Il était une fois Victoire de Castellane
Victoire de Castellane est une conteuse née. Comment pourrait-il en être autrement ? Le sens de l’histoire coule dans ses veines. Histoire familiale tout d’abord, qui se confond avec l’Histoire de France : la cathédrale Notre-Dame de Paris n’est pas encore achevée que la Maison de Castellane, composée de sires, de barons, de seigneurs et de croisés, occupait déjà depuis plusieurs siècles un rang exceptionnel, frappait sa propre monnaie, festonnait de sa puissance héraldique un ensemble de chartes attestant sa souveraineté sur de vastes fiefs constellés d’armoiries, semés de blasons, armoriés de devises et couronnés de châteaux. Histoire personnelle ensuite, qui superpose trajectoire individuelle et prédestination : alors qu’en Haute-Provence, terre de ses aïeuls depuis le xe siècle, une montagne sanctifiée porte son prénom, la toute jeune Parisienne jouait déjà à la dame élégante (et à la pie voleuse) en essayant les joyaux trop grands de sa grand-mère, en fondant le métal précieux des médailles religieuses offertes pour sa première communion afin les ressusciter en bague. Karl Lagerfeld, auprès de qui elle travailla pendant quatorze ans, disait d’elle : “Vous la regardez et vous comprenez tout de suite ce qu’elle veut dire.” Cette éloquence libérée des sentences et des théories s’appuie sur une farouche volonté. En 1998, elle posait la première pierre qui allait fortifier une toute nouvelle vision de la haute joaillerie, la sienne. “J’ai proposé à Bernard Arnault de créer de toutes pièces la joaillerie Dior, je sentais qu’il y avait de la place pour créer une joaillerie qui n’existait pas à l’époque”, nous dit-elle à l’occasion du lancement de la collection “GemDior” qui célèbre ses 20 années de règne au sein du département qu’elle a initié. Quatre-vingt-dix-neuf pièces – de loin la plus importante collection de Dior Joaillerie – qui figurent des strates géologiques, des compositions abstraites, naïves. Les montures disparaissent derrière un chahut de formes et de couleurs qui semblent vouloir capturer l’essence des origines. Origine des pierres, de la terre, de la vocation. “C’est comme si j’avais mis dans un shaker toutes mes collections depuis vingt ans et qu’il en ressortait des arrêts sur image, de très gros plans pixellisés. À la fin, il reste la matière et la couleur.” La collection a été présentée à Venise. Deux soirées d’anthologie. La première, pour des raisons évidentes, se déroulait au palais Labia qui fut, en 1951, le théâtre d’un bal légendaire orchestré par Charles de Beistegui. Cette fête avait confondu d’admiration Christian Dior. La seconde soirée se déroulait dans la salle supérieure de la Scuola Grande de San Rocco. Imaginez deux longues tables éclairées aux bougies sous la lumière poignante des tableaux du Tintoret. Difficile, même pour les invités les plus blasés, de ne pas ressentir le frisson sacré de la beauté… d’autant plus que Victoire de Castellane, en accueillant elle-même les amis de la Maison, achevait par son esprit et sa simplicité (sophistication suprême) d’entremêler les fils du temps, paraissant poser sur l’événement l’infini des légendes qui ont forgé la poésie de son nom et la profondeur de ses créations.