Oscar Coop-Phane, Simon Johannin, Matthieu Peck : la nouvelle génération d'écrivains
Photographie Julien Vallon et Noel Manalili
Oscar Coop-Phane
L’OFFICIEL HOMMES : Quel est votre incipit préféré ?
OSCAR COOP-PHANE : Celui du premier roman d’Emmanuel Bove, Mes amis : “Quand je m’éveille, ma bouche est ouverte. Mes dents sont grasses : les brosser le soir serait mieux, mais je n’en ai jamais le courage.”
L'OH : Quel est votre premier souvenir de lecture ?
OCP : Je me souviens d’avoir réussi à déchiffrer le prénom Nicolas sur la devanture d’un caviste.
L’OH : Écriviez-vous, enfant, adolescent, à des auteurs? Et, si oui, receviez-vous des réponses ? OCP : Oui, j’ai correspondu avec Martin Page, de mes 12 à mes 16 ans, je dirais. Au milieu de quelques lettres, on s’envoyait des petits objets timbrés (sans enveloppe), sachets de thé ou stylosbilles. C’était assez drôle.
L’OH : Écrivez-vous en silence, en musique, à l’aube, la nuit ?
OCP : J’écris le matin très tôt, quand les autres dorment encore. Mauvaise techno au casque. Café et cigarettes. C’est quelque chose comme un moment arraché à la vie; j’aime avoir l’impression d’écrire en douce.
L’OH : À l’instar de Tom Wolfe, mettez-vous un costume pour écrire ?
OCP : Oui, un costume, précisément.
L’OH : Pouvez-vous me décrire votre espace de travail ?
OCP : J’ai longtemps écrit sur des tables de cuisine. Aujourd’hui, j’ai un bureau dans mon salon, c’est une sorte d’embourgeoisement. Sinon, je vais au bistrot.
L’OH : Avez-vous un destinataire à l’esprit quand vous commencez l’écriture d’un livre ?
OCP : Non. Même si, maintenant, je me demande souvent ce que ma fille pensera de mes bouquins quand elle pourra les lire.
L’OH : La littérature et la morale, l’ambition formelle et la politique, font-elles toujours bon ménage?
OCP : Je ne crois pas vraiment à la littérature engagée. Enfin, peut-être que je me trompe et que l’écriture, justement, est un engagement. J’aime les rythmes et le style. Après, quand je découvre un auteur, j’aime surtout l’idée que je peux trouver en lui une personne avec qui j’aurais bien voulu boire un coup.
L’OH : Que cherchez-vous dans un livre? Mais faut-il toujours “chercher” quelque chose ou se laisser happer par la matière du livre ?
OCP : Je dois l’avouer, je cherche encore trop la formule. Je ne peux pas lire sans crayon à papier – je souligne les phrases bien fichues, et parfois aussi les techniques narratives.
L’OH : Quel est votre archaïsme favori? Et quel néologisme souhaiteriez-vous laisser à la postérité?
OCP : Ado, je rêvais que mon nom devienne une sorte d’adjectif, comme on dit d’une situation qu’elle est kafkaïenne. Aujourd’hui, j’aspire plus au fait que le nom d’un de mes personnages devienne quelque chose comme une référence partagée.
L’OH : C’est quoi, “bien écrire” à vos yeux ?
OCP : Se débarrasser de l’idée d’écrire peut-être. La sincérité, bien sûr, même si malheureusement il ne suffit pas d’être sincère pour pondre un texte qui tienne.
L’OH : À la question “pourquoi écrivez-vous?”, Beckett a répondu “Bon qu’à ça.” Et vous ?
OCP : Quand on me demande pourquoi j’écris, je me sers précisément de cette réponse de Beckett. Sans blague. Du coup, là, je suis un peu emmerdé.
Simon Johannin
L’OFFICIEL HOMMES : Quel est votre incipit préféré ?
SJ : “C’est un jour comme les autres. En m’éveillant ce matin : “Ah! te voilà encore!”… J’ai baillé de me retrouver.” Pierre Minet, La Défaite. Je ne dirais pas que c’est mon préféré, mais c’est celui qui m’a plu dans ceux que j’ai cherchés. Et puis ce livre est bouleversant.
L’OH : Quel est votre premier souvenir de lecture ?
SJ : Fantômette dans la Bibliothèque rose. L’héroïne s’appelait Françoise, elle n’était déjà plus toute jeune à l’époque, possible qu’elle soit très vieille aujourd’hui.
L’OH : Écriviez-vous, enfant, adolescent, à des auteurs? Et, si oui, receviez-vous des réponses ? SJ : Non j’étais trop occupé à lire les auteurs morts, je n’ai pas le souvenir de leur avoir écrit non plus, même si j’ai pu adresser quelques pensées à certains.
L’OH : Écrivez-vous en silence, en musique, à l’aube, la nuit ?
SJ : J’écris souvent la nuit, en musique, souvent la même musique, en boucle, ou le même fragment de musique, afin de garder le même état, la même humeur, tout au long du moment dédié à l’écriture.
L’OH : À l’instar de Tom Wolfe, mettez-vous un costume pour écrire ?
SJ : Si j’ai des vêtements, c’est un jean et un T-shirt, sinon un survêtement.
L’OH : Pouvez-vous me décrire votre espace de travail ?
SJ : Je travaille où je peux, chez moi sur ma table, entre la fenêtre qui donne sur des jardins et la bibliothèque. Sinon, beaucoup dans les trains et dans les chambres d’hôtels. Il fut aussi un temps où travailler dans les cafés n’était pas désagréable.
L’OH : Avez-vous un destinataire à l’esprit quand vous commencez l’écriture d’un livre ?
SJ : Oui, comme l’a si bien dit James Baldwin, “I write for people, baby”.
L’OH : La littérature et la morale, l’ambition formelle et la politique, font-elles toujours bon ménage?
SJ : La littérature, ça n’est que la littérature, il n’est pas de très bon ton de vouloir à tout prix la mélanger avec le reste. On ne fait pas la révolution avec des œuvres d’art. Mais il arrive que des artistes se retrouvent à une place de révolutionnaire, ou de moraliste, ou d’autre chose. Il ne faut pas trop réfléchir à la portée de ce qu’on écrit. On écrit et c’est tout, le reste, ça n’est pas de notre ressort, les gens en feront ce qu’ils en feront.
L’OH : Que cherchez-vous dans un livre? Mais faut-il toujours “chercher” quelque chose ou se laisser happer par la matière du livre ?
SJ : J’y cherche de l’instruction, une gymnastique mentale, la peinture d’un monde qui m’est étranger et où je plonge. J’y cherche la figure des écrivains que j’aime. J’y attends une émotion. C’est souvent ça, dans un livre, on attend, et puis, si c’est bien, ça vient tout seul, alors c’est formidable.
L’OH : Quel est votre archaïsme favori? Et quel néologisme souhaiteriez-vous laisser à la postérité?
SJ : Un archaïsme, goguette. Un néologisme, le schnockimok, nom ridicule attribué à une entité éminemment maléfique, afin de diminuer son pouvoir sur vous. Je le conseille à toute personne en prise avec les mauvaises forces de ce monde, c’est assez efficace.
L’OH : C’est quoi, “bien écrire” à vos yeux ?
SJ : Écrire sans les yeux justement, n’écrire qu’avec les mains.
L’OH : À la question “pourquoi écrivez-vous?”, Beckett a répondu “Bon qu’à ça.” Et vous ?
SJ : Parce que je pense avoir encore quelques choses à dire, si un jour cela s’arrête, alors j’arrêterai aussi.
Matthieu Peck
L’OFFICIEL HOMMES : Quel est votre incipit préféré ?
MP : “Au commencement était le Sexe. Sauveur. Chargé d’immortalité. Il y a la bête. Héroïque. Puissante. Et au-delà de la Bête il n’y a rien. Rien sinon Dieu Lui-même. Magnifique et pesant. Avec son œil de glace. Rond. Statique. Démesurément profond. Fixe jusqu’à l’hypnose. Tragique regard d’oiseau. Allumé et cruel. Impénétrable de détachement. Rivé sur l’infini d’où tout arrive.” Septentrion, de Louis Calaferte. “Il faudrait être fou et ce n’est pas facile”, dit-il, cette œuvre y est parvenue.
L’OH : Quel est votre premier souvenir de lecture ?
MP : Il est perdu quelque part dans des temps détruits. Je laisse ces amnésies où elles sont.
L’OH : Écriviez-vous, enfant, adolescent, à des auteurs? Et, si oui, receviez-vous des réponses ? MP : Non. Enfant, adolescent, on rêve d’abord d’action. On rêve de grandeur, ou de changer le monde. Rejoindre le commandant Cousteau ou armer une révolution. Plus jeune, ce sont d’abord les histoires qui importent, pas ceux qui les écrivent.
L’OH : Écrivez-vous en silence, en musique, à l’aube, la nuit ?
MP : J’écris par périodes, toujours en silence. Aube. Nuit. Peu importe. C’est plutôt de se mettre dans l’état d’écrire qui est complexe. Se rendre entièrement disponible dans cette dilatation étrange du temps.
L’OH : À l’instar de Tom Wolfe, mettez-vous un costume pour écrire ?
MP : Même si l’on parle d’abord de nous-mêmes, c’est souvent le costume de quelqu’un d’autre que l’on revêt quand on écrit. J’aime l’élégance bancale. L’ourlet trop long et la veste de travers. Ces miettes de tabac dans les coutures. Je laisse la littérature propre et repassée à ceux qui pensent que la réalité sent la lessive.
L’OH : Pouvez-vous me décrire votre espace de travail ?
MP : Je crois que si je rêvais d’abord de devenir reporter de guerre, c’était pour l’idée romantique d’écrire sur des morceaux de papier froissés, dans un coin de conflit et sous un ciel de poussière. J’aimais l’idée de la beauté dans le désastre. Ce n’est pas original mais je pense souvent à l’atelier de Francis Bacon. Le chaos est à l’image de nos pensées indomptables. En cela, l’ordre est terrifiant. Il faut se méfier de ceux chez qui rien ne dépasse. Je fais toujours en sorte que mon bureau ne ressemble à rien d’autre qu’à rien.
L’OH : Avez-vous un destinataire à l’esprit quand vous commencez l’écriture d’un livre ?
MP : J’aime beaucoup imaginer que certains de mes ennemis, au sens éthique de la chose, liront quelques pages qui leur sont destinées. C’est important, les ennemis. En tant que lecteur, une des fonctions fondamentales de la littérature est l’effet miroir. Remettre chacun devant ses vérités par l’ironie est un but honorable. Pour autant, la cible véritable est toujours à l’intérieur de nous-mêmes.
L’OH : La littérature et la morale, l’ambition formelle et la politique, font-elles toujours bon ménage?
MP : D’une certaine manière, les livres moraux sont toujours les plus immoraux. Les récits certifiés conformes à nos attentes me paraissent plus dangereux que ceux où la chute vous aspire. On dit qu’il n’y a pour l’homme que trois évènements : naître, vivre et mourir. Il ne se sent pas naître, souffre à mourir et oublie de vivre. Les bons livres sont toujours là pour le rappeler.
L’OH : Que cherchez-vous dans un livre? Mais faut-il toujours “chercher” quelque chose ou se laisser happer par la matière du livre ?
MP : Si elle est honnête, la littérature viendra naturellement chercher en nous quelque chose, que l’on cherchait ou non. À titre personnel, je suis particulièrement réceptif à ceux qui soulignent que l’humanité se prend trop au sérieux.
L’OH : Quel est votre archaïsme favori? Et quel néologisme souhaiteriez-vous laisser à la postérité?
MP : Céline disait du français qu’elle est une langue vulgaire depuis toujours. Il comparait les mots à la création d’un enfant, à un moment de délire nécessaire similaire au coït. Mon archaïsme favori est quelque part dans ce langage et sa violence nette.
L’OH : C’est quoi, “bien écrire” à vos yeux ?
MP : “Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit. Celui-ci voudrait souffrir en face du poêle, et celui-là croit qu’il guérirait à côté de la fenêtre”, dit Baudelaire. Bien écrire, c’est peut-être accepter de le faire depuis la place qui est la nôtre.
L’OH : À la question “pourquoi écrivez-vous?”, Beckett a répondu “Bon qu’à ça.” Et vous ?
MP : Je l’ignore mais, peut-être, pour l’amour des cendriers.