Thomas Laurent :"J'aime la gueule des Formule 1"
Si comme tous les champions du volant, Thomas Laurent, tout juste âgé de 19 ans, a fait son apprentissage au volant d’un kart, il a choisi d’orienter sa carrière en marge des catégories de monoplaces qui doivent mener – de manière aléatoire et coûteuse – à la Formule 1. Alors qu’il courait encore en kart il y a deux ans, ce jeune Vendéen avait déjà dans l’idée de courir en endurance et de disputer, rêve suprême, les 24 Heures du Mans. On verra que, pour une fois, la réalité a été plus belle encore. Non pas que ce garçon liforme à la mèche impeccable et au regard clair, et qui s’adonne au surf lorsqu’il n’est pas au volant, n’ait jamais rêvé de Formule 1. Mais, lucide, et faisant preuve d’une maturité précoce, Thomas Laurent a très vite compris que la catégorie suprême du sport automobile
la plus médiatisée et la plus populaire auprès du grand public resterait hors de portée faute de moyens nanciers et d’opportunités. Et puis, comme l’assure Thomas Laurent : “Les prototypes de l’endurance m’ont toujours plu. J’adore leur look. J’aime la gueule de ces voitures et l’esprit d’équipe que supposent les courses d’endurance. J’aime l’idée de partage.” C’est une des curiosités chez ce jeune homme. D’ordinaire, ce sont des pilotes con rmés ou en n de carrière qui acceptent de piloter en endurance, histoire de continuer à vivre (de) leur passion. Car les pilotes sont par essence de terribles égoïstes qui ne détestent rien tant que de partager le volant de leur bolide.
Or c’est bien le principe de l’endurance, les courses s’éternisant sur six, douze ou vingt-quatre heures comme au Mans. Pour le néophyte, il convient d’expliquer que con er le volant d’une voiture de course à un équipier à chaque relais impose de s’adapter à des réglages “communs”. En général, un compromis est établi par les ingénieurs a n de satisfaire les deux ou trois pilotes qui doivent exploiter la même voiture une fois en piste. Autant dire qu’un pilote de haut niveau n’est que rarement satisfait à 100 % du comportement de “son” prototype. Mais pour le jeune Laurent, ce n’est même pas un sujet. Lui dit aimer le travail d’équipe, la construction d’une victoire à plusieurs.
Pourtant, ses innombrables succès décrochés en kart, il les doit surtout à son talent et à un style tout en douceur qui n’est pas sans rappeler celui d’un Alain Prost. Un clin d’œil du destin a voulu que Thomas Laurent devienne champion du monde sur la piste “Alain Prost” au Mans. C’était en septembre 2015, il n’avait alors que 17 ans mais déjà plus de dix ans d’expérience derrière lui. Car, comme tous les grands champions, la révélation de son talent fut précoce. Avec des parents propriétaires d’une piste de kart, Thomas Laurent pouvait dif cilement échapper à son destin. Se retrouver derrière un volant, même à l’âge de 3 ans, était dans l’ordre des choses. “En ce qui concerne la compétition, les choses sérieuses ont commencé quand j’ai eu 7 ans”, tempère, sans rire, celui qui affiche encore
un air de gamin bien élevé. Après avoir tout gagné en mini-kart, il s’est attaqué aux différents championnats de France de sa catégorie d’âge. Très vite, son père, qui fut longtemps son mécano, a eu l’intelligence de prendre un peu de champ pour ne pas entraver la progression de son ston. Intégré à une équipe de kart professionnelle dès lors qu’il a fallu aller conquérir des succès en Europe et au niveau mondial, Thomas Laurent s’est très vite fait remarquer par son incroyable maîtrise et son calme olympien au milieu d’une meute de jeunes chiens fous. Ce calme, c’est l’une de ses caractéristiques. Un don en fait, car lorsque la compétition atteint des sommets, le contrôle de ses nerfs est toujours un atout. À quelques minutes de monter dans son kart pour disputer la nale du championnat du monde, il lui avait été demandé quel était son état d’esprit.
La réponse du jeune Thomas avait été déconcertante : “C’est peut-être ma dernière course de kart, alors autant la réussir.” Elle le fut en effet, sanctionnée par un titre mondial. Déjà à l’époque, il songeait à courir à quelques mètres de là, sur le grand circuit des 24 Heures jouxtant la piste de kart.
L'ombre tutélaire de Jackie Chan
Son père voulut calmer les ardeurs du gamin, lui conseillant de prendre son temps, mais il était trop tard. Il y a des talents évidents qu’il ne faut pas laisser passer. À peine descendu de son podium du championnat du monde, Thomas Laurent se vit proposer un test dans un prototype d’endurance. Essai concluant bien sûr et, dans la foulée, premier engagement dans le monde du sport automobile, dans un championnat asiatique d’abord, histoire de se faire la main. Voyant que sa carrière accélère, Thomas Laurent décide alors de passer un brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport, histoire de laisser derrière lui les études sans être totalement démuni. Un choix que ne font pas beaucoup d’adolescents lorsqu’ils ont la chance de toucher du doigt leurs rêves d’enfant. Sur les conseils du manager Rémy Brouard (ancien pilote de kart et qui fut directeur général de l’Automobile Club de l’Ouest, donc très au fait du monde de l’endurance), Thomas Laurent fut présenté à une écurie dont l’acteur chinois Jackie Chan est à l’origine. Après une saison 2016 passée à disputer des épreuves d’endurance annexes, Thomas Laurent s’est retrouvé propulsé au début de la saison 2017 dans le cockpit d’une LMP2, juste un niveau en dessous des monstres de technologie que sont les prototypes engagés par les constructeurs Toyota et Porsche. Vainqueur de la première course avec ses deux équipiers très expérimentés que sont l’Anglais Oliver Jarvis (33 ans) et le Chinois Ho-Pin Tung (35 ans), Thomas Laurent est arrivé dans la Sarthe à la mi-juin en leader du championnat du monde dans sa catégorie. Et déjà dans la peau d’un pilote professionnel. C’est peu de dire qu’il a fait honneur à son statut, en caracolant en tête du classement général jusqu’à 90 minutes de l’arrivée, lui et ses équipiers ayant opportunément exploité les ennuis des équipes d’usine Toyota et Porsche. L’écurie allemande nissant par l’emporter avec son seul prototype encore valide. Mais la télévision avait longuement montré en mondovision les images de la voiture n°38 en tête de la plus grande course du monde, avec à son bord un jeune Français de 19 ans. Thomas Laurent a donc battu des records de précocité en montant, avec ses camarades anglais et chinois, sur la plus haute marche du podium de sa catégorie. Il reste encore quelques courses à disputer dans le championnat 2017 et le Vendéen sera peut-être sacré champion du monde. Thomas Laurent a déjà prouvé qu’il n’y a pas que la Formule 1 dans la vie d’un pilote. Il n’en reste pas moins ambitieux, et ne nie pas qu’il aimerait intégrer l’équipe d’un grand constructeur dans la catégorie reine des LMP1. À ce rythme, il n’y a aucune raison que ce rêve ne devienne pas réalité.