Au Refuge de Solaise, l’hôtel le plus haut perché des Alpes
Jusque-là tout allait bien. Réveillé à l’heure, cinq heures de train, les deux vans à notre arrivée à Bourg-Saint-Maurice, et puis soudain, alors que nous grimpons la route en lacet qui mène à Val d’Isère, coup de fil de Marie, en charge du Refuge de Solaise : “Dépêchez- vous! Les télécabines vont fermer. Il y a trop de vent. On annonce une tempête!” Panique à bord. Où va-t-on dormir? Et le shooting de mode prévu ? Tu crois qu’on va réussir à acheter des clopes là-haut? Les gens autour de moi ont l’air aussi catastrophé qu’aprèsla mort de Karl Lagerfeld, il y a une semaine. Arrivés sur le rond-point des pistes, bonne nouvelle : Marie a convaincu les remontées mécaniques de nous laisser monter à titre exceptionnel. Mais il faut faire vite. Les skieurs ont déjà déserté les pistes. Les cimes enneigées des sapins ploient sous les bourrasques. Deux employés de l’hôtel hissent notre cargaison de valises sur une palette de bois posée sur deux snowboards, et fouette cocher... Au moment de m’engouffrer dans la télécabine, le perchiste me lance : “Eh, pensez à faire le signe de croix”, joignant le geste à la parole. Puis les portent se referment et l’engin se lance dans le vide. Dernier signe de vie terrestre : deux ombres errantes chaussées de skis bravant la tourmente avant de disparaître dans le néant. Puis la cabine s’enfonce à travers une vaste étendue blanche et cotonneuse. Alors me revient en mémoire le générique de Shining avec la voiture vue de haut qui progresse au milieu des montagnes sur une musique menaçante avant de déboucher sur l’hôtel perdu au milieu de nulle part... Heureusement, pas de Jack Nicholson parmi nous. Mais le mannequin star Luka Sabbat qui vient de faire une découverte fondamentale : le wifi est disponible dans l’habitacle. Il va pouvoir filmer une story pour ses deux millions de followers sur Instagram. Val d’Isère est sans doute la station la plus high-tech au monde. Même en plein blizzard, le monde entier continue à suivre vos moindres faits et gestes et vous liker. Enfin, il like surtout Luka Sabbat. À défaut d’avoir les pieds gelés, on se réchauffe l’égo comme on peut. À l’arrivée des télécabines, des rafales de neige durcie nous giflent le visage. J’ai l’impression d’être dans un vieux vidéo clip de U2.
L’hôtel n’est qu’à une centaine de mètres mais le tapis neigeux est si profond qu’on risque à chaque pas de s’enfoncer. Un buggy à chenilles surgit alors de nulle part pour nous sauver d’une mort certaine. Notre petit groupe se précipite dessus et nous gagnons enfin, sains et saufs, notre camp de base.
Les Branchés font du ski
Contraste saisissant : alors que le vent continue à s’époumoner dehors, nous pénétrons une bulle géante de calme et de chaleur. Six mètres de hauteur sous plafond, moquette à motif écossais, boiseries alpines, interminables canapés club, bar à l’américaine, fauteuils à dossier de laine ou tissus dépareillés, baies vitrées panoramiques... J’imagine à peine ce qu’il a dû en coûter de construire un tel palais à ces vertigineuses altitudes. Lorsque l’ancienne gare du Téléphérique de Solaise a fermé en 2016, ce refuge de luxe n’était encore qu’un rêve. En à peine deux étés, Jean-Charles Covarel et Jean-Luc Borel lui ont donné chair. Le restaurant, avec sa terrasse comble les jours de grand soleil dont je m’étais inspiré dans mon premier roman, a été remodelé de fond en comble. L’ancienne arrivée des télécabines reconvertie en chambres ultra-spacieuses. Certains matériaux ou pièces d’ameublement ont dû être hélitreuillés. Quant aux provisions, elles arrivent ici chaque matin par télécabine. Une soudaine angoisse m’envahit : et si celles-ci restaient fermées en raison du mauvais temps? Aucun souci, me rétorque le jeune page blond qui vient de nous accueillir, nous disposons d’une chambre froide et d’un espace de stockage. C’est une chance : à 2500 mètres d’altitude, il est rare qu’on tombe sur une épicerie ouverte passé 22 h. Nous prenons nos quartiers dans le penthouse situé au-dessus, 380 mètres carrés pouvant accueillir jusqu’à dix-huit personnes. Au premier étage, plusieurs chambres dans leur jus, avec baignoire à sabot et carrelage italien, et au second, un vaste espace type chalet rassemblant une cuisine ouverte, un living, une table de salle à manger de dix mètres de long et une terrasse avec une vue à couper le souffle. Enfin, les jours où on y voit quelque chose... À l’extérieur, c’est un véritable maelström de neige. J’aperçois dans le lointain quatre pisteurs suivis par un chien qui dévalent la pente. Puis rien. Le désert. Les silhouettes brouillées des pylônes. Le cortège funèbre des télésièges à l’arrêt. Plus aucun mouvement à l’horizon. Impression étrange d’être revenu aux premiers temps de la Terre quand l’homme n’existait pas encore. Hélas, c’est une espèce qui n’a cessé de se reproduire depuis : mes compagnons de voyage sont assez pour me le rappeler, qui s’agitent dans tous les sens pour préparer le shooting. Déballage de matériel, éruption de vêtements de marques, commentaires d’un snobisme achevé – “le fond de teint, c’est plouc; ça arnaque la beauté des femmes”, dixit Sergio, notre make-up artiste péruvien. C’est Les Branchés font du ski. Où sont passées Camille et Adèle, nos deux mannequins? Elles sont ensemble en train de prendre un bain moussant. Tu veux dire ensemble, dans la même baignoire?
Et comment tu peux savoir ça, toi ? Tu étais avec elles ? On finit par rameuter tout ce monde pour le dîner servi au restaurant. Au menu, tartiflette arrosée d’un excellent blanc de Savoie. Nous sommes seuls dans la salle mais j’imagine déjà l’ambiance quand toutes les chambres de l’hôtel seront ouvertes : la private party la plus secrète des Alpes. Tout le monde rigole de cette tempête digne de l’Apocalypse. Notre productrice a essayé d’aller fumer une clope dehors; elle s’est envolée direct. Je parle de la clope bien sûr... Certains suggèrent de désactiver les détecteurs de fumée. Michel Houellebecq, dans son dernier roman, passe son temps à les dévisser dans les chambres d’hôtels où il séjourne. Non, mais il y a plus simple, m’explique la petite Camille, tu coinces une chaussette dessus; tous mes potes en résidence universitaire font ça. N’empêche, Adèle n’est pas rassurée; elle a un tournage de film dans deux jours. Et si elle ne peut même pas redescendre? Bah, tu y vas en dameuse. Il paraît que le patron de l’hôtel sait les conduire. Ou sinon il y a la luge, mais c’est plus risqué. Tout cela se termine au génépi, et direction le lit.
Blanc sur blanc
Le lendemain, le ciel n’a pas l’air de meilleure humeur. Blanc sur blanc. On dirait un tableau de Malevitch. La styliste avait prévu un drone pour le shooting. “Oublie, si tu le sors par ce temps, il termine en Italie.” Pour nous réconforter, l’hôtel nous a concocté un gargantuesque petit déjeuner : croissants, jambon du pays, tomme de vache. Dans la bibliothèque, je déniche les Mémoires glacées de Nicolas Vanier mais j’opte finalement pour les Tractatus de saint Augustin que j’ai apportés avec moi. On ne sait jamais : si je ne réchappe pas à ce périple, autant assurer ma place au paradis. Le reste de la journée se passe en interviews et visites des futurs espaces dont l’ouverture est prévue fin 2019 : les chambres avec vue plongeante sur la vallée et le lac du Chevril; le dortoir avec ses couchages à deux niveaux pour les nostalgiques des Bronzés font du ski; le ski-shop et la salle de projection pour les jours de mauvais temps et, last but not least, le spa et sa piscine de vingt-cinq mètres de long dont la vaste baie vitrée donnera sur le soleil couchant... Le soir venu, les dameurs de la station viennent casser la croûte au restaurant. L’un d’eux accepte de m’emmener faire un tour dans sa bécane de douze tonnes. Sensation déroutante de se retrouver seuls dans la nuit au milieu de ce désert de dunes blanches. Je lui demande s’il n’a pas peur de croiser des fantômes ou le yeti. Non, mais il aperçoit parfois des randonneurs perdus ou des renards pâles. Le seul véritable danger ici, ce sont les avalanches. Il s’est retrouvé englouti sous une un soir, et s’en est sorti de justesse en creusant avec sa lame et sa fraise arrière. À mes côtés, Luka Sabbat n’a pas l’air rassuré. Surtout lorsque notre conducteur fait halte au milieu de nulle part pour déboucher le filtre à eau. Je l’observe dehors, en train de braver la tempête de neige. Son visage creusé de rides et ses longs cheveux blancs. Et si c’était lui, le Jack Nicholson de Solaise? Le lendemain, miracle. Le soleil pétarade dans le ciel. Vue spectaculaire sur le cirque immaculé de Alpes et ses sommets étincelants. Je peux enfin réaliser ce fantasme absolu : avoir les pistes pour moi tout seul. Me voilà qui m’élance dans la poudreuse pareille à une page blanche sur laquelle je trace des calligraphies à l’encre de mes skis. Le Refuge de Solaise est un roman à lui tout seul.
L’HÔTEL
18 chambres, à partir de 300 €
la nuit, petit déjeuner inclus. Couchette individuelle dans le dortoir à partir de 100 € la nuit avec accès à tous les services de l’hôtel.
LE RESTAURANT
Ouvert tous les jours au public à l’heure du déjeuner. Possibilité également de venir y dîner un soir par semaine (les télécabines ferment alors à 23 h). Réservé à la clientèle de l’hôtel les autres soirs.
LE SPA
Sauna, hammam, piscine de 25 mètres couverte, 5 cabines de soins équipées des produits Julie Exertier, une marque savoyarde.
INFORMATIONS
Tél. +33 7 77 14 12 90. info@lerefuge-valdisere.com Lerefuge-valdisere.com