Voyage en peinture à la Fondation Louis Vuitton
Sur l’entrée en matière dans l’exposition.
SUZANNE PAGÉ : Le visiteur est en prise directe avec le flamboiement de Joan Mitchell, à laquelle une salle entière est consacrée. Il était important de montrer l’évolution colossale du travail de cette Américaine établie en France durant de nombreuses années. Ses grands formats des débuts portent l’empreinte du geste très expressionniste américain, puis, vers la fin, on perçoit une sorte de mélancolie. Afin de créer une forme de tension dans cette vaste première salle, j’ai choisi d’y placer une sculpture de Carl And ré, si bien que le regard est incité à se poser davantage sur les toiles de Mitchell. D’une certaine façon, la pièce monumentale de Carl André fédère l’attention du spectateur sur les tableaux.
Sur les spécificités de l’architecture.
Nous avons, bien entendu, des paramètres à négocier avec l’architecture spécifique de la Fondation et ses différents niveaux. C’est essentiel car si au fil d’un même plan transparaît, je pense, une homogénéité, lorsque le visiteur passe d’un niveau à l’autre, il y a une rupture. C’est une caractéristique de ce bâtiment, et c’est aussi la raison pour laquelle je l’apprécie beaucoup : à chaque exposition, il génère une impulsion formidable.
Sur les nouvelles abstractions : “Peindre autrement”.
Nous avons choisi, entre autres, des œuvres de Daniel Buren, mises en espace de différentes façons : accrochée au mur, posée contre le mur et installée au sol. Il s’agit des premières œuvres de l’artiste, réalisées en 1966 à la peinture acrylique sur toile de coton – ensuite, l’artiste travaillera la toile de store – ; il a déjà identifié et élu le motif des rayures, mais ici, c’est encore à un stade intermédiaire. Le fait de poser la toile au sol induit une certaine géométrie et modifie totalement le rapport à l’espace. Dans cet ensemble, nous avons mis en évidence les nouveaux matériaux travaillés par les artistes, telles les tôles de récupération par Raymond Hains, mais aussi le mélange de techniques mécaniques et manufacturées cher à Albert Oehlen.
Sur le travail réalisé sur la surface de la toile.
La Collection abrite plusieurs œuvres de Mark Bradford, nous avons choisi de montrer un très grand et très beau tableau. Cet artiste très intéressant ne laisse jamais rien au hasard ; dans ses œuvres, rien n’est innocent, tout a un sens secondaire. Il a développé une technique particulière de strates successives de papier dont il unifie la surface à l’aide de vernis, laque, peinture, qu’il creuse pour y déposer divers matériaux (fil de fer, corde…) qu’il fixe ensuite sous de la résine. Artiste fortement engagé, il traduit l’histoire de son pays : heurts, drames, déchirures.
Sur les matériaux particuliers.
Hors la peinture traditionnelle, nous retrouvons Christopher Wool, avec de l’encre sérigraphique sur toile. Avec Wade Guyton c’est le travail réalisé à partir de l’imprimante, qui intègre tous les accidents et joue sur la notion de copie et d’original. Dans le cheminement de ce même espace, un très beau tableau de Pierre Soulages, daté de 2002, alterne bandes noires et blanches horizontales. Quatre panneaux : deux noirs, deux blancs qui chacun inscrit des lignes dans la matière peinte.
Sur l’écriture en peinture.
Nous avons sélectionné une série de Jesus Rafael Soto réalisée en 1979, qui montre la vibration à la surface, en une dynamique très musicale. C’est une conception particulière qui utilise tous les paramètres de base de la peinture de façon extrêmement nouvelle. En résonance, nous avons choisi d’installer une sculpture de Robert Breer, un beau volume blanc, réfléchissant et assez troublant, qui se déplace très lentement et de façon aléatoire dans la salle. Ce qui permet de poser un regard différent sur les autres œuvres alentour.
Sur les dessins de Gilbert & George.
Nous avons souhaité montrer cet ensemble de 6 dessins monumentaux au fusain sur papier réalisés par Gilbert & George en 1971. Cette œuvre, There Were Two Young Men, est exposée pour la première fois à Paris : elle est réapparue de façon extraordinaire après avoir été dérobée durant des décennies. Totalement immersive, elle est présentée durant une période limitée, ceci du fait de la fragilité des dessins. Trois sculptures vidéo accompagnent la présentation: Gordon’s Makes Us Drunk (1972), In the Bush (1972) et A Portrait of the Artists as Young Men (1970).
FONDATION LOUIS VUITTON :
•“La Collection de la Fondation, le parti de la peinture”, jusqu'au 26 août.
•Gilbert & George, “There Were Two Young Men”, 1971, du 3 juillet au 26 août (Galerie 2).