Rencontre avec Billy Crudup, la star de la série Hello Tomorrow !
A l'occasion du dernier épisode de la magnifique série Hello Tomorrow ! L’Officiel a rencontré son acteur principal Billy Crudup
Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce rôle ?
Quand j’ai lu le scénario, la voix de Jack (son personnage, ndlr), m’était familière. Son optimisme, son espoir, sa détermination à croire en un avenir meilleur, faisaient partie intégrante du vocabulaire de mon père. Il n’y a pas une opportunité de ce qu’il pensait être son prochain succès entrepreneurial à coté de laquelle il passait. Même si souvent, aucune réussite majeure ne se profilait à l’horizon. Cette capacité pleine d’espérance à prêcher pour des lendemains meilleurs a eu une importance majeure dans mon enfance, et je n’avais jamais eu, jusqu’à présent, l’occasion d’être confronté à un sujet qui résonne de façon aussi stimulante avec cette voix.
D’une manière générale, êtes-vous plus enclin à accepter des rôles qui présentent un caractère familier ?
Mon approche est en grande partie intuitive. C’est rare que je retrouve dans un rôle une corrélation précise entre ma vie et le personnage. Je pense être attiré par les rôles écrits avec assez de complexité pour que je puisse en faire quelque chose de créatif, de personnel. Quand il y a une ligne narrative très nette séparant les bons des méchants, mon imagination n’est pas très stimulée…Quand l’écriture explore plus de nuances, avec des zones d’incertitudes sur les motivations des personnages, leurs intentions, leur sens de la morale, que l’on se demande de quel genre de personnage il peut bien s’agir, c’est ce que je préfère. Je ne recherche donc pas forcément un miroir de ma vie mais une certaine écriture, neuve, pour jouer un rôle que je n’ai jamais joué avant, pour expérimenter un autre rapport au monde.
A mes yeux,Russell, le personnage que vous interprétiez dans Almost Famous, Russell, est assez proche de Jack dans Hello, Tomorrow ! L’un incarne l’espoir que le rock apporte, et l’autre fait miroiter la perspective d'une vie meilleure sur la lune. Les deux sont des rêveurs et des prêcheurs…
C’est une analogie intéressante, je n’y avais jamais pensé. Russell est en effet l’autre face de la pièce, il concrétise sa promesse, il a un vrai talent mais il est retenu par l’aspect pragmatique d'appartenir d’un groupe qui doit gagner de l’argent. Jack aime se penser comme un virtuose de son art. L’ambition, le potentiel, les promesses font partie intégrante de la vie américaine, de l’histoire américaine, avec la notion qu’il faut faire mieux que les générations précédentes. C’est difficile, pour n’importe qui, de se voir fixer un tel objectif. Ce poids idéologique façonne la psychologie de ceux et celles qui ne tirent aucun avantage extraordinaire dans leurs talents. Je crois que c’est une bénédiction et une malédiction. On retrouve cette dynamique dans l’histoire écrite par les créateurs de la série, Amit Bhalla et Lucas Jansen. Jack change des vies de manière fantasmatique, et les détruit de manière très prosaïque.
Est-ce que cette série est intrinsèquement américaine dans la mesure où justement elle traite de l’aspiration à dépasser toujours la prochaine frontière ?
Je n’ai jamais vécu très longuement dans un autre pays, et je suis certains que d’autres ont leur propre historique et legs. Mais certainement l’Amérique est marquée par cette dimension, celle d’être la terre de toutes les opportunités, dessinée par les pionniers, relayée de manière très généreuse par l'Histoire. Assurément, une certaine audace, une capacité à aller voir de l’autre côté de l’horizon, sont des traits caractéristiques de l’histoire américaine. Toutes les personnalités ne sont pas aptes à suivre cette ligne de fuite, ce qui peut entraîner de la désillusion.
C’est aussi le moteur d’un acteur : toujours chercher un défi inédit et stimulant…
Absolument. Sans aucun doute il y a une analogie entre les représentants de commerce, les acteurs, les prêcheurs, les conteurs, qui savent bien que l’histoire elle-même a plus de substance que son contenu, que c’est l’acte même de la vendre qui lui donne de la valeur. Quand vous vous investissez dans un rôle, c’est dans une démarche visant à permettre au public de fantasmer un autre monde. Ce n’est pas de l’ingénierie, de la maçonnerie, mais du fantasme. Et pourtant, plus vous vous y investissez, plus vous pouvez apporter de l’impact à cette ambition, et transporter les gens dans un autre monde, et changer leur vie, pas seulement de manière distrayante mais inspirante.
Comment définir Jack ? Un prêcheur, un rêveur honnête, un escroc ?
Ce qui m’intéresse, c’est à quel point parfois les gens croient sincèrement en leurs propres conneries. Contrairement à moi, il n’a pas la capacité à se livrer à de longues introspections, à s’interroger sur ses erreurs, ses motivations, à se projeter dans l’avenir. J’aurais du mal à le définir comme un arnaqueur, il s’est totalement convaincu qu’il offre non seulement un service aux autres, mais qu’il rend un service à son pays, en se servant de son don pour enrichir la vie des autres. L’histoire qu’il se raconte à lui-même, malgré les échecs répétés, c’est que demain sera un jour meilleur. Ce schéma lui fait croire qu’il prêche la bonne parole du capitalisme. La façon dont le personnage est écrit, et dont j’ai voulu l’interpréter, montre que ses remords sont sincères, même temporairement. Il n’est pas dans le déni absolu, mais il est certain de faire du mieux qu’il peut. La vie est dure, et pour réussir, les moyens pour réussir sont parfois compliqués.
Il a aussi beaucoup du prêcheur, de leader d’un culte…
Il est très bon à cet égard : il a passé sa vie à faire du porte-à-porte, mais il cherche pas sa clientèle du côté des foyers fortunés, il s’adresse plutôt à la classe moyenne, à ceux et celles qui se sentent piégé-es, sans espoir. Parce que s’il sait ce qu’ils-elles veulent entendre : que demain sera un jour meilleur. Instiller cette idée dans l’esprit de quelqu’un, avec conviction et empathie, est en soi un produit, une marchandise, à l’image de l’espoir. C’est pour cela que les gens vont à l’église le dimanche, pour entendre une super histoire qui vous offre assez d’espérance pour supporter le poids existentiel de la vie. Il veut sincèrement que sa clientèle reparte de leur rencontre avec plus d’espoir qu’elle n’en avait auparavant.
La dimension esthétique de la série est captivante, ce n’est pas vraiment une série historique, mais elle évoque un peu les grands films classiques hollywoodiens des années 40 et 50, y compris dans votre jeu d’acteur.
C’était présent dès l’écriture. Il y avait deux références : La Vie est Belle de Frank Capra, que l’on présente souvent comme un film charmant pour les fêtes de Noël…alors que James Stewart joue avec un désespoir fiévreux presque effrayant. Son personnage a plein d’aspérités, il est intemporel, réaliste. L’autre film important pour nous c’est le documentaire Salesman, réalisé en 1969 par les frères Maysles et Charlotte Zwerin, qui filme des représentants de commerce, qui montre la douleur de ces vies. Jouer dans ces extraordinaires décors, à la fois familiers et déroutants, était incroyable.
Une série créée par Amit Bhalla et Lucas Jansen. Avec Billy Crudup, Haneefah Wood, Alison Pill, Nicholas Podany, Dewshane Williams et Hank Azaria. Disponible sur Apple TV+.