L’imaginaire et le fantasme en Technicolor ont pris le pouvoir chez ces trois artistes. L’Américain Hernan Bas offre la vision de paradis perdus peuplés de jeunes gens mélancoliques. L’Anglaise Monster Chetwynd décrit un monde onirique
à travers ses œuvres mutantes
drôles et romantiques. Tandis
que Jill Mulleady raconte
des histoires fortes sur toile, dans des couleurs ultra-saturées.

Hernan Bas,&nbsp;les fleurs de son secret

Une v&eacute;g&eacute;tation luxuriante d&eacute;coupant l&rsquo;espace de la toile par des contours nets et des teintes automnales accueille en son sein des &eacute;ph&egrave;bes indolents habit&eacute;s d&rsquo;une lancinante lassitude : pas de doute, nous nous trouvons bien devant une peinture de Hernan Bas. Depuis pr&egrave;s de vingt ans, cet artiste am&eacute;ricain d&eacute;- ploie son univers onirique aux confins du paradisiaque et du nostalgique, o&ugrave; de jeunes gar&ccedil;ons songeurs peuplent une nature riche et color&eacute;e.

Retrouver l&rsquo;autre monde 
Aujourd&rsquo;hui bas&eacute; &agrave; D&eacute;troit, Hernan Bas a longtemps v&eacute;cu &agrave; Miami o&ugrave; il a pers&eacute;v&eacute;r&eacute; dans la qu&ecirc;te de son propre style pictural : de l&rsquo;acrylique sur toile, la plu- part du temps, int&eacute;grant parfois la s&eacute;rigraphie, le pastel, voire la pr&eacute;ciosit&eacute; de la feuille d&rsquo;or. Hors pein- ture, l&rsquo;artiste s&rsquo;essaie &agrave; la photographie, &agrave; la vid&eacute;o, et r&eacute;alise r&eacute;guli&egrave;rement des portraits monotypes sur papier, comme un instrumentiste ferait ses gammes pour se perfectionner sans cesse. Plus r&eacute;cemment, il s&rsquo;est &eacute;loign&eacute; d&rsquo;un travail par s&eacute;ries pour se concentrer sur des compositions &agrave; sujet unique, investissant de plus larges formats.

La pratique de Hernan Bas est avant tout mue par une envie de raconter des histoires : d&egrave;s son enfance, dans une r&eacute;gion peu peupl&eacute;e du nord de la Floride, le jeune gar&ccedil;on savait qu&rsquo;il serait artiste. Influenc&eacute; par sa s&oelig;ur et son fr&egrave;re a&icirc;n&eacute;s, il se prend de passion pour les l&eacute;gendes et cr&eacute;atures surnaturelles tenues au seuil de l&rsquo;&eacute;pouvante. Elles attisent sa curiosit&eacute; pour &ldquo;l&rsquo;otherworldly&rdquo;, ce qui appartient &agrave; l&rsquo;autre monde.

Cet au-del&agrave;, c&rsquo;est celui qu&rsquo;il cherche &agrave; retrouver dans certaines de ses toiles, o&ugrave; il convoque des figures issues de la litt&eacute;rature et de la mythologie. Collec- tionneur de r&eacute;cits, Bas est aussi collectionneur d&rsquo;objets avec lesquels il entretient un rapport presque f&eacute;tichiste. Selon ses inspirations, l&rsquo;artiste part &agrave; la recherche d&rsquo;artefacts qui nourrissent son imaginaire, l&rsquo;inscrivant dans une histoire et une r&eacute;alit&eacute; plus concr&egrave;tes. Dans ses derniers travaux, certains de ses objets passent d&rsquo;ailleurs de simples r&eacute;f&eacute;rences &agrave; parties int&eacute;grantes de l&rsquo;&oelig;uvre m&ecirc;me.

Le &ldquo;fag limbo&rdquo;, flou artistique et narratif 
Afin de d&eacute;crire l&rsquo;&eacute;tat si particulier dans lequel sont plong&eacute;s ses personnages, Hernan Bas a cr&eacute;&eacute; sa propre expression : le &ldquo;fag limbo&rdquo;, que l&rsquo;on pourrait traduire par &ldquo;flou p&eacute;d&eacute;&rdquo;. Dans cette formule, l&rsquo;artiste encapsule le flottement &agrave; la fois visuel, narratif et intime (voire psychologique) des sc&egrave;nes qu&rsquo;il repr&eacute;- sente. Presque toujours, celles-ci se d&eacute;roulent dans un moment o&ugrave; l&rsquo;action est suspendue, ni compl&egrave;te- ment entam&eacute;e ni compl&egrave;tement termin&eacute;e. Pris entre contemplation et m&eacute;lancolie, habit&eacute;s par la grande nonchalance de l&rsquo;adolescence, les protagonistes se fondent alors dans ce temps incertain &ndash; une forme de &ldquo;purgatoire&rdquo; dans la narration, comme l&rsquo;appelle l&rsquo;artiste.

Mais pour le peintre, le &ldquo;fag limbo&rdquo; d&eacute;signe aussi cette zone d&rsquo;ombre dans laquelle se trouvent les adolescents travers&eacute;s par de vifs questionnements sur leur sexualit&eacute;; un espace souvent effrayant pour les&nbsp;

jeunes mal dans leur peau. Si un certain homo-&eacute;ro- tisme se d&eacute;gage en filigrane des &oelig;uvres de Hernan Bas, naturelle &eacute;manation de ses propres canons, ce dernier ne cherche pas pour autant &agrave; faire de cette sexualit&eacute; un sujet. &ldquo;Je trouve qu&rsquo;une &oelig;uvre est inter- pr&eacute;t&eacute;e diff&eacute;remment quand le spectateur conna&icirc;t la sexualit&eacute; de l&rsquo;artiste&rdquo;, confie-t-il, soucieux de ne pas enfermer son travail dans une cat&eacute;gorie r&eacute;ductrice.

Faune et flore m&eacute;taphoriques

Outre les personnages, d&rsquo;autres &eacute;l&eacute;ments de la faune et de la flore viennent s&rsquo;&eacute;panouir dans ses sc&egrave;nes. Tr&egrave;s souvent, on y d&eacute;couvre des parterres et bou- quets de fleurs : roses, tulipes, marguerites ou encore orchid&eacute;es officient comme reflets m&eacute;taphoriques de la jeunesse repr&eacute;sent&eacute;e &agrave; leurs c&ocirc;t&eacute;s, jusqu&rsquo;&agrave; devenir parfois le sujet central de s&eacute;ries de natures mortes. Sur certaines toiles s&rsquo;y joignent aussi des animaux, &agrave; l&rsquo;instar des nombreux flamants roses qui enrichissent les compositions de leur sinuosit&eacute; gracieuse et de leurs vives couleurs.

Au fil des ans, les figures l&eacute;gendaires qui peuplaient les toiles de Hernan Bas ont progressivement laiss&eacute; place &agrave; des personnages de son invention. Aujourd&rsquo;hui reconnaissables entre mille, ceux-ci sont les t&eacute;moins de son monde foisonnant, gorg&eacute; de ses propres chim&egrave;res.

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Secret Hideout of the Flamingo Gang (abandoned paddle boats), de Hernan Bas, 2014.

Les mondes polymorphes de Monster Chetwynd

Des chauves-souris, des salamandres et des papillons g&eacute;ants color&eacute;s &eacute;mergent des toiles photographiques accroch&eacute;es au mur, tandis que des sculptures hybrides et des cabanes biscornues jon- chent le sol : nous voici au c&oelig;ur de l&rsquo;univers loufoque de Monster Chetwynd. Tout droit sorties d&rsquo;un album pour enfants, ses cr&eacute;atures recr&eacute;ent &agrave; taille humaine un monde o&ugrave; dispara&icirc;t la fronti&egrave;re entre le sage et le ludique, entre l&rsquo;art et le jeu, entre la jeunesse et l&rsquo;&acirc;ge adulte. &Agrave; travers des performances, costumes, sculptures, installations et peintures, l&rsquo;artiste britannique cr&eacute;e son propre carnaval r&eacute;gi par une philosophie toute simple : &ldquo;Ne prenez pas la vie trop au s&eacute;rieux.&rdquo; Dans les ann&eacute;es 90, Alalia Chetwynd (son nom de naissance) commence &agrave; se faire conna&icirc;tre en organi- sant chez elle des soir&eacute;es &agrave; th&egrave;me m&eacute;morables, o&ugrave; les convives costum&eacute;s laissent libre cours &agrave; leur imaginaire et leur cr&eacute;ativit&eacute;. La t&ecirc;te encore pleine de ses &eacute;tudes d&rsquo;anthropologie, la jeune femme voit dans ces &eacute;v&eacute;nements la naissance d&rsquo;une synergie mue par la rencontre d&rsquo;individus, ce qui &eacute;veille chez elle la volont&eacute; de produire un art &agrave; la port&eacute;e du public.

La libert&eacute; au c&oelig;ur de la pratique 
&ldquo;Romantique, rebelle, passionn&eacute;e et ridicule&rdquo; : voil&agrave; les adjectifs choisis par Monster Chetwynd pour d&eacute;crire son &oelig;uvre, un territoire o&ugrave; l&rsquo;artiste souhaite retrouver le pouvoir cathartique de l&rsquo;humour et le chaos fertile du l&acirc;cher-prise. Tr&egrave;s t&ocirc;t, sa pratique fait la part belle au &ldquo;Do it yourself&rdquo; : costumes faits de bric et de broc, marionnettes en papier m&acirc;ch&eacute;, d&eacute;cors&nbsp;en carton-p&acirc;te assum&eacute;. La force de son travail r&eacute;side dans ses paradoxes, m&ecirc;lant le caract&egrave;re structur&eacute; de sa d&eacute;marche plastique (pour ses peintures, notamment) et de ses r&eacute;f&eacute;rences acad&eacute;miques &agrave; l&rsquo;impr&eacute;vu th&eacute;&acirc;tral des rencontres : &ldquo;Le but de mes &oelig;uvres n&rsquo;est pas d&rsquo;&ecirc;tre tr&egrave;s organis&eacute;es, s&eacute;rieuses, pr&eacute;tentieuses. Elles naissent de fa&ccedil;on plus organique, de la dy- namique d&rsquo;un groupe, par exemple&rdquo;, affirme-t-elle. Tels des rituels dionysiaques, ses performances re- transcrivent l&rsquo;&eacute;nergie collective de la f&ecirc;te, incitant &agrave; une lib&eacute;ration du corps et de l&rsquo;esprit. L&rsquo;esprit punk et libertaire de l&rsquo;artiste &ndash; qui n&rsquo;est pas sans rappeler son identit&eacute; britannique &ndash; sera remarqu&eacute;, jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;amener en 2012 &agrave; &ecirc;tre nomm&eacute;e au tr&egrave;s prestigieux Turner Prize.

S&rsquo;inventer et se r&eacute;inventer 
Pour Monster Chetwynd, le r&ocirc;le de la cr&eacute;ation est clair : il permet de s&rsquo;inventer et se r&eacute;inventer &agrave; l&rsquo;envi. Un postulat inspir&eacute; par ses recherches, lectures et documentaires anthropologiques &agrave; l&rsquo;instar du film Les Ma&icirc;tres fous, de Jean Rouch (1954), que l&rsquo;artiste cite comme r&eacute;f&eacute;rence majeure : &ldquo;Ce film m&rsquo;a amen&eacute;e &agrave; r&eacute;aliser que l&rsquo;on pouvait inventer ses propres rituels sans se r&eacute;f&eacute;rer &agrave; une quelconque autorit&eacute;.&rdquo; Afin de pr&eacute;server cette &eacute;bullition cr&eacute;ative, Monster prend garde &agrave; ne pas s&rsquo;enfermer dans une seule technique dont elle risquerait d&rsquo;&eacute;puiser les potentiels. Dans ce m&ecirc;me but de r&eacute;invention, elle trouve &eacute;galement une autre solution radicale : changer son nom. Un acte symbolique que l&rsquo;artiste voit comme l&rsquo;outil artistique&nbsp;

d&rsquo;une renaissance : &ldquo;Choisir son propre nom, pour moi, c&rsquo;est comme lancer un sort, prof&eacute;rer une incantation. C&rsquo;est un moyen tr&egrave;s &eacute;conomique de provoquer le changement!&rdquo; Depuis le d&eacute;but de sa carri&egrave;re, Alalia Chetwynd s&rsquo;est en effet renomm&eacute;e trois fois, d&rsquo;abord en Spartacus, puis en Marvin Gaye, et enfin en Mon- ster il y a deux ans. Loin d&rsquo;une cr&eacute;ature effrayante, l&rsquo;artiste voit bien davantage dans ce &ldquo;monstre&rdquo; l&rsquo;image joyeuse et humoristique d&rsquo;un personnage ma- ture et confiant, assagi par une certaine exp&eacute;rience.

L&rsquo;innocence et la spontan&eacute;it&eacute; de l&rsquo;enfance 
En d&eacute;cembre dernier, deux gigantesques limaces lu- minescentes envahissent le parvis de la Tate Britain, d&eacute;roulant un r&eacute;cit o&ugrave; les petites b&ecirc;tes reprennent leurs droits sur les grandes. Loin de passer inaper&ccedil;ue aupr&egrave;s des Londoniens, cette commande du mus&eacute;e &agrave; Monster Chetwynd est l&rsquo;illustration m&ecirc;me de la candeur qui traverse son &oelig;uvre. Plut&ocirc;t que de s&eacute;parer drastiquement l&rsquo;&acirc;ge adulte de l&rsquo;enfance, l&rsquo;artiste en- tend bien retrouver cette spontan&eacute;it&eacute; enfantine dans sa pratique en s&rsquo;affranchissant du qu&rsquo;en-dira-t-on : &ldquo;Je suis tr&egrave;s consciente que seuls les enfants ont le droit au n&rsquo;importe quoi dans leur vie!&rdquo; D&rsquo;une naturelle na&iuml;vet&eacute; &ndash; parfois handicapante, confie-t-elle &ndash;, Mon- ster Chetwynd cherche &agrave; &eacute;veiller par son art les &eacute;motions les plus positives de l&rsquo;&ecirc;tre humain en l&rsquo;incitant &agrave; se lib&eacute;rer des carcans de la pudeur, de l&rsquo;inqui&eacute;tude et de la morale. Un atout rare que lui envieront les nom- breux pessimistes de notre &eacute;poque.

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The Owl with the Laser Eyes Panel, de Monster Chetwynd, 2018. Vue de l’exposition “Monster Rebellion”, à la Villa Arson jusqu’au 13 octobre 2019.

Ses intrigantes sayn&egrave;tes du quotidien, anim&eacute;es sur toile par de vives couleurs, ne sont pas sans rap- peler l&rsquo;&eacute;trange &ndash; et parfois angoissante &ndash; atmosph&egrave;re des tableaux d&rsquo;un Edvard Munch. Jill Mul- leady est de cette nouvelle g&eacute;n&eacute;ration d&rsquo;artistes qui, depuis quelques ann&eacute;es, redonnent &agrave; la peinture figurative ses lettres de noblesse. &Agrave; la Biennale de Venise cette ann&eacute;e, l&rsquo;artiste investit &agrave; la fois le Pavillon Central et l&rsquo;Arsenal avec deux s&eacute;ries de peintures in&eacute;dites.

Premi&egrave;res amours europ&eacute;ennes 
Gr&acirc;ce &agrave; des origines suisse, irlandaise et allemande, Jill Mulleady est influenc&eacute;e tr&egrave;s t&ocirc;t par la culture europ&eacute;enne. N&eacute;e en Uruguay en 1980, elle grandit en Argentine o&ugrave; ses parents l&rsquo;inscrivent dans un &eacute;tablissement fran&ccedil;ais. Elle y d&eacute;veloppe une pas- sion br&ucirc;lante pour le th&eacute;&acirc;tre qui la m&egrave;nera &agrave; Paris pour l&rsquo;&eacute;tudier pendant trois ans. Shakespeare, Brecht, Artaud... l&rsquo;artiste d&eacute;vore les pi&egrave;ces de ces grands dramaturges, imaginant elle-m&ecirc;me mettre en sc&egrave;ne l&rsquo;&eacute;nergie de leurs textes. C&rsquo;est &agrave; Londres qu&rsquo;elle poursuit son parcours afin d&rsquo;&eacute;tudier les beaux-arts, puis &agrave; Bruxelles o&ugrave; elle r&eacute;side un an. Au fil des ann&eacute;es pass&eacute;es en Europe, la jeune femme s&rsquo;enflamme pour la peinture des grands ma&icirc;tres fla- mands mais aussi pour les &oelig;uvres des expression- nistes allemands tels qu&rsquo;Otto Dix ou Ernst Ludwig Kirchner. &Eacute;rig&eacute; comme ma&icirc;tre &agrave; penser ind&eacute;pass- able, Edvard Munch reste toutefois l&rsquo;une des princi- pales r&eacute;f&eacute;rences de Jill Mulleady, qui s&rsquo;inspire aussi&nbsp;bien de son traitement de la couleur et de la forme que de la force narrative de ses compositions et de la charge &eacute;motionnelle qui en &eacute;mane. Frieze of Life, &oelig;uvre majeure du peintre norv&eacute;gien, est d&rsquo;ailleurs le point d&rsquo;ancrage de l&rsquo;une des deux s&eacute;ries de la jeune femme actuellement pr&eacute;sent&eacute;es &agrave; Venise.

Peindre, un besoin visc&eacute;ral 
Jill Mulleady l&rsquo;affirme sans h&eacute;siter : &ldquo;Je ne pense pas avoir choisi la peinture, je pense plut&ocirc;t que c&rsquo;est la peinture qui m&rsquo;a choisie.&rdquo; Elle est tr&egrave;s jeune lorsque la peinture vient &agrave; elle, comme un besoin immanent, dont elle exp&eacute;rimente au quotidien l&rsquo;&eacute;vidence et la simplicit&eacute; d&eacute;concertantes. Si elle s&rsquo;essaie &agrave; d&rsquo;autres techniques telles que la vid&eacute;o ou la sculpture, elle n&rsquo;y retrouvera jamais ce naturel presque inn&eacute; de la pratique picturale. Lorsqu&rsquo;elle est &eacute;tudiante &agrave; Londres au milieu des ann&eacute;es 2000, la peinture figurative est encore boud&eacute;e par le monde de l&rsquo;art contemporain, domin&eacute; par une sc&egrave;ne encore tr&egrave;s marqu&eacute;e par les Young British Artists. En d&eacute;pit de ce tropisme, Jill Mulleady s&rsquo;accroche &agrave; son instinct artistique et pers&eacute;v&egrave;re jusqu&rsquo;&agrave; ce que le vent tourne en faveur de la peinture figurative, lui don- nant &agrave; nouveau la place qu&rsquo;elle m&eacute;rite.

Raconter le pr&eacute;sent 
Utiliser l&rsquo;art pour saisir la puissance du pr&eacute;sent : cet adage de la modernit&eacute;, Jill Mulleady le suit scrupuleusement. D&eacute;sormais install&eacute;e &agrave; Los Angeles, elle y appr&eacute;cie depuis six ans ses espaces &eacute;tendus qui&nbsp;acilitent l&rsquo;&eacute;panouissement de sa cr&eacute;ativit&eacute;. Les vastes paysages et routes interminables de Californie lui rappellent &eacute;trangement l&rsquo;ambiance de Bue- nos Aires... Dans ses toiles, la peintre recr&eacute;e des environnements composites puisant dans diff&eacute;rents lieux de sa m&eacute;moire. L&rsquo;hybridit&eacute; de ses d&eacute;cors dote ses tableaux d&rsquo;un caract&egrave;re impalpable et myst&eacute;rieux, proche de la fantasmagorie. Tout comme dans une mise en sc&egrave;ne th&eacute;&acirc;trale, l&rsquo;artiste souhaite transcrire en peinture la psychologie de ses personnag- es, r&eacute;-incarnant la plupart du temps ses proches en protagonistes de ses propres fictions : selon ses mots, ils y deviennent alors des &ldquo;arch&eacute;types&rdquo; install&eacute;s dans un &eacute;tat flottant, entre absence et pr&eacute;sence, ou &agrave; l&rsquo;inverse pris dans le vif d&rsquo;une interaction physique. &ldquo;J&rsquo;essaie de capturer dans mes toiles l&rsquo;&eacute;nergie de ce qui va changer&rdquo;, d&eacute;clare-t-elle. Presque toujours, les sc&egrave;nes qu&rsquo;elle repr&eacute;sente se trouvent twist&eacute;es par un &eacute;l&eacute;ment inhabituel, habit&eacute;es par l&rsquo;anticipation angoiss&eacute;e du d&eacute;sastre. La trivialit&eacute; du quotidien se m&ecirc;le alors tant&ocirc;t &agrave; l&rsquo;absurde tant&ocirc;t au magique, le tout empreint d&rsquo;une certaine m&eacute;lancolie cynique. Semblables aux fragments d&rsquo;une sombre &eacute;pop&eacute;e qui n&rsquo;aurait ni d&eacute;but ni fin, les toiles de Jill Mulleady nous invitent au c&oelig;ur d&rsquo;une dimension nouvelle, anim&eacute;es par sa qu&ecirc;te ob- sessionnelle de subvertir le r&eacute;el.

L’imaginaire et le fantasme en Technicolor prennent le pouvoir

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