Ibiza, nouvel havre de culture ?
Imaginez-vous au cœur de la mer Méditerranée, sous un soleil de plomb apaisé par la brise marine: Ibiza, trésor des Baléares, offre un cadre dont rêvent de nombreux vacanciers. Aujourd’hui, cette île est devenue une destination touristique incontournable en toute saison. Et si elle se trouve encore fréquemment associée à sa vie nocturne en ébullition, elle n’en présente pas moins de nombreuses richesses dépassant sa réputation de capitale de la fête. Récemment, Ibiza s’est affirmée par un développement des secteurs associés à l’art contemporain, la pourvoyant d’une offre culturelle de plus en plus diversifiée. Pourtant, son histoire avec le monde de l’art est en réalité bien plus ancienne, ses racines remontent au début du xxesiècle.
Terre d’accueil
À l’époque, Ibiza devient une terre d’accueil pour de nombreuses figures éminentes, artistes, intellectuels et théoriciens de l’art. Dans les années 1930, l’historien et philosophe allemand Walter Benjamin y séjourne pendant quelques années — il mentionnera l’île dans plusieurs de ses textes — tandis que l’écrivain et artiste dadaïste Raoul Hausmann s’y exile, contraint de quitter l’Allemagne nazie. À cette même période, l’architecte allemand Erwin Broner pose, lui aussi, ses valises à Ibiza, où il s’installera définitivement quelques années plus tard après avoir vécu aux États-Unis: particulièrement actif dans la vie culturelle de l’île, il y laissera son empreinte avec sa propre maison-atelier construite en bord de mer, la Casa Broner, aujourd’hui devenue musée ouvert au public. Avant de devenir un eldorado du mouvement hip- pie à partir des années 1960, l’île doit cette vague d’attractivité à des raisons à la fois politiques et géographiques: loin des conflits qui agitent le continent européen pendant la Seconde Guerre mondiale, Ibiza offre aux artistes et intellectuels un havre de paix où pratiquer leur activité librement, dans des conditions environnementales idéales, et qui suscitent l’inspiration.
Le Mace, un acteur majeur
Comment expliquer cependant ce développement récent de l’art contemporain ? Pilote culturel majeur de l’île, le Mace (museu d’art contemporani d’Eivissa) semble jouer pour beaucoup dans son essor. Inauguré en 1970 et à ce jour l’un des plus anciens musées publics d’art contemporain en Espagne, son ambition initiale était double : transmettre l’héritage culturel fourni par l’île et ses artistes résidents, tout en mettant en avant la création contemporaine. Une vocation et une identité réajus- tées en 2012 après des travaux d’expansion du musée : comme l’explique Elena Ruiz, sa directrice depuis trente ans, le Mace a alors adopté une “nouvelle impulsion, mieux définie et plus ambitieuse”.
Afin de signifier ce tournant lors de sa réouverture, le musée accueillait alors deux figures majeures de l’art contemporain : le plasticien catalan Miquel Barcelò, originaire de Majorque et connu pour ses peintures et fresques monumentales, ainsi que le sculpteur britannique Barry Flanagan, qui passa la dernière partie de sa vie à Ibiza. Depuis, le Mace a su mettre à l’honneur de nombreux artistes à la renommée internationale tels que Cy Twombly, Douglas Gordon ou Edmund de Waal. Un succès pour l’institution qui, en plus de son rôle très ancré dans l’histoire de l’île, bénéficie d’un site particulièrement fréquenté au cœur du quartier historique de la ville d’Ibiza.
Tisser un réseau artistique
Ouverte en 2013 en plein centre de l’île, la galerie Parra & Romero s’est installée quant à elle bien plus loin des plages de la capitale. Représentant des artistes contemporains qui s’inscrivent dans la lignée de l’art minimaliste et conceptuel, elle propose un regard sur l’histoire de l’art mettant en parallèle des pratiques séparées de plusieurs décennies. L’ancien entrepôt qu’elle occupe a été choisi afin de développer des projets à grande échelle, faisant de la galerie “un point de rencontre pour les amateurs d’art contem- porain”, d’après son directeur Guillermo Romero. Selon lui, l’île dispose d’un “contexte très agréable pour sociabiliser, avec un rythme moins soutenu et des rencontres plus personnelles entre artistes, curateurs, collectionneurs, chercheurs, etc.” Un cadre bien plus calme que celui des grandes métropoles, où foisonnent biennales et foires d’art jusqu’à parfois submerger leurs acteurs.
Depuis l’inauguration de sa galerie, Guillermo Romero constate déjà une évolution avec l’apparition de nouvelles galeries et de lieux dédiés à l’art, permettant de tisser un véritable réseau artistique. L’an passé, le Mace et Parra & Romero se sont d’ailleurs associés dans la production d’un projet de l’artiste uruguayen Luis Camnitzer, l’un des représentants majeurs de l’art conceptuel en Amérique latine. Une évolution réjouissante pour Ibiza, présageant l’expansion d’un véritable
soft power culturel.