Pourquoi Klaus Nomi est un musicien essentiel
Figure incontournable de la pop-culture, influence décisive sur des générations de musiciens, Klaus Nomi semblait un peu oublié. Une série de publications commémorant les 40 ans de sa disparition le remettent pleine lumière.
Parmi les multiples facettes du génie de David Bowie, sa capacité de capter son époque, comme l’on dirait d’un téléphone et du réseau disponible, n’a jamais cessé de sidérer; sa générosité (que les âmes chagrines confondaient avec un cynisme vampirisant les innovateurs pour les diluer dans une approche plus œcuménique) quand il s’agissait de partager ses découvertes - œuvrant à la découverte par un public européen du Velvet Underground, à la mise en lumière de Scott Walker, il a fait œuvre, aussi, de passeur. Ainsi, c’est en invitant Klaus Nomi, en 1979, à l’occasion de sa prestation au Saturday Night Live, pour une interprétation renversante de The Man Who Sold The World, que l’artiste né en Allemagne en 1944, arrivé à New-York en 1972, qu’il lui offrit une exposition précieuse. Qui sera brève : quatre ans plus tard, il décèdera des suites de complications liées à son infection par le virus du sida. Jusqu’alors figure du New-York arty, où il côtoie Keith Haring ou encore Kenny Scharf - et donc, forcément Warhol, qui ne semblait curieusement pas être séduit par son travail, peut-être prenait-il en mauvaise part les rumeurs d’une liaison entre Basquiat et le musicien -, Nomi inventait une musique hybride, sur fond de théâtralité, cousant ensemble new-wave et chant lyrique, cabaret berlinois et musique baroque, disco et art conceptuel. Léonie Pernet, pour le deuxième volet de remixes de classiques du musicien, s’est emparé de Lightning Strikes (« choisie pour son coté foutraque avec lequel j’avais envie de jouer, et puis surtout pour son refrain épique et groovy en même temps »), résume parfaitement son essence fluide : « Il est un peu comme Laurie Anderson, un artiste inclassable, exigeant, expérimental et pop à la fois. Son œuvre est précurseuse dans la mesure où il a cherché à estomper les frontières entre différents style de musique, notamment la musique dite savante et la musique populaire. » En seulement deux albums publiés de son vivant, il reconfigurait l’idée que l’on se faisait de la pop, et offrait un patron - au sens couturier - aux aventuriers du son pour y tailler leurs propres vêtements. Son sens de la scénographie (des costumes aux maquillages, en passant par la coupe de cheveux), du concept expressif (auquel David Byrne des Talking Heads n’était sûrement pas indifférent). ne doit pas cacher son immense talent, de chanteur à la palette expressive riche, portée par une voix de contre-ténor, et de compositeur, aux chansons teintées d’accents tragiques, où l’euphorie dansante, dans un déroutant carambolage, rencontre la mélancolie des aubes navrantes. Dans un contexte où l’épidémie de Sida décime la communauté gay, elles semblent fusionner avec l’ébullition créative new-yorkaise, et prendre sur leurs épaules toute l’anxiété panique de l’époque. On compte parmi les fans de son univers - on emploie à dessein ce terme parfois galvaudé pour cerner au mieux son legs, inspirant des émotions quasi-mystiques, tout en sensations fortes, sans jamais se départir d’une ambition ludique - Lady Gaga, Anohni, Morrissey, et l’on devine son influence derrière les créations de Jean Paul Gaultier, ou Thierry Mugler, dont il portait une robe lors de son duo avec David Bowie…L’on s’étonne à peine, donc, qu’une génération de musiciens venus de la scène électronique s’empare en cette année commémorative de son répertoire. Ainsi Para One, Superpoze, DJ Hell ou encore Arnaud Rebotini propose d’emballants et passionnants remixes (des relectures, plutôt, passant par leurs propres prismes singuliers les chansons de Nomi). Ainsi, en investissant l’extra-ordinaire The Cold Song, en une fabuleuse version, Rebotini revient sur son rapport à son auteur : « une grande voix et un grand, c’est un personnage unique dans la pop culture aussi bien musicalement, que visuellement. C’est aussi quelqu’un qui a fait beaucoup pour rendre visible les personnes LGDTQI+. Son œuvre à quelque chose d’intemporel et d’unique, sa grande originalité et son large champ d’influences raisonnent de manière particulière à notre époque. Celle d’internet où toutes les musiques du monde et de toutes les époques se trouvent très facilement , il est donc plus évident de les faire fusionner aujourd’hui. Klaus Nomi était en avance sur son temps. » L’heure est venue de redonner à ce musicien unique toute sa place dans l’histoire de la pop-culture.
Klaus Nomi Remixes (Sony Music/Legacy Recordings). Sortie du volume 2 le 15 décembre
L’intégralité de sa discographie est rééditée en édition physiques et en formats digitaux (Sony Music/Legacy Recordings)