Pourquoi la mode nage dans ses vêtements
Nous sommes en février 2016, à New York, au premier défilé de Rihanna pour Fenty x Puma. Lexi Boling ouvre le bal dans un sweat noir à capuche beaucoup trop grand pour elle. Quelques jours plus tard, chez DKNY, Ruth Bell déboule sur le podium en parka parachute et doudoune maximaliste. Même topo chez Hood by Air, où Shayne Oliver ose le combo cape de pluie/wader, adapté aussi bien à la femme qu’à l’homme. Alors : phénomène de société, pur snobisme ou simple diktat du sportswear ? Dans l’inconscient collectif, le XXL a toujours été lié au sport : le jogging informe, les baskets délacées, et le bon vieux k-way, relique familiale qui se transmet de génération en génération. Tout s’échange, se prête, sans distinction de sexe ni d’époque. Seuls règnent le confort, le cool et l’utilitaire. Le sportswear, dans les années 1990, c’est la promesse d’une mode pragmatique, qui rompt avec les fantaisies mégalomanes des créateurs stars du moment : Thierry Mugler, Paco Rabanne, Jean-Paul Gaultier… La tentation est grande, et surtout à New York, où les subcultures occupent le devant de la scène artistique.
Oscillant entre le rap, le break dancing et le street art, les pionniers du Hip hop adoptent des formes amples, dans lesquelles ils peuvent rapper, danser et faire des graff’. De New York à San Francisco, on se défie à coups de hoodies et de t-shirts triple XL. Instituée par les Public Enemy et autres Snoop Dog, la tendance est reprise par 50 Cent et Eminem dans les années 2000, puis par Kanye West, le « modeux » de la bande. Avec Yeezy, qu’il lance en 2015 avec Adidas, le rappeur américain fait du Hip hop un business branché, pointu et prétentieux : « Je ne veux pas que les vêtements soient la vie. Je veux que les vêtements soient un atout pour la vie. » Les basiques du genre (sweats, joggings, bandeaux et sneakers montantes) sont revus et corrigés dans des matières techniques, et portées par des brindilles un peu trop sages. Pour se faire aimer de la mode, Kanye West aseptise son style. Car à New York, bastion du minimalisme, les rebelles se rangent les uns après les autres.
Bêtement catégorisé « sportswear », le vêtement trop large de l’hiver 2016 est donc le résultat d’un syncrétisme. L’attitude Hip hop flirte avec les fantasmes des uns et des autres : le victorianisme pour Marc Jacobs, qui superpose des plastrons en guipure à ses sweats XXL ; le gothique pour Rihanna, qui tente le trio corset-hoody-choker… Certains ressuscitent l’âge d’or du rap West Coast par des bons mots, jetés en lettres capitales sur leurs créations : « Strict » chez Alexander Wang, « May the Bridges I Burn Light the Way » chez Vetements… La femme de l’hiver oscille entre ponchos, doudounes, pantalons de pyjamas et autres « anti-New Look », quand son boyfriend ose la basque, l’épaulette et la cuissarde. Lui s’habille trop petit, Elle beaucoup trop grand : les codes se mélangent, les frontières s’abolissent. La manie vient d’Amérique, mais aussi de Paris, qui a tout fait pour rompre avec la tyrannie du body-conscious. La révolution Rykiel, qui plaçait la liberté de mouvement au centre du propos, est perpétuée aujourd’hui par Phoebe Philo chez Céline, Clare Waight Keller chez Chloé ou encore Louise Trotter chez Joseph, qui créent des vêtements où il fait bon flotter.
Crédits, de haut en bas :
défilé Fenty x Puma by Rihanna automne-hiver 2016/17,
défilé Yeezy x Kanye West automne-hiver 2016/17,
défillé Joseph automne-hiver 2016/17.