Les 5 tables les mieux placées de Paris
Dans le grand jeu de la restauration à Paris, personne n’a jamais été dupe, ni les cuisiniers, ni les clients. Le défi de l’emplacement répond, ou doit répondre, à deux problématiques : économique et symbolique. Un lieu attractif, c’est d’abord celui où une clientèle fortunée habite. Partant, c’est également celui où le pouvoir, politique, économique, culturel, a pris ses quartiers. Nul hasard, donc, à ce qu’Antoine Beauvilliers ouvre La Grande Taverne de Londres, le premier restaurant parisien (au sens où il sert à table, des plats sur commande, à horaire libre, et non des repas imposés et servis à heure fixe comme c’était l’usage), rue de Richelieu, à trois tours de roues de carrosse du Louvre et du Palais Royal, en 1782. Sept ans plus tard, pas moins de cent restaurants se regroupent dans ce périmètre. Quartier de théâtre(s) par excellence, où, autour d’une table, on se mettra en scène, se montrera...
Le deuxième pôle où les restaurants vont éclore s’ancrera du côté de la finance, aux abords du boulevard Haussmann. C’est, encore ici, moins une salle à manger qu’un plateau sur lequel jouer son rôle. La place que l’on occupe, ou que le propriétaire attribue, dit tout du positionnement sur l’échiquier social : à la corbeille ou au poulailler, selon le baromètre du moment. En 2016, le restaurant n’a jamais été plus the place to be, pour goûter un plat, profiter d’un vent de coolitude éphémère, rejoindre la bonne tribu. Mais en être n’est pas tout – il faut encore savoir où s’asseoir. Werner Küchler accueille depuis quarante-deux ans les clients au Relais Plaza, la brasserie haute couture du palace de l’avenue Montaigne. « Il y a des années, la partie supérieure de la salle à manger était surnommée la Sibérie, parce que la climatisation y était alors excessivement fraîche. Personne ne voulait y être. J’ai eu l’idée de la rebaptiser le Pont Supérieur. Après tout, la salle est une réplique de celle du paquebot <Normandie<… » Chez Lipp, le dîneur aura droit à l’Enfer, au Purgatoire ou au Paradis, le directeur de salle se fait alors oracle, interprète des indicatifs du jour. N’étant jamais parvenu à accéder au Saint des Saints, Jean Touitou, patron d’A.P.C., a dû se résoudre à privatiser le restaurant, pour avoir droit à la table tant convoitée.
Pour soulager vos inquiétudes, songez à la formule de Stelio Conforti, directeur de salle chez Caviar Kaspia, où certains des ego les plus chromés de Paris aiment s’installer pour dominer la Madeleine : « Gérer une salle, c’est jouer au Tetris, on change le plan dix fois dans la journée. » Sans même parler des susceptibilités froissées : « Si certains se scandalisent de ne pas avoir ce qu’ils considèrent être leur table, poursuit-il, et jurent de ne plus revenir, quinze jours plus tard, ils sont de retour. »
Werner Küchler ne le dit pas autrement (avec une pincée d’ironie, tout de même) : « Lorsqu’une même table est convoitée par cinq personnes, cela peut prendre des proportions dramatiques. Mais si vous demandez à un client mécontent de sa table laquelle il préférerait, il sera aussi égaré que si vous lui demandiez sa chanson préférée. »
A ceux qui aspirent à respirer le même air qu’Herbert Von Karajan ou Sharon Stone, rappelons la formule de l’héritière Barbara Hutton : arrivée à La Tour d’Argent, voyant sa table fétiche occupée, elle apaisa la désolation du maître d’hôtel d’un limpide « La meilleure table est toujours celle où je suis installée. »
En salle : Stelio Conforti (depuis 33 ans).
Quelles tables ? 4, 20, 24
Pourquoi : Parce qu’elles sont devant la fenêtre ou la troïka.
À savoir : Rien n’est informatisé, tout est dans les livres – et la mémoire de Stelio.
Couverts/jour : entre 110 et 200
17, place de la Madeleine, Paris VIIIe.
Tél. : 01 42 65 33 32.
En salle : Claude Guittard (depuis 24 ans).
Quelles tables ? La 1, pour les stars ou les hommes politiques tels que Sharon Stone, Natalie Portman, Kate Moss, Mitterrand, Chirac. Et la 8 pour les couples : Gary/Seberg, Paradis/Depp.
Pourquoi : Les trois miroirs du fond sont penchés de 10 degrés, ils offrent une vue imprenable sur l’ensemble de la salle et les arrivées.
Comment les avoir : Venir en début de service.
À savoir : Madonna avait demandé d’être à l’Enfer.
Un impair : Avoir envoyé le roi des Belges et sa femme au premier étage.
151, boulevard Saint-Germain, Paris VIe.
Tél. : 01 45 48 53 91.
En cuisine : Sylvestre Wahid, 2 étoiles au Guide Michelin 2016.
En salle : Brieuc Grenet (passé par le Plaza et l'Arpège).
Laquelle ? La 1 et la 9.
Pourquoi ? Pour la vue sur la salle et la cuisine ouverte.
Couverts/jour : 30
À savoir : Mathieu Foureau a fait ses armes au Crillon. La diplomatie du placement, il connaît...
79, rue Saint-Dominique, Paris VIIe.
Tél. : 01 47 05 79 00.
En cuisine : Philippe Marc.
En salle : Werner Küchler (depuis 42 ans).
Quelle table ? La 28, « la préférée des gens du cinéma ».
Un impair : «Je rentrais de voyage, et j’avais fait une erreur d’attribution, avoue Werner: j’avais donné la table fétiche d’un animateur de télévision à un représentant du Vatican, il était hors de question de l'installer ailleurs. Je lui ai proposé de choisir deux tables, pour qu’à l’avenir, il ait une table de repli. Après trente minutes, il en choisi une. Un client va le voir, et lui dit : “Tu n’as pas ta table aujourd’hui ?” Il a dû entendre ce jour-là cinq fois cette réflexion…»
Couverts /jour: 160
21, avenue Montaigne, Paris VIIIe.
Tél. : 01 53 67 64 00.
En cuisine : Yannick Franques, Meilleur Ouvrier de France 2004.
En salle : Stéphane Trapier
Laquelle : La 1. Entre autres...
Pourquoi ? La vue saisissante, sur la Seine, Notre-Dame...
Couverts/jour : 60
À savoir : L’empereur Hirohito et la reine Elizabeth y ont dîné. Enfin le placement se décide selon l’ancienneté de la réservation mais aussi en fonction du respect du dress code par les convives.
15, quai de la Tournelle, Paris Ve.
Tél. : 01 43 54 23 31.