Hommes

Youssef Marquis : l’éminence grise du red carpet

Le celebrity marketing n’a pas de secret pour Youssef Marquis. Alors qu’il lance son agence de consulting, il décrypte les rouages d’un métier connectant l’industrie de la mode à celle de l’entertainment.

finger hand person face head photography portrait adult male man

L'OFFICIEL : Pouvez-vous nous raconter vos débuts dans la profession?

Youssef Marquis : Le celebrity marketing, “relations célébrités” en français, m’a toujours intéressé, avant même qu’il ne porte un nom ! Cette passerelle entre deux industries, celles du luxe et de la pop-culture, me fascine. Quand j’ai intégré mon premier poste chez Lanvin aux côtés d’Alber Elbaz, en 2006, l’époque était à la communication traditionnelle. Il y avait peu d’outils pour travailler le storytelling et le message de marque. Nous avions un rapport différent au temps, les partenariats se géraient sur la longueur, la fidélité. Tout était très organique, spontané, et surtout non quantifiable en termes de retombées commerciales. Ça se sentait jusque dans nos relations avec les célébrités. La communication stratégique, “à 360”, est arrivée par la suite, et j’en ai fait mon métier. Puis je suis passé chez Givenchy pour m’occuper plus spécifiquement des relations célébrités, même si le poste n’existait pas en tant que tel. Alicia Keys, Demi Moore, Céline Dion faisaient déjà partie de mon carnet d’adresses ! Pendant treize ans, j’ai développé avec Riccardo Tisci, puis Clare Waight Keller, une nouvelle stratégie de visibilité pour la marque, entamée en 2008 par la collaboration avec Madonna que la marque habillait pour sa tournée mondiale. C’était parti !

L’O : Comment expliquez-vous le succès du celebrity marketing?

YM : La montée en puissance des réseaux sociaux a marqué un tournant définitif dans la profession. Avec deux facteurs décisifs, géographique et comportemental. Alors que les marques avaient tendance à globaliser leurs territoires, à l’inverse la localisation des stratégies de communication s’est affinée. L’Asie (Chine, Japon, Corée du Sud) a ouvert la voie : les marques ont réalisé qu’un placement produit sur une star de la K-pop locale rapportait souvent plus que sur une princesse royale mondialement connue. On touche là au deuxième facteur, celui du miroir social. L’importance du sentiment d’accessibilité d’une “girl next door”, un phénomène accentué par l’apparition des influenceuses, dont les collaborations avec les marques ont été rapidement monétisées. Malgré les excès que l’on connaît, c’est tout un nouveau système qui s’est mis en place, “marketé” à coups de KPI (key performance indicator, ndlr) et de ROI (return on investments, ndlr). La contractualisation des partenariats est devenue monnaie courante, parce que leurs retombées sont devenues mesurables. Et ça a tout changé.

L’O : Quel avenir voyez-vous pour le secteur?

YM : Je suis persuadé que les relations célébrités ne relèvent plus aujourd’hui de la fidélité mais bien de la singularité. Les marques ont beaucoup plus intérêt à aller chercher des personnalités qui leur ressemblent et véhiculent leurs valeurs. Il faut travailler le ciblage, la niche, d’où l’importance de la micro-influence et le succès des talents à haute valeur ajoutée. C’est la personnalisation du panel de représentation qui fait la justesse d’un message de marque. Contrairement à d’autres acteurs de la profession, je suis contre la stratégie du copié-collé. Prendre toujours les mêmes, parce que ce sont les plus connus, est voué à l’échec. C’est la marque qui s’adapte à la personne, et non l’inverse. Une chose est sûre, c’est que le métier n’est pas près de disparaître, tant que les maisons n’auront pas trouvé mieux pour parler à leur audience cible.

person standing pants shoe formal wear long sleeve adult male man chair
lamp shoe person sitting ring adult male man couch furniture

L’O : En quoi le tapis rouge est-il incontournable pour les marques?

YM : Pour une marque de luxe, être présent sur le red carpet relève plus d’une stratégie d’image, la brand reputation, que d’une stratégie commerciale. Beaucoup d’entre elles font porter à leurs ambassadeurs des créations uniques, spectaculaires, fabriquées uniquement pour l’occasion. Et quand ce n’est pas le cas, certaines célébrités demandent même que le look prêt-à-porter qu’elles portent pour l’occasion soit retiré, momentanément ou pas, des boutiques ! C’est dire le degré d’exclusivité associé à un tel moment de culture populaire. Sport, cinéma, musique, tout y passe. Le Super Bowl, la Coupe du monde de football, les Grammys, le Met Gala (j’y ai habillé Beyoncé en Givenchy cinq ans d’affilée), les festivals de Cannes, de Venise, de Berlin… mais rien ne vaut le grand chelem de “L’Award Season” qui regroupe les 4 évènements cinéma les plus bankable pour les marques : Golden Globes, SAG (Screen Actors Guild Awards), BAFTA et Oscars. Les contrats avec les stars y sont énormes en termes financiers, et les politiques de placement très agressives, atteignant parfois des sommets avec la joaillerie. Équipes dédiées sur place, plannings stratégiques, tout est minutieusement paramétré, ciblé, comptabilisé. Et tout le monde a les yeux rivés sur les chiffres de Media Value qui tombent le lendemain, trustant la première place du podium dans les rankings de retombées médiatique.

L’O : Quelle plus-value votre agence peut-elle apporter au marché ?

YM : Je suis parti d’un constat simple : aujourd’hui, le département influence et célébrités est traditionnellement intégré aux grandes maisons. Alors qu’il est très spécifique, exigeant, stratégique, et qu’il requiert une grande connaissance du terrain et de ses différents acteurs. Paris est en retard sur les États-Unis, plus décomplexé dans son approche du star-system, mais à l’inverse moins expert en création mode. Je connais les deux, et j’ai sans doute le plus gros carnet d’adresses dans la discipline, incluant les équipes satellites (agents, publicistes, stylistes). Cela aide à pratiquer un “matchmaking” au scalpel! Le postulat de départ de l’agence, lancée en janvier dernier avec le soutien de LVMH, était d’externaliser ce service pour mieux répondre à une demande croissante des marques. Marquis est un écosystème de conseil en communication à 360 qui entend réconcilier deux industries qui se parlent de manière instinctive, mais parfois hermétique, avec leurs propres codes. Et puis je garde toujours des projets de cœur, pour de jeunes marques. Rien ne me fait plus plaisir que de travailler sur un placement produit pour le prochain MET Gala, alors que je sais que cela va tout changer pour elles.

1 / 7

Tags

Recommandé pour vous