Nicolas Lecourt Mansion : "Je refuse d’étiqueter ma mode comme inclusive"
L’Officiel : Racontez-nous vos débuts de créatrice...
Nicolas Lecourt Mansion : À la fin de ma dernière année à l’Atelier Chardon-Savard, en 2016, j’ai présenté une collection d’une dizaine de looks, une sorte de mémoire de recherche qui m’a offert des opportunités pour travailler en freelance dans l’entourage de plusieurs créateurs et de stylistes, tel Azza Yousif qui m’a présenté Jean-Paul Gaultier. Une rencontre en amenant une autre, j’ai fait la connaissance de beaucoup de monde.
Pourquoi la haute couture vous passionnait déjà enfant ?
Je ne sais pas, mais il est vrai que mon premier souvenir de mode remonte à l’enfance, lorsque j’essayais de redessiner les robes de mariées de Christian Lacroix et John Galliano découvertes dans les magazines de mariage que mon père laissait sur son bureau puisqu’il travaillait, à cette époque, dans le retail des costumes pour hommes. Ces robes me fascinaient. Puis j’ai développé une passion pour l’histoire de la mode du XXe siècle. Mes influences se sont alors portées sur Poiret, Schiaparelli, Worth, Grès, Balenciaga puis Christian Dior... Mais celui qui a toujours incarné la modernité à mes yeux est sans aucun doute Azzedine Alaïa, mon créateur préféré. Il est celui qui a su innover en matière de mode et de business, et qui a su écouter les femmes, ses clientes et meilleures amies. C’est de cette même façon que je voudrais travailler et façonner ma marque.
Née à Strasbourg comme Thierry Mugler, sentez-vous une filiation entre son travail et le vôtre ?
En termes d’esthétique, mon travail est en effet très inspiré par Mugler avec ses constructions, son usage du corset et du bustier. Je pense que lui et Alaïa sont proches dans leur façon d’appréhender le corps. Je suis aussi influencée par McQueen, d’Alexander à Sarah Burton dont je trouve le théâtre de mode unique. Il y a aussi Balenciaga, pour ses coupes éloignées de l’architecture classique du corps et le développement de ses propres matières. Et Martin Margiela pour son talent de tailleur et son côté punk. Il connaît la construction et ça change tout. Enfin, j’admire le travail de nombreux designers sans forcément comprendre leur style, mais tout en étant sensible à l’importance qu’ils représentent pour la mode. C’est le cas d’Olivier Rousteing, un des pionniers à travailler avec des artistes comme Rihanna ou Beyoncé. Il a imaginé une mode avec des courbes et l’a “glamourisée”. C’était nécessaire d’avoir un créateur comme lui.
Êtes-vous influencée par la culture ballroom ou clubbing ?
Je suis très proche du milieu de la nuit, et mes meilleures copines en sont les icônes. Pour la scène ballroom, je n’appartiens pas à une house, mais je travaille avec beaucoup de gens qui en sont des pionniers comme Kiddy Smile, qui me soutient et m’inspire avec sa démarche communautaire et sa libération du corps par la musique et la danse.
La danse a toujours fait partie de votre vie ?
J’ai toujours dansé. La danse fait partie de moi, même si je l’ai pratiquée jusqu’à maintenant de façon très superficielle. D’une certaine façon, elle participe de mon travail puisque je crée des vêtements de scène pour Kiddy ou Christine and the Queens.
Vous avez collaboré avec Rita Ora et Nicki Minaj sur leurs tournées. En quoi le show-business influence-t-il la réalisation d’un vêtement ?
La construction du vêtement doit permettre à l’artiste d’exécuter n’importe quel mouvement, et c’est au créateur de l’anticiper. Pour Nicki et Rita, j’étais leur tailleur personnel. Je devais reconstruire les vêtements qui leur étaient envoyés sur la tournée, les modifier afin que leurs corps soient mis en valeur. C’est du sur-mesure, c’est donc beaucoup d’écoute et d’échanges.
Vous aimeriez repartir en tournée ?
Oui, mais pas de la même manière, en dessinant les costumes et en participant à la direction artistique.
Recevoir le prix de l’Andam Pierre Bergé 2019 a-t-il changé quelque chose à votre façon de travailler ?
Oui, beaucoup. C’était la première fois que j’avais des moyens. Et, ce qui n’est pas négligeable, il m’a apporté la reconnaissance du milieu et donc m’a donné confiance en moi, surtout avec un président du jury comme Martin Margiela.
Gardez-vous un souvenir de la remise des prix ?
J’étais présente à la remise des prix mais à l’annonce des finalistes j’étais sur la tournée de Nicki. Cette remise des prix, en juin, faisait suite au jury et je me souviens d’avoir été très surprise d’entendre nom nom. Pour être honnête, je ne pensais pas faire partie des finalistes. Mon projet était tellement jeune, je voulais juste acquérir l’expérience du concours. Quand je regardais la liste des gagnants qui l’avaient précédemment remporté, ils étaient beaucoup plus avancés dans leur carrière que moi.
Comment définiriez-vous votre mode ?
Assez téméraire. La manière dont je crée le vêtement va avec la manière dont je le porte, c’est presque thérapeutique, une sorte de psychiatrie visuelle et sensorielle. Généralement, c’est assez fort, je ne suis pas Issey Miyake. J’adore Miyake, et j’en porte beaucoup !
Aimez-vous particulièrement ce qui brille ?
Oui. Je ne sais pas pourquoi mais je suis obsédée par la brillance, la lumière, la réflection, le cristal, et c’est pour ça que j’aime imaginer des costumes de scène. Pour l’Andam, j’ai travaillé avec Swarovski, ce qui était génial puisque j’ai passé ma vie à rêver des robes en maille métallique de Versace. Cette collaboration m’a permis de me concentrer sur un matériau et travailler avec des artisans incroyables. C’était un travail presque très méticuleux, presque chirurgical. J’adore cette façon de travailler, quand on ne sépare pas le processus de fabrication du produit final. Avec ma marque, j’essaie de créer une mode globale, quelque chose d’inclusif sans en porter l’étiquette, parce que je suis une personne trans, que je travaille avec des personnes trans et que j’ai toujours eu un casting divers. On a tendance à oublier notre diversité, notre pluralité en tant qu’être humain, et la mode aussi.
Pensez-vous que la mode française soit assez inclusive ?
Non, aucune mode n’est assez inclusive. Ce n’est pas une histoire de pays. La mode est le reflet de l’humanité. La manière dont on s’habille détermine nos différences avec les autres. Et pour l’inclusivité, qui est l’acceptation d’un corps, c’est la même chose. La mode est le médium du corps puisqu’elle permet de le sublimer quels que soient sa couleur et son genre. Il y a quelques créateurs qui ont été les pionniers de l’inclusivité, comme Gaultier ou Galliano, mais avoir mis cette inclusivité en lumière l’a fait rentrer dans la catégorie des freaks” et le marketing l’a utilisé comme un outil. Or, les gens qui ne rentrent pas dans les standards ne sont pas des freaks. Je ne suis pas dans la norme et je ne suis pas un freak. Je revendique ma beauté et le fait d’être unique. Je refuse d’étiqueter ma mode comme inclusive pour cette raison.
Le style français existe-t-il, et si oui quel est-il ?
C’est la couture et son influence sur l’artisanat pour transformer un vêtement en quelque chose de flamboyant. Je le vois impertinent, sexy, limite un peu vulgaire avec ce tabou du rien. Le style français, c’est assumer son style sans coller à des stéréotypes.
Quelles sont les héroïnes de vos collections?
Pour ma collection 0, c’était Dolores Sanchez, la première femme à avoir revêtu l’habit de matador et à avoir déconstruit les codes misogynes de la corrida. Pour ma collection 1, que j’ai baptisée Rétribution, je me suis inspirée du personnage de Séverine dans Belle de jour, incarnée par Catherine Deneuve, que j’ai mixé avec les images de dominatrices de la photographe Suzanne Meiselas. Pour la collection Rule, je me suis intéressée à la sorcière mais plutôt dans le sens de la femme puissante, érudite et influente, comme Marie Laveau, “la reine vaudoue”. Pour la première collection post-Andam, j’ai choisi Gloria von Thurn und Taxi, et pour la dernière, celle d’aujourd’hui, ce sont les Ursulines, un ordre religieux quasi féministe, dont le cardinal de Richelieu a fait brûler le couvent.