Ils ont choisi de s'adresser aux gens pressés, stressés, pour lesquels ils conçoivent des produits multifonctions. Toute la famille, le ou la partenaire, les colocataires, sans distinction d’âge ou de genre, peuvent les utiliser. Leur philosophie consiste à ne surtout pas donner de leçon, mais à accompagner les mœurs. Il est au moins autant question de modes de vie que de cosmétologie." En plus des performances de formulation - naturelles et minimalistes -, Andrew Goetz et Matthew Malin injectent du fun dans leurs flacons, avec des parfums différents des codes habituels de la beauté. Chez eux, les produits sentent la menthe poivrée, le rhum brun, le cannabis ou la bergamote et sont évidemment mixtes.

1 / 3

Plus belle quand on se rebelle

"Le lâcher-prise, ça mène aujourd'hui à la débauche bien plaisante", souligne Anne Étienne-Reboul. "L’expression de l’année 2022 selon l’Oxford English Dictionary était “Goblin mode”, l’éloge de la pantoufle, l’anti-meilleure version de soi ! La flemme est devenue une revendication et parallèlement, on voit émerger des tendances fortes autour du “relâchement jubilatoire”, c’est-à-dire l’inaction comme moyen privilégié d’accès à une forme d’apaisement émotionnel."  Et ce serait peut-être la formule clef pour optimiser l’effet des soins que l’on se prodigue finalement. Selon le Dr Philippe Allouche, directeur de la marque de beauté française Biologique Recherche, "un soin fonctionne mieux si on y adhère". Deuxième génération de chercheurs à l’origine d’un concept de soins cosmétiques personnalisés adaptés à chaque temporalité de la peau, il souligne que "le stress psychologique, quand on est culpabilisé, n'est pas très bon pour les cellules. Le politiquement correct ne fonctionne pas avec le physiologique. Je ne suis pas un médecin qui réprimande. C’est pour ça que j'ai conçu une cosmétologie “couture” qui permet de choisir, au cas par cas, les soins et textures qui attirent et font du bien. Je crois au bénéfice du changement. Comme les neurones qui perdent leurs connexions si on fait toujours la même chose, les cellules s'accoutument. La peau, il faut la surprendre, varier les rituels. Surtout qu’elle est très sensible au psychosomatique." Le concept mélange psychologie et pharmacologie. "Si une femme me dit : “Je veux aller au soleil”, même si ça n'est pas idéal, je vais lui conseiller les meilleurs moyens et les soins les plus adaptés pour se protéger, mais pas essayer de la dissuader." Pour soigner son corps et son moral sans finir en "beauty burn-out", l’époque mène à remiser les routines contraignantes au placard, à affûter son bon sens et à se simplifier la vie.

1 / 3
Dr Philippe Allouche, directeur de la marque de beauté française Biologique Recherche.

Du "selfcare" au développement personnel

"Dans l'effervescence de la société moderne, où la recherche du bien-être semble être la norme, il est crucial de distinguer l'exploration authentique de soi de l'exploitation des privilèges sociaux, au prétexte d'une quête spirituelle.Anda Burcea, diplômée en biotechnologie de l’environnement, a fondé en 2015 le centre de soins Alchimie et lancé dans la foulée une gamme de cosmétiques 100% naturels. Avec son équipe d’esthéticiennes qui prêtent une écoute particulièrement attentive aux besoins de celles et ceux qui les sollicitent, Anda dispense des soins sur mesure. Pointant certaines dérives, elle ajoute : "Le désir croissant d'atteindre un idéal de bien-être optimal peut parfois nous pousser à formuler des attentes irréalistes et à nous tourner vers des solutions pseudo-scientifiques, ce qui peut être néfaste. Le vrai bien-être devrait être une démarche de prise en charge de soi, plutôt qu’une poursuite d’idéaux inatteignables ou une adhésion à des tendances sans substance." La revue Society a dénoncé en avril 2023 les dogmes radicaux qui sont susceptibles de mettre la santé en danger, dans un dossier Quand le bien-être tue, visant les stages "nature", les jeûnes intempestifs et les thérapies alternatives. Pour Anda Burcea, "à une époque saturée de désinformation et de solutions miracles, il est essentiel pour les praticiens de spa de préserver l'intégrité et de prioriser le bien-être de leurs clients. Je suis régulièrement témoin des défis particuliers auxquels sont confrontés les citadins, dans une ville internationale où ils sont nombreux à vivre et travailler loin de leurs proches. Ça accentue souvent le besoin de se connecter, de se rapprocher de ses racines et d'appartenir à une communauté." Pour répondre à ce contexte spécifique, Alchimie propose une série d'ateliers pour favoriser le dialogue, remettre en question les normes du bien-être et valoriser les fournisseurs locaux. "Dans notre métier, on devrait forcément proposer des massages aux noms exotiques et des promesses de manipulations “liftantes”. Je préfère ouvrir le dialogue et permettre aux clients d'embrasser le bien-être à leur manière." Se réapproprier le droit à l’imperfection et au tâtonnement, un peu de paresse les doigts dans les pots de soin, reviendrait finalement à adopter l’attitude "gobelin" pour finir en elfe.

1 / 3

Tags

Recommandé pour vous