Hommes

La vie d'une paire de mocassins Tod's

Entrepreneur patriote, Diego Della Valle a fait du « made in Italy » l’élément-clé de son gigantesque empire, insufflant un vent contemporain à ce savoir-faire ancestral. Pari réussi pour cet autodidacte visionnaire qui s’était donné pour mission de chausser un jour tous les grands de ce monde.
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Exactement 787 millions d’euros, c’est le chiffre d’affaires global enregistré par le groupe Tod’s sur les neuf premiers mois de l’année 2015, soit une hausse de 6,2 % par rapport à la même période de l’année précédente. Un bilan plutôt convaincant, à l’heure où la grande majorité des acteurs mondiaux du marché du luxe connaissent quelques sévères déconvenues, notamment dans les turbulences de la consommation chinoise. En 2014, l’entreprise cotée en Bourse affichait déjà une santé de fer avec des résultats avoisinant le milliard d’euros, de quoi la conforter dans sa position de leader mondial sur le secteur des accessoires de luxe. Aujourd’hui, en plus de la maison éponyme qui engrange à elle seule 60 % des bénéfices, le groupe Tod’s compte dans son portefeuille d’autres chausseurs de renom, Roger Vivier et Hogan, ainsi que l’enseigne de prêt-à-porter Fay. Cet imperturbable succès, il le doit en grande partie à l’ambition visionnaire de son dirigeant, Diego Della Valle. De l’autre côté des Alpes, le brillant sexagénaire est une figure quasi patrimoniale ! Self-made-man charismatique, il occupe aujourd’hui une place de choix dans les hautes sphères de la société italienne. Les médias nationaux lui consacrent leur une, les politiques redoutent son jugement autant qu’ils le respectent, et il jouit d’une popularité record dans l’opinion publique, jusqu’au cœur des stades, depuis qu’il a racheté la Fiorentina, le prestigieux club de foot florentin. Sauvegarder les emblèmes nationaux est même devenu pour lui un cheval de bataille : restauration de la scène de la Scala de Milan, rénovation en cours du Colisée de Rome, création d’un parc à thèmes à Cinecittà, la « Hollywood-sur-Tibre »... il est sur tous les fronts. Affichant un patriotisme qui n’est plus à prouver, Diego Della Valle a son pays dans la peau. Et les Italiens le lui rendent bien : un tiers du chiffre d’affaires de l’entreprise est réalisé sur le seul territoire transalpin. Et comme si cela ne suffisait pas, le mécène-businessman consacre 1 % de ce chiffre d’affaires au développement de la région des Marches dont il est originaire. 

Cantine locavore et crèche « in-house »
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C’est là, dans la province de Fermo, sur la côte adriatique, que le jeune Diego Della Valle, alors âgé de 22 ans, décide, après des études de droit à Bologne et une courte expérience aux Etats- Unis, de rejoindre son père Dorino au sein de la manufacture familiale. Quarante ans plus tard, l’économie de la région tient essentiellement dans la confection de chaussures, et le groupe Tod’s y est pour beaucoup. Dès 1998, Della Valle choisit d’implanter le siège de la société ainsi que les unités de productions dans la zone industrielle de Brancadoro, à quelques minutes du village de Casette d’Ete où il est né. Il y fait construire un pre- mier édi ce, puis deux autres entre 2003 et 2015, donnant à l’ensemble imaginé par son épouse architecte Barbara Pistilli un petit air de Silicon Valley au milieu de nulle part. 900 employés tra- vaillent au quotidien sur ces trois sites, peuplés de bureaux, d’usines et d’entrepôts... mais pas que. Car le patron-patriarche pense aussi au bien-être de ses collaborateurs : cantine avec produits locaux et plats faits maison au menu, où il a d’ailleurs ses habitudes, crèche « in-house » où un batail- lon d’instituteurs, un pédiatre et un nutritionniste s’occupent d’une trentaine d’enfants de 2 à 6 ans, et salle de sport avec coach dédié. « Il ne manque plus qu’une piscine », osent certains en coulisses.

Art à tous les étages
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Les bâtiments aussi annoncent la couleur. Entre escalier monumental sur mesure signé Ron Arad, peintures de Giovanni Castel et suspensions de Jacob Hashimoto, l’art est omniprésent. A l’image du hall d’entrée, où trône un globe colossal signé Felice Limosani, la plus impressionnante des nombreuses mappemondes que collectionne le CEO, dont l’esprit conquérant est un peu la marque de fabrique. Plus loin, sur les murs du couloir atte- nant à la fabrique, sont accrochées les photos de célébrités chaussées des fameux mocassins Tod’s, rappelant la place privilégiée que tiennent les people dans l’histoire de la maison. C’est en e et grâce à une brillante politique de communication qui associait dans ses campagnes publicitaires icônes hollywoodiennes d’antan tels Cary Grant ou Steve McQueen au mocassin à picots né à la n des années 70 , que la marque a étendu sa renommée à l’international. Ce sont désormais Jude Law, Brad Pitt ou George Clooney qui peuplent les murs du couloir. Des Tod’s boys ter- riblement premium, dont les pieds moulés sont eux aussi exposés comme des œuvres d’art dans le bâtiment adjacent ! C’est sur ces mêmes murs que d’autres photos, plus techniques, viennent rappeler l’importance du savoir-faire dans l’esprit de l’entreprise.

Une histoire de peaux
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Un clin d’œil à tous ces ouvriers en blouse blanche qui fabriquent ici, à la main, l’intégralité des souliers du groupe. Méthodiquement, et toujours selon le même rituel. Une fois le dessin validé par Diego Della Valle himself, il part au modelage afin d’y être proportionné, digitalisé et enfin imprimé en autant de morceaux qu’il faudra pour constituer le prototype final. Avant d’en lancer la production à grande échelle, une première version est conçue dans les règles de l’art par un département composé de 45 artisans. A leur tête, Paolo Colo redouble d’enthousiasme : « Depuis mon arrivée il y a treize ans, la production n’a fait qu’augmenter. On est passé de deux-trois modèles à près de 80 aujourd’hui ! » Pour suivre le rythme, les peaux sont renouvelées chaque saison dans une large gamme de couleurs et stockées dans un « magazzino » flambant neuf, surdimensionné, à raison de 58 millions de pieds de cuir, représentant quelque chose comme 18 millions de mètres de matière première. « Ici, on préfère compter en pied (l’unité de mesure américaine, ndlr) car après tout c’est bien de chaussures dont il s’agit », souligne Toni Ripani, chef du département contrôle qualité. Fort de ses quarante ans de maison et gure emblématique de l’entreprise, il est celui qui commande, stocke et véri e chaque peausserie. Sa couleur, son épaisseur, son élasticité. Un rôle clé qui lui a valu le titre de « Maestro del Lavoro », récompense décernée par le ministère du Travail italien et qui trône en bonne place dans son nouveau bureau. La peinture est encore fraîche dans ce troisième bâtiment tout juste terminé, et pourtant l’histoire de la maison y a déjà pris ses marques. Le souvenir du patriarche qui a su transmettre à son ls le goût de l’artisanat n’est jamais bien loin. Au mur, on aperçoit un portrait de Dorino Della Valle, qui pose un regard bienveillant sur les lieux, à l’abri derrière ses lunettes fumées.

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