Pop Culture

Pourquoi ce documentaire sur les Beatles est un chef d’œuvre.

Peter Jackson, l’auteur des Seigneurs des Anneaux, signe un film magnifique, surprenant et émouvant, sur les dernières semaines du groupe anglais.

Ringo Starr, Paul McCartney, John Lennon et George Harrison dans The Beatles: Get Back. Photo courtesy of Apple Records Ltd. Copyright Apple Corps Ltd. Tous droits réservés.
Ringo Starr, Paul McCartney, John Lennon et George Harrison dans The Beatles: Get Back. Photo courtesy of Apple Records Ltd. Copyright Apple Corps Ltd. Tous droits réservés.

L'Atlantide, la Grande Bibliothèque d’Alexandrie, les Jardins Suspendus de Babylone…et les Beatles : de toutes les merveilles du monde disparues, seuls ces derniers ont laissé une empreinte encore éclatante de vivacité, éblouissante comme au premier jour, brûlante sans faiblir. En à peine dix ans d’existence, ils ont laissé assez de trésors pour enrichir toute une vie, de miracles déposés à nos pieds pour que l’éternité se suffise pas à les épuiser, et de chansons amies pour la vie pour n’en jamais manquer. (A ce stade, il est clair que cet article est de parti pris…) On redoutait un peu, avouons-le, que Peter Jackson, plutôt connu pour ses films épiques un rien étouffants, ne soit pas le plus indiqué pour réaliser un documentaire sur les Beatles, que son goût pour le lyrisme grandiloquent s’accommode mal de la porcelaine finement ouvragée de l’œuvre de son sujet. Et pourtant… En janvier 1969, le cinéaste Michael Lindsay-Hogg (on recommande sa délicate comédie The Object of Beauty) est chargé de capter les répétitions du groupe, en vue d’un nouvel album et, peut-être, d’un concert. Ils n’en ont plus donné depuis trois ans, et préfèrent faire du studio un laboratoire d’où vont sortir chanson magique après chanson magique. Il est alors question de jouer sur un bateau de croisière ou dans un amphithéâtre romain en Libye…(Sachant que lorsqu’on demandait à Harrison quelle était son idée du bonheur, il répondait : « Ne plus jamais partir en tournée. », donner un concert n’allait pas de soi…) De ces trois semaines embarquées au cœur de la création, le réalisateur gardera environ 60 heures de pellicule. Un documentaire, Get Back, d’une heure vingt, sortira en 1970, avec en apothéose quelques chansons jouées sur le toit de l’immeuble abritant les locaux de leur maison de disques. Concert interrompu par l’arrivée de la police, alertée par les dizaines de plaintes reçues en quelques minutes…Plus jamais les Beatles ne joueront ensemble en public. Dans cette extraordinaire somme d’images, Jackson a taillé trois épisodes, pour un film de 468 minutes. C’est peu dire que l’on ressort soufflé-e par ce qu’on y voit et apprend. Loin de toutes les conventions inhérentes à un genre souvent aux allures d’hagiographie, il n’y a ni voix-off, ni témoignage. Il propose ainsi une expérience immersive totale, pas si loin de la démarche organique d’un Warhol dans la radicalité de son approche - l’on rêve de voir un jour un musée ou une galerie proposer les trois épisodes à la suite….- ou d’un Perec dans sa tentative d’épuisement de son sujet. L’imaginaire collectif (enfin, celui des fans du groupe) part du postulat que la responsabilité de la dislocation du groupe incombait entièrement à Yoko Ono. Que voit-on précisément dans ces derniers jours qui vont précipiter leur fin ?  Une Yoko Ono marmoréenne, n’intervenant jamais - si ce n’est pour participer aux improvisations du groupe ravi -; un George Harrison rejeté dans la marge du tandem McCartney-Lennon à la dynamique intacte, moins vexé que blessé que d’être aussi peu considéré; des tensions créatives naturelles et fructueuses; des artistes remettant cent fois sur le métier leur ouvrage; des gamins s’amusant comme des adolescents dans le garage familial (rappelons qu’à leur séparation, ils n’ont pas encore trente ans, et jouent ensemble depuis leur adolescence…); des tâtonnements; des esquisses, parfois palimpsestes indiquant certaines splendeurs qui trouveront un aboutissement dans les carrières en solo des musiciens (une version primitive de Jealous Guy ou ce sublime All Things Must Pass de Harrison); des centaines de cigarettes fumées; des verres de vin blanc avalés; un McCartney moins gentil garçon un peu mièvre que l’histoire a voulu retenir par opposition avec un Lennon punk avant l’heure (à cet égard, la scène où la police londonienne débarque pour les déloger du toit n’est pas anodine, tant la joie malicieuse dont McCartney témoigne à l'ignorer est éloquente); des reprises de leurs chansons favorites - bref, tout sauf un groupe à l’agonie, où la rancœur règne.  L’équilibre entre le prosaïsme banal (qui veut manger quoi ?) et la poésie se déployant lentement (ces scènes où McCartney revient encore et encore sur des changements d’accords, chante en yaourt des paroles inachevées, témoignent de leur extraordinaire capacité de travail, même les génies doivent faire des sacrifices propitiatoires, et les joyaux demandent à être raffinés, pour que le charbon soit diamant), l’allégresse fructueuse et la mélancolie diffuse (a posteriori, fatalement),  donne au film une étrange tonalité, comme si Warhol (encore lui) filmait des Monty Python surpris en train d’écrire les plus belles chansons du monde. Les Editions Seghers publient la retranscription de leurs conversations, magnifiquement illustrées, subtilement traduites par Michka Assayas (dont on ne saurait trop recommander l’excellente émission Very Good Trip), introduites par un beau texte de l’écrivain Hanif Kureishi, ajoutant une nouvelle preuve à la pertinence de la formule de Kurt Vonnegut, qui avait souhaité comme épitaphe : «La seule preuve qu'il ait jamais exigée de l'existence de Dieu a été la musique. » 

Un film de Peter Jackson. Disponible sur Disney + en trois épisodes, les 25, 26 et 27 novembre.https://www.disneyplus.com/fr-fr
A lire : The Beatles : Get Back. 248 pages. 39,90 euros.  (Editions Seghers)

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Paul McCartney, Ringo Starr, George Harrison et John Lennon. Dans The Beatles: Get Back. Photo courtesy of Apple Records Ltd. Copyright Apple Corps Ltd. Tous droits réservés.
Paul McCartney, George Harrison, Ringo Starr et John Lennon. Dans The Beatles: Get Back. Photo courtesy of Apple Records Ltd. Copyright Apple Corps Ltd. Tous droits réservés.
The Beatles : Get Back (Editions Seghers)
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