Angèle + Lukas
“On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans”, écrivait Rimbaud sur les idylles de jeunesse. C’est sans doute de là que vient notre regard paternaliste, parfois moqueur, sou- vent méprisant, sur les jeunes amours. Mais la jeunesse des an- nées 2000 a grandi sous le sérieux du risque d’attentat, de guerre, sous des changements politiques et climatiques majeurs, la rendant beaucoup plus sérieuse que celles qui l’ont précédée. Même en amour. C’est du moins l’impression qu’on a eue en rencontrant Lukas Ionesco et Angèle Metzger. Lui, 21 ans, enfant du cinéma (il est le fils de l’actrice-réalisatrice Eva Ionesco), révélé dans The Smell of Us le film polémique de Larry Clark. Touche-à-tout, il poursuit sa carrière d’acteur, mais s’intéresse aussi au décor cinématographique, tout en travaillant en tant que mannequin et musicien avec son groupe Diaperpin. Elle, 18 ans, adulescente au visage piqué de taches de rousseur et au regard malicieux, suit des études en hypokhâgne et commence une carrière de mannequin mais aussi de comédienne avec Madame Hyde, le prochain film de Serge Bozon. Ensemble depuis un an et demi, ils forment un couple fascinant pour la mode française, qui les invite sur papier glacé pour parler de leur amour à visage découvert. C’est au Mansart qu’on les a retrouvés, brasserie d’angle située dans le 9e, leur arrondissement de prédilection, avec l’idée de découvrir ce qui fascine autant dans ce couple. “On s’est rencontrés ici, on n’a même pas fait exprès”, explique Angèle. “Moi, j’ai un peu fait exprès, avoue Lukas. On a déjà fait des interviews pour parler de nous, mais on n’en a jamais fait ici, donc je me suis dit que ça pourrait être marrant”, ajoute-t-il.
Quand on leur demande si des couples ont marqué leur vision de l’amour, Lukas fait tout de suite appel au cinéma : “Bonnie and Clyde, Tueurs nés, Sailor & Lula... J’ai grandi avec ça. Je nous vois comme ça.” “Moi, je n’ai pas trop grandi dans cette optique du couple parfait, mes parents n’ étaient pas trop pour le mariage. Mais en même temps, ils sont ensemble depuis vingt ans, ils ont dix ans d’écart et ils travaillent ensemble. C’est un bel exemple de couple. Pour moi, un couple ça doit vivre ensemble. J’ai envie qu’on travaille ensemble”, raconte Angèle. “Là, sur mon album par exemple, j’aurais adoré qu’elle puisse chanter quelques morceaux, mais on ne sait pas si ça va être possible avec ses cours. Après il y aura un morceau pour elle, elle le sait”, renchérit Lukas. Leur complicité n’est pas feinte. Plus la conversation avance et plus on les voit essayer de se définir l’un avec l’autre. Ils ne cherchent pas à créer une troisième entité, ils sont elle + lui, une addition. “À deux, on est plus fort”, affirme Angèle avec assurance. Durant cet échange, ils ne se couperont presque jamais la parole. Quand l’un parle, on sent qu’il prête en même temps une attention particulière à l’autre. Il y a comme une respiration entre leurs mots, preuve qu’ils ont créé un espace où chacun d’entre eux peut être lui-même avec l’autre. Face à l’amour des autres, on se positionne, leur bonheur ou leur malheur nous touche, il nous aide à nous définir, à deviner ce que l’on veut. “Tous les films d’amour que j’aime sont des road trips. Notre vie, je la vois un peu comme ça. On est dans notre caisse et on avance”, explique Lukas. “Je préfère le voir comme ça aussi, après il y aura peut-être des obstacles, des méchants qui vont arriver, mais nous, on sera toujours ensemble”, conclut Angèle en riant. On ne sait pas pour les méchants mais une chose est sûre, en une heure ils ont fait disparaître notre envie d’ironiser sur l’amour.
Pourtant, c’est en traînant les pieds que Lukas se rend au Mansart, sous l’impulsion d’un de ses potes, le soir où ils se sont rencontrés. Lorsqu’on aborde leurs premières impressions, c’est avec un rire gêné qu’ils se racontent. “J’avais l’impression qu’il était très sûr de lui alors qu’il est très fragile au fond. Il ne parlait pas, mais il est resté assis à côté de moi et j’ai trouvé ça super mignon”, commence Angèle. “Je n’avais pas envie de te draguer, j’avais envie de te connaître un peu. Il y avait un truc comme ça, qui n’existe pas. Un sentiment. Mais je m’en souviens très bien”, continue Lukas. Seulement quelques mots ont été échangés. Pourtant, on comprend rapidement la dynamique du couple. Si Lukas est son aîné de trois ans, Angèle a une assurance presque magnétique. Lui est plus en retrait, hésitant un peu à s’exprimer, cherchant parfois dans le regard d’Angèle une réponse, un encouragement, sur une question dont eux seuls semblent connaître la teneur. Si la raison de cet engouement autour d’eux devient de plus en plus claire, on ne peut s’empêcher de leur demander comment on se sent lorsqu’on travaille avec la personne qu’on aime, et surtout lorsqu’on voit les autres chercher à capturer des moments d’intimité. Pour Angèle : “Quand je regarde mon Instagram, c’est en même temps notre vraie vie et en même temps un autre monde. J’ai beaucoup de potes en couple qui préfèrent ne pas trop se montrer, je comprends, mais je trouve ça bien aussi de montrer que l’amour, ça existe. On se met beaucoup en photos, mais on s’aime vraiment.” On se sent un peu bête à les interroger de la sorte. Et puis on finit par comprendre que cette fascination pour eux en dit beaucoup sur nous. Cette recherche, peut-être inconsciente, de trouver un peu de beauté, d’innocence, dans l’horreur de ces dernières années, de ces derniers mois. “Il y a eu beaucoup de films, de livres un peu déprimants sur l’amour. En ce moment, je lis Voyage au bout de la nuit de Céline. J’ai beau être très heureuse, quand je le lis, je me dis que c’est ça la vraie vie, c’est hard. Il n’y a que l’amour! Il y a trente ans, les gens ne voulaient pas se marier, mais aujourd’hui, on rencontre plein de gens, même des punks, qui souhaitent se marier”, nous dit Angèle.