Andrea Incontri pour Benetton : Nouveau chapitre
Depuis juillet 2022, le designer italien Andrea Incontri est le nouveau directeur de la création des collections femme, homme et enfant de Benetton, la marque Made in Italy fondée en 1965. Rencontre.
Honoré de rejoindre cette grande famille, Incontri vise non seulement à en être le curateur, mais aussi à connaître et respecter tous les codes de Benetton. “Ma première rencontre avec le PDG Massimo Renon a été très naturelle, j’ai immédiatement exprimé mon point de vue sur cette marque et sur tout ce qu’un designer doit faire aujourd’hui au sein d’une entreprise de ce type. L’un de mes objectifs est d’essayer d’être rigoureux, d’exalter cette merveilleuse réalité et de faire un travail de haute définition.” Ainsi, en septembre dernier, pendant la semaine de la mode de Milan, le créateur italien a présenté sa première collection dans la boutique de Corso Buenos Aires. Son imaginaire est un manifeste clair basé sur l’idée d’une authentique harmonie.
L’OFFICIEL : Parlez-nous de votre premier show...
ANDREA INCONTRI : J’ai commencé à travailler sur le défilé avant l’annonce officielle de ma nomination comme directeur créatif de Benetton. Avant tout, je suis parti de l’ADN de la marque, de sa genèse à sa communication. En réalisant cette collection, j’ai rationalisé la créativité, en l’incorporant à un discours lié aux gammes de prix, à l’offre et à la transversalité qu’elle peut donner à une marque. J’ai immédiatement essayé de trouver un point de rupture, un élément d’empathie et de naturel, en m’appuyant sur de nombreux professionnels.
L’O : Comment se fait-il que les fruits y jouent un rôle aussi important ?
AI : J’aime beaucoup les mathématiques et la répétition. Le multiple est une forme presque obsessionnelle qui détermine une intensité du message. Plus je répète, plus vous comprenez, c’est ainsi que j’ai choisi le fruit comme élément et que je l’ai répété à l’infini. Dans la culture du corps et de la beauté, la nourriture a à voir avec le fait de bien manger et de bien vivre. Le message nous ramène aussi à la manie obsessionnelle d’être toujours beau. Ce défilé pose cette question de la beauté, de la perfection, ce qui cache aussi des éléments sombres. Ma première collection est donc une salade de fruits, une expression vivante et dynamique. J’aime qu’il y ait ce spleen et cette fraîcheur.
L’O : Vous croyez en la perfection ?
AI : Absolument pas, ce sont les erreurs qui font la valeur ajoutée. Se tromper est fondamental, ce serait terriblement ennuyeux de faire les choses de façon trop parfaite.
L’O : Que pensez-vous avoir en commun avec Benetton ?
AI : Le fait que je ne suis pas un homme de mode. Pour moi, Benetton, c’est une culture du projet, d’une temporalité qui parfois n’habille pas la saison canonique mais a plus de respiration. Évidemment, la mode y a sa place, c’est un élément fondamental dans ce que je fais en tant que créateur. J’essaie de construire quelque chose qui ne suit pas les tendances, mais qui va dans une direction différente et avec des racines plus solides.
L’O : Quelle valeur ont les archives pour vous ?
AI : Elles sont fondamentales, mais pas indispensables. Mon esthétique est profondément liée au passé, mais seulement en partie. Être trop citationniste et recréer une garde-robe vintage n’a aucun sens. À l’automne prochain, nous lançons la collection Re-Edition, une réédition, redessinée bien sûr, qui réinterprète les codes classiques. J’ai imaginé que je tenais un arc entre mes mains et que je le soumettais à une grande tension, en tirant beaucoup vers l’arrière. Ensuite, lorsque l’on tire la flèche, on traverse le passé, le présent et le futur.
LOl : Alors, comment définiriez-vous « votre » Benetton ?
L’O : Et donc, comment définiriez-vous “votre” Benetton ?
AI : Lorsque vous commencez une histoire où l’image est parfois plus forte que le produit, vous essayez de ramener l’attention justement sur ce dernier, un produit qui soit également capable d’avoir du caractère car, jusqu’à présent, la marque n’était pas tellement liée à sa contribution créative mais plutôt à l’histoire qu’elle raconte. Aujourd’hui, Benetton peut être comparé aux géants très connus de la fast fashion. Cependant, il y a un storytelling dans cette entreprise, la merveilleuse histoire italienne d’une marque familiale, de Massimo Vignelli, Tobia Scarpa et Oliviero Toscani.
L’O : Pour vous, quel rôle joue la couleur ?
AI : J’ai essayé dès le début de faire un travail audacieux à travers des couleurs pleines, presque industrielles. C’est aussi un travail de formes et de matières. Je n’avais jamais travaillé avec la couleur et pour moi c’est une véritable découverte.
L’O : Comment était-ce d’amener un monde aussi démocratique sur le podium ?
AI : Je pense que l’une des caractéristiques de Benetton doit être la facilité. Lorsque vous êtes populaire, vous devez simplifier votre message. Le plus drôle, c’est qu’on m’a toujours qualifié de conceptuel et d’intellectuel. Pourtant, en travaillant pour une marque comme Benetton, il est normal de proposer un langage plus facile d’accès, mais c’est aussi mon langage. J’aime vraiment travailler sur la soustraction et la simplification. La collection, dans son approche créative, est donc objectivement démocratique.
L’O : Que signifie pour vous être genderless ?
AI : Ma vision est très naturelle. Tout cela fait partie de mon histoire depuis longtemps. Le fait que les deux mondes s’influencent mutuellement est très beau.
L’O : Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez dessiner un jour pour Benetton ?
AI : Un hôtel, parce que j’aimerais faire retrouver cette sensation d’être à la maison à ceux qui sont de passage. Je l’imagine avec une philosophie temporaire, j’aimerais pouvoir le transformer continuellement. Pour en revenir à la discussion sur la non- perfection, peut-être que j’aimerais aussi qu’il y ait quelques erreurs.
L’O : Votre premier souvenir lié à Benetton...
AI : J’étais avec ma mère dans un magasin, depuis que je suis enfant j’ai toujours aimé m’habiller. Je voulais des chaussures que je puisse attacher tout seul. Je me souviens très bien à quel point j’étais heureux d’avoir trouvé ce modèle très coloré, avec du Velcro pour être plus autonome.
L’O : Comment voyez-vous votre avenir chez Benetton ?
AI : Aujourd’hui, c’est comme si j’avais les clés de cette belle maison à plusieurs étages, dans laquelle je me reconnais. Je suis dans une première phase, au rez-de-chaussée, et j’espère monter tous les étages. Je suis très heureux de travailler dans cette entreprise. Je suis très fier, reconnaissant de cette opportunité. Je pense qu’on peut y faire des choses merveilleuses.
L’O : Y aura-t-il d’autres défilés ?
AI : Le défilé a certainement été une valeur ajoutée, il a fonctionné surtout d’un point de vue commercial. Nous avons beaucoup de magasins dans le monde et des personnalités très importantes étaient présentes au show. Pour eux, c’était un outil utile pour comprendre le vêtement, sa dynamique. Donc oui, ma relation avec les défilés est destinée à se développer, et peut-être que la prochaine fois ce ne sera pas dans l’une de nos boutiques mais dans un hangar.