Pourquoi il faut être off pour être in
Cycle continu qui atteint parfois les extrêmes, la mode se veut représentative de son époque et du contexte socio-économique mondial. Après des décennies passées à sabler le champagne, le mot d’ordre de 2017 est aux antipodes du festif : pour être stylé, soyez normal. Car oui, porter le blouson à franges à la Dennis Hopper, un jean déchiré ultra-bleached ou un costume chatoyant a pu être le sommet du bon goût l’année dernière encore, le ras de marée normcore atteint aujourd’hui son apogée. Arrivée dans les moeurs juste après le mouvement hipster (et son trop plein de longues barbes et de Stan Smith), l’esthétique de la normalité fait référence à une refus de la mode et de l’enjeu social qu’elle implique, en se basant sur les silhouettes pré-adolescentes des banlieues américaines et autres stéréotypes du combo polaire - Converse qui rythmaient les années 90. Conséquence directe de la course excessive à la différentiation, cette « fadeur stylisée » devient le meilleur moyen de tirer son épingle du jeu. Se fondre dans la masse pour mieux régner pourrait-on dire.
K-Hole, grand cabinet de tendance new-yorkais, annonce la couleur depuis 3 ans déjà. Il écrit dans son dernier rapport sur le normcore qu’aujourd’hui, « le vrai cool est de tenter de maîtriser la normalité.» . Dernier bastion imprenable et peu exploité par l’industrie du luxe, le normal séduit déjà les plus grands noms de la mode masculine. De l’arrivée de Raf Simons à la direction artistique de Calvin Klein, emblème edgy des nineties, à la refonte totale des proportions et du code couleur chez Bottega Veneta, Ami, Bally ou encore Tommy Hilfiger, l’année s’annonce résolument sobre dans un marché en pleine révolution. Les icônes de cette culture yankee dédiée au confort et au low profile enregistrent eux un boom conséquent en terme de médiatisation et de ventes : le 501 brut de Levi’s refait surface, les All-Star de Converse envahissent aussi bien la blogosphère que la garde-robe des éminences grises du style (même Lapo Elkann, fervent défenseur de la Sprezzatura, y a cédé), Champion, Sergio Tacchini et autres vaisseaux obsolètes du sportswear n’ont jamais été autant dans le coup. S’en suit l’apparition du label Vêtements, et un engouement encore jamais vu pour leur esthétique complètement anti-fashion issue de la rue et des rave-parties berlinoises, qui va jusqu’à leur ouvrir les portes de la maison Balenciaga.