7 athlètes au destin maudit
“Mon manager, Ken Tyrrell, me dit toujours: ‘Si tu meurs, tu ne seras plus jamais un héros’.” Ainsi parlait François Cevert, pilote prudent, allant jusqu’à perdre une course à Monza pour ne pas, expliquait-il, “taper” la voiture de son adversaire Peter Gethin. Et pourtant, en 1973, il disparaît tragiquement à l’âge de 29 ans lors d’un tour d’essai à Watkins Glen, États-Unis, course qu’il avait gagnée deux ans auparavant. Les quelques minutes qui suivent le drame sont enregistrées par les caméras de télévision et le désespoir de Jackie Stewart, son coéquipier dans la Elf Team Tyrrell, crève l’écran, dans une atmosphère étouffante au possible. Sorti mutilé des décombres de sa F1, l’archange voit son destin de champion stoppé net au seuil de la gloire. Cevert devait, la saison suivante, reprendre le ambeau de son Écossais de mentor (“Jackie a été un formidable chef d’équipe pour moi. Il m’a appris beaucoup de choses plus vite que si je les avais découvertes par moi-même”, confessait-il à la Radio télévision suisse) et prendre la tête du championnat. François Cevert, c’était aussi un physique, croisement détonnant entre Alain Delon et Mike Brant, héros français au glamour inégalable qui séduisit Brigitte Bardot elle-même. Pianiste de talent, pilote hors pair (sur F3, F2, puis F1 et Sport-prototypes), playboy à la fois spirituel et humble, cet ex-vendeur de disques avait tout pour devenir un dieu des circuits. La vie et un matin d’octobre dans le virage S du Club House de Watkins Glen en ont décidé autrement. Aujourd’hui, le culte est perpétué par une poignée d’admirateurs et de proches. Un lycée porte son nom à Écully, près de Lyon. Ne manque qu’un biopic calibré pour remettre en pleine lumière cette icône du sport automobile des vibrantes années 70.
Un héritier ? Dans le registre brun ténébreux et as du volant, Esteban Ocon, 21 ans, se forge déjà un destin de grand champion. En août 2016, lors du Grand Prix de Belgique, il fut le plus jeune Français de l’histoire à prendre le départ d’une épreuve de F1. Il court aujourd’hui sous bannière Force India.
Rarement une athlète française aura atteint un tel niveau de perfection tout en attisant autant les passions. Triple championne olympique (sur 400 mètres à Barcelone en 1992 et sur 200 et 400 mètres à Atlanta en 1996, première de l’histoire à avoir gagné le 400 mètres sur deux JO consécutifs), double championne du monde en 1991 et 1995, la native de Basse-Terre, en Guadeloupe, a brillé par son parcours exceptionnel. Mais la France, ingrate, brûle aussi vite ses idoles qu’elle les a portées aux nues. Et Marie-José Pérec, sensible, intransigeante envers elle-même, toujours en quête de nouveaux entraîneurs et en marge d’un corpus sportif idéalisé, passera les JO de Sydney de 2000 isolée dans sa chambre d’hôtel avant de prendre littéralement la fuite... Sa fin de carrière, au schéma assez classique pour toute sportive adulée, sera prétexte à une succession de coups bas médiatiques. “Peu de gens se seront fait autant taper sur les doigts que moi”, concèdera-t-elle en 2015. Les Guignols s’en mêleront avec la lourdeur potache qui les caractérise. Après une série de blessures, celle pour qui “gagner était une question de vie ou de mort” ne parviendra pas à retrouver son niveau du milieu des années 90. À la suite de son départ inattendu de Sydney, son transit par Singapour est le théâtre d’un esclandre avec un journaliste. Elle et son compagnon de l’époque, le relayeur Anthuan Maybank, nissent au poste de police. De cet incident, Alain Bashung tirera la chanson Dans la foulée, prenant la défense de la championne harcelée par la presse. Elle annonce sa retraite dé nitive en juin 2004. Aujourd’hui, la tempête est passée. Le zéphyr des starting- blocks s’est refait une aura toute neuve en tant que consultante sportive puis en s’engageant dans le milieu de l’athlétisme, où elle se montre particulièrement attentive aux nouveaux espoirs de la fédération. Tout sauf devenir entraîneur: “Je ne me vois plus m’enfermer dans un stade”, conclut-elle.
Une héritière ? Toujours dans l’athlétisme, mais cette fois en saut en longueur, la (très) jeune Heather Arneton, 15 ans, est le nouveau phénomène à suivre. En 2016, pour sa première compétition, la Française bat le record du monde minime en salle... qu’elle améliore trois mois plus tard en janvier 2017.
Lui et Kelly Slater étaient les Caïn et Abel du surf américain. Mais sous l’esprit de compétition, ardu, tempétueux (“Il a eu assez de titres, c’est mon tour”, dixit Irons), régnait un respect franc et mutuel. Andy Irons correspond à l’image que le public se fait du surfeur idéal : sculptural, impavide, déterminé. Et qui af che un palmarès de rêve: champion
du monde en 2002, 2003 et 2004 (ainsi que, parmi d’autres titres, trois victoires à la Quicksilver Pro France en 2003, 2004 et 2005). Cet enfant de Kauaï, sur l’archipel d’Hawaii, s’est forgé tout seul. Son style est aérien, affirmé, ses trajectoires d’une uidité remarquable. De retour dans l’ASP World Tour en 2010 après un an d’absence pour “raisons personnelles”, il est retrouvé mort, à l’âge de 32 ans, au matin du 2 novembre 2010, dans une chambre d’hôtel de Dallas où il était en transit. Alors que court le bruit qu’Andy Irons aurait été victime de la dengue, les conclusions de l’autopsie dévoilent une réalité bien plus crue : le triple champion du monde a succombé à un arrêt cardiaque dû à l’ingestion massive d’un cocktail de drogues dont de la cocaïne, de la méthadone et de la méta-amphétamine. Un jour, il déclara à la presse : “Je suis un athlète professionnel, ce qui implique que le public regarde ce que je fais sur et hors de l’eau, mais je ne suis pas non plus un putain de chérubin qui sort le soir à essayer de devenir votre meilleur ami.” Personne ne pourra dire ne pas avoir été prévenu.
Un héritier ? Lui est californien et, à 18 ans à peine, fait déjà gure d’ancien dans les compétitions régionales et nationales aux États-Unis. Jake Marshall fait partie de la révérée Hurley Team depuis maintenant huit ans. Et compte bien décrocher d’ici peu la timbale à son tour, le World Tour.
Nolan Dalla et Peter Alson, ses deux biographes, parlent facilement d’une atmosphère “à la Scorsese” lorsqu’il est question de retracer le destin à la fois amboyant et tragique de Stu Ungar, légende mondiale du poker mort à 45 ans. Le jeune New-Yorkais fait ses gammes aux cartes, tout gamin, dans l’arrière-salle de l’of cine de son usurier de père, et montre un tel talent au gin rami que, rapidement, il est obligé de multiplier les handicaps en sa défaveur pour trouver un adversaire à sa taille. À 18 ans, Stu se lie d’amitié avec le gangster Victor Romano qui devient son mentor et “protecteur” tout en continuant à jouer aux tables des bars interlopes. Il a alors à charge sa sœur et sa mère, invalide et désormais veuve. Roi du blackjack – à tel point qu’il est persona non grata dans de nombreux casinos –, il s’inscrit au World Series of Poker (WSOP) de 1980, presque par curiosité, et remporte le Main Event en quelques heures. Rebelotte l’année suivante. Stu Ungar, terreur absolue du Texas Hold’em, est désormais surnommé “The Kid”, allusion à son frêle physique d’éternel adolescent. C’est pour lui aussi le début du chaos: la cocaïne, les problèmes personnels, son addiction aux paris sportifs, entraînent ce joueur de génie dans une spirale infernale. On ne le voit pas dépasser les 40 ans. En 1997, il décroche pourtant sa 3e victoire au WSOP. C’est la résurrection! Mais il dilapide ses gains en moins d’une semaine. Ruiné par les courses hippiques et sa consommation de drogue toujours plus dévorante, Ungar est retrouvé mort dans une chambre d’hôtel de seconde zone de Vegas le 22 novembre 1998. L’ancien multimillionnaire n’avait plus que 800 dollars en poche. Il faudra que ses amis organisent une collecte pour lui offrir des funérailles dignes de ce nom. Fin pathétique d’un prince des tapis verts. Une de ses citations les plus célèbres résonne encore comme une épitaphe: “Personne ne m’a jamais battu aux cartes. La seule personne qui m’ait jamais battu, c’est moi-même... et mes mauvaises habitudes.”
Un héritier ? Soufflé par la rédaction du magazine Live Poker, le nom de Phil Ivey gure parmi les successeurs potentiels du Kid. Mais ce champion discret se rapproche davantage de feu Stu Ungar par le brio de son jeu – parfois jugé agressif. Il aurait jusqu’à aujourd’hui accumulé plus de 23 millions de dollars de gain en tournois.
Née en 1970, Tonya Harding a une enfance de Cosette des patinoires : sa mère, souvent rosse, picole dru et la force à s’entraîner jusqu’à l’épuisement. Ce régime spartiate finit par porter des fruits qui, très vite, s’avèreront amers. En 1991, elle gagne le championnat des États-Unis sur un triple axel (trois tours et demi en l’air), une première dans l’histoire du patinage US, qui la propulse dans les hautes sphères de ce sport d’exigence et de strass. Trois ans plus tard, c’est la descente aux enfers. Durant les Jeux olympiques d’hiver de 1994 à Lillehammer, Norvège, sa compatriote et néanmoins concurrente Nancy Kerrigan est attaquée à la barre de fer. La police découvre rapidement que l’entraîneur et le mari de Tonya se cachent derrière l’agression. Elle est exclue de la Fédération américaine de patinage et écope d’une amende de 100 000 dollars pour faux témoignage. La bad girl sur glace s’enfoncera un peu plus dans la gadoue médiatique lors de la commercialisation de sa sextape avec saltos grivois face caméra. Une apothéose dans le pire jusqu’à sa surprenante reconversion dans la boxe. La vénéneuse actrice Margot Robbie a enfilé la robe à paillettes et les patins de la championne déchue pour l’incarner dans une bio apologétique sobrement intitulée Moi, Tonya. Sortie prévue sur les écrans français le 21 février.
Une héritière ? Plutôt un grand frère de destin cruel : le britannique John Curry, champion olympique, champion du monde, champion d’Europe, la même année, en 1976... Célébré pour son ambition artistique (il conjuguait les disciplines du ballet et de la danse contemporaine dans ses prouesses techniques, un fait nouveau dans le patinage masculin) et sa silhouette tragique, ce ls d’un père suicidé quand il était enfant disparut progressivement dans l’esprit du public. Sa mort, en 1994, à l’âge de 44 ans, des suites du sida, braqua à nouveau, brièvement, les projecteurs sur lui.
En 1975, aux championnats du monde de karaté de Long Beach, sur la côte Ouest des États-Unis, un champion français multirécompensé (champion de France, champion d’Europe, champion d’Europe par équipes...), échauffé par la partialité de l’un des arbitres qui viennent de le disqualifier, envoie ce dernier au tapis et déclenche un scandale monumental dans les milieux sportifs internationaux. Il s’appelle Dominique Valera, bouillonnant combattant d’exception, qui devient derechef l’idole des pratiquants las d’un art martial muselé par une fédération intransigeante. Ancien para, c’est une forte tête qui domine rapidement les tatamis à l’aube des années 70. Le magazine Karaté, bible de l’époque, se charge de promouvoir le phénomène tricolore, un natif de Lyon qui a eu une enfance difficile. Remercié par la Fédération française de karaté – “J’étais devenu le mal-aimé, voire le pestiféré sur mon territoire”, confiait-il au Monde –, Valera refait parler de lui quelque temps plus tard entre les mains de Bill “Superfoot” Wallace, légende US du full-contact (une boxe pieds/poings), qui lui impose des séances d’entraînement aussi contraignantes que spectaculaires. Régénéré, il revient en France en tant que nouvel ambassadeur de ce sport percutant qui séduira rapidement les champions du karaté traditionnel. Il développe la boxe américaine dans l’Hexagone, puis promeut le karaté contact – un karaté avec contact léger, plus réaliste en compétition – une fois réintégré dans la FKDA (Fédération française de karaté et disciplines associées) par les bons soins de son ami Francis Didier, élu président en 2001. Aujourd’hui, toujours alerte à 70 ans, la passion intacte, cet homme de fer, expert fédéral, membre de la commission des hauts gradés, continue à donner des cours et des stages, et à dispenser ses conseils sur son site internet.
Un héritier ? Champion du monde par équipes et en individuel en 2012, médaillé d’or aux Jeux mondiaux des sports de combat en 2013, médaillé de bronze aux championnats du monde de karaté de 2016, le Français Kenji Grillon, 28 ans, se verrait bien poursuivre une carrière dans le journalisme. Achtung, confrères !
C’est un conte de fée comme les Américains aiment à s’en repaître. Le gamin de Cuba, Mozart du lancer, qui se retrouve star du base-ball aux États-Unis, la citoyenneté en sus. La famille de José Fernandez (né en 1992) tentera à trois reprises de fuir le “paradis” castriste, en vain, avec retour par la case prison. Mais la quatrième tentative sera la bonne et José pose en n le pied sur le continent en 2008. Fernandez fait ses premières armes sur les terrains à l’université de Tampa. À 19 ans, contre toute attente, il signe un contrat de deux millions de dollars avec les Marlins de Miami. Un an plus tard, il est élu par le magazine de référence Baseball America comme le meilleur joueur d’avenir au sein du club, le 5e tous clubs confondus. En juillet 2013, ce lanceur droitier est sacré “meilleure recrue du mois” de la Ligue nationale puis, dans la foulée, “recrue de l’année”. En 2014, il est forcé au repos après une opération au coude. Il revient au sommet un an plus tard retrouvant une excellente moyenne de points face aux Giants de San Francisco, à nouveau paré pour une carrière au rmament. Mais le 25 septembre 2016, alors qu’il est sur un bateau aux abords de Miami Beach, José Fernandez se tue en compagnie de deux amis lors d’un terrible accident – mis plus tard sur le compte d’un abus d’alcool et de cocaïne. Sa lle, Penelope, naîtra exactement six mois plus tard.
Un héritier ? À 16 ans, le Canadien Viktor Bergeron, 1,88 m pour 102 kilos, est capable de lancer sa balle à 138 km/h ! En 2016, il intègre l’académie de base-ball du Canada où il n’a pas failli un seul instant au contact de joueurs plus âgés. De grands sélectionneurs ont déjà dans leur ligne de mire ce (jeune) bulldozer humain.