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The Shed-New York, le centre d'art grand angle

Inscrit dans le vaste projet immobilier new-yorkais d’Hudson Yards ; dont l’ouverture à la vente le 15 mars dernier a fait frémir les cordons des bourses les mieux garnies (ticket d’entrée à 4,2 millions de dollars et jusqu’à 30 millions de dollars pour un appartement) ; The Shed rebat les cartes de l’architecture modulaire, avec un centre culturel dont la programmation grand angle se veut inclusive dans ce périmètre dévolu aux super-riches.
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Depuis son inauguration le 5 avril dernier dans le sud-ouest de Manhattan, The Shed incarne les différents sens que la langue française lui octroie : abri, hangar, atelier… version luxe. La friche de ce qui fut un vaste dépôt ferroviaire rassemble aujourd’hui six gratte-ciel qui, plutôt que jouer sur les performances de hauteur chères aux Américains, posent les bases d’une nouvelle urbanité en quête d’autosuffisance. En effet, les innovations technologiques y ont été pleinement explorées, permettant ainsi au complexe de disposer de son propre système de traitement des déchets, de sa station électrique anti-panne – la dernière coupure de courant (2003) avait paralysé  New York et plusieurs grandes villes –, et de portes souterraines automatiques pour sauvegarder les matériels sensibles des possibles inondations liées au réchauffement climatique. Postulat excessif ? Réaliste ? Visionnaire ? En phase, tout du moins, avec les problématiques environnementales actuelles placées au cœur des combats menés par l’initiateur, au début des années 2000, de ce projet immobilier : Michael Bloomberg, maire de New York durant trois mandats (2001 à 2013). C’est à lui que les New-Yorkais doivent de pouvoir déjeuner en paix après qu’il a interdit la cigarette dans les restaurants et bars, mais aussi de flâner sur la High Line, cette ancienne ligne aérienne de fret ferroviaire reconvertie en un parc arboré de près de 2 km de long ponctués d’œuvres d’art. 

La mise en espace de ce lieu très prisé (plus de 8 millions de visiteurs) doit sa réussite au cabinet d’architectes Diller Scofidio + Renfro, également auteur du concept culturel et architectural du Shed (et du bâtiment dans lequel il est encastré), proposé à la Ville en 2008, en réponse à un appel à idées lancé par le maire. Car il s’agit d’un projet d’une folle ambition que celui de Bloomberg. Issu du monde de la finance, il est un philanthrope assidu (sa fortune est estimée à 55 milliards de dollars selon le magazine Forbes) et de convictions: après avoir attribué 50 millions de dollars pour la lutte contre les opiacés, il a récemment accordé 500 millions de dollars au combat contre le réchauffement climatique, sans oublier 75 millions de dollars affectés au Shed, baptisé depuis The Shed -Bloomberg Building, en hommage au donateur. Sa vision pour Hudson Yards, si elle a pour objectif affiché d’insuffler souffle vital et économie neuve à un quartier longtemps en déshérence, est très vivement contredite. Michael Kimmelman, critique d’architecture au New York Times, qualifie ainsi Hudson Yards de “Gated Community” (communauté fermée). Pour autant, The Shed répond à un questionnement très justement formulé par Liz Diller : comment inscrire dans une structure par définition statique et appelée à durer, les expressions artistiques contemporaines, par nature, mouvantes et en évolution perpétuelle ? Sa réponse : créer un bâtiment doté de dispositifs modulables. The Shed dispose ainsi d’une coque sur rails qui peut être déroulée sur l’esplanade pour accueillir, au gré des besoins de la programmation, une salle de spectacle de 2 400 places ou un vaste périmètre destiné à des performances à grande échelle, des installations ou des événements. L’édifice du Shed lui-même, qui s’élève sur huit étages de l’immeuble attenant, comporte deux niveaux de galeries d’exposition, une salle de spectacles modulable, une salle de répétitions, un laboratoire de création destiné aux artistes. Au total, 18 500 mètres carrés dont la configuration permet de présenter de façon simultanée un opéra, une performance, une pièce de théâtre, une exposition. Autrement dit un édifice intelligent.

“Face à l’imprédictibilité de l’avenir, il nous appartient de préserver dans les grandes villes, des espaces dédiés aux artistes et de subvenir à leurs besoins changeants.” Liz Diller

“Le bâtiment est réduit à sa plus simple expression”, souligne Liz Diller”, de fait, il est conçu à l’essentiel, une musculature tout en énergie et souplesse, ou différentes combinaisons adossées à l’extrême mobilité architecturale autorisent un large spectre créatif. “Si l’on s’interroge sur ce que sera l’art dans dix ou vingt ans, difficile de savoir quels seront les médiums utilisés et à quelle échelle, aussi face à cette imprédictibilitéde l’avenir, il nous appartient de préserver dans les grandes villes, des espaces dédiés aux artistes et de subvenir à leurs besoins changeants”, ajoute l’architecte. The Shed devient ainsi le premier centre culturel de New York appelé à passer commande, produire, et présenter dans les domaines de la performance, des arts visuels et de la culture populaire. “Nous regroupons des artistes établis et des jeunes talents dans des territoires allant du hip-hop à la musique classique, de la peinture aux médias digitaux, de la littérature au théâtre, de la sculpture à la danse”, indique Alex Poots, transfuge du Park Avenue Armory et du très acclamé Manchester International Festival (MIF) et actuel CEO et directeur artistique du Shed. Dans la mission qui lui a été confiée, il s’est adjoint le regard aiguisé de Hans Ulrich Obrist, directeur artistique des Serpentine Galleries, en charge ici du conseil à la programmation. Ainsi des croisements de genres avec la collaboration entre le compositeur Steve Reich, figure phare de la musique répétitive, du peintre Gerhard Richter et du compositeur Arvo Pärt (“Reich Richter Pärt”), en programme d’ouverture.

Un mélange des genres et des styles et une flexibilité fonctionnelle du lieu présentes également dans le concept qui a prévalu à Lafayette Anticipations, inauguré au printemps 2018 dans le Marais, et dont le bâtiment signé Rem Koolhass autorise, à l’aide de plateaux verticalement mobiles, de nombreuses variantes aussi bien dans la monstration des œuvres que dans leur nature et leur taille. Ici, la démarche est plus poussée encore puisque la structure met à la disposition de l’artiste un atelier et l’ensemble de l’étayage humain expert pour la production d’œuvres.
Si le Shed apporte sa solide pierre à l’édifice de comment penser et anticiper la création artistique et l’artiste, il n’a certainement pas fini de recevoir l’estocade. Ainsi, à la lumière du projet dévoilé au printemps dernier, et sans doute en écho aux propos de Bloomberg qui en 2013 affirmait : “Si nous pouvions inciter tous les milliardaires du monde à s'installer ici, ce serait une aubaine”, Alan Brake, critique d’architecture et ex-éditeur de Dezeen US, affirme, implacable : “Si nous voulons bâtir une ville pour tous, la tâche ne doit pas être confiée à des promoteurs privés. New York n’a pas besoin de plus de milliardaires, de plus de centres commerciaux ou de plus de voitures, elle a besoin de plus de vision, de plus de colonne vertébrale, de plus de courage pour créer une ville du 21esiècle qui reflète et serve ses citoyens avec équité et dignité.”

The Shed – Bloomberg Building, 545 West 30th Street, New York 10001.

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