Rencontre avec Louis-Géraud Castor, le fleuriste préféré de la mode
Cet ancien marchand d’art passionné d’archéologie et d’histoire de l’art est aujourd’hui le fleuriste le plus artiste de la capitale. Rencontre avec Louis-Géraud Castor.
L’OFFICIEL HOMMES : Vous avez grandi, étudié et évolué dans le monde de l’art, et êtes devenu artiste. C’était votre destinée...
LOUIS-GÉRAUD CASTOR : Je ne sais pas si c’est une question de destinée. Le monde de l’art est quelque chose de très important pour moi. J’ai du mal à me définir en tant qu’artiste, j’ai plus la sensation d’être artisan. Je ne sais pas dessiner, ce n’est pas un regret mais un manque pour concevoir des décors. Les fleurs sont donc mon moyen d’expression, et je reste très humble derrière leur beauté. Je construis à partir des fleurs, elles sont le sujet. Mais derrière chaque bouquet, il y a toujours un déroulé inconscient.
L’OH : Quel est-il ?
LGC : D’abord, il y a un travail qui se fait dans la couleur. J’aime cet impact visuel. En ce moment, à la mi-février, c’est la saison des renoncules, ce n’est pas ma fleur préférée, mais quand on regarde ces pastels, du rose au jaune en passant par le vert d’eau, il en émane une douceur qui nous allège en cette période compliquée. C’est pour cette raison que j’accorde autant d’importance à la saisonnalité. La situation m’a conforté dans ce que j’avais écrit au départ, mon désir d’amener du vivant, de la nature chez les gens, et non pas de leur proposer un bouquet de roses blanches industrielles qui ne vont pas se faner, mais mourir. De la même façon, lorsque je cherchais un objet, j’étais à la recherche d’une patine, d’une authenticité, du temps...
L’OH : Quels genres d’objets cherchiez-vous?
LGC : Principalement des objets des arts décoratifs du début du xxe siècle, période Jacques Doucet de 1917 à 1937. C’est un moment d’émulation incroyable qui a permis à de grands artistes d’inventer notre façon d’habiter. Ce fut l’explosion de Jean-Michel Frank et de son mobilier qui n’était pas voué à être du mobilier d’apparat. Et il y a eu tous ces artistes qui ont incorporé dans les usages, non pas ce qui était fait pour paraître, mais ce qui était fait pour être confortable. Ainsi est née cette idée du luxe pauvre.
L’OH : Les fleurs et vous, c’est une longue histoire...
LGC : Lorsque j’étais marchand d’art, je voulais matérialiser le week-end aux yeux de ma famille avec de beaux bouquets. N’ayant pas envie d’acheter des roses Avalanches ou des hortensias de Colombie, je cherchais des feuillages, des choses différentes, des accidents finalement... qui sont de plus en plus difficiles à trouver. Cette quête rejoint le principe du luxe pauvre. Le marché aux fleurs de Rungis débordait de producteurs, il y a vingt ans. Aujourd’hui, ils ne sont même plus dix. Il faut donc se battre pour les productions saisonnières françaises.
L’OH : Dans votre ancien métier, vous aviez l ’ habitude de trouver l ’ introuvable pour des collectionneurs. Le métier de fleuriste, c’est la même chose avec un côté metteur en scène en plus ?
LGC: Cela rejoint le métier de décorateur, mais on n’est pas spécialiste en tout, chacun son métier. Les gens sont à la recherche d’une approche différente des fleurs. Ceux qui vivent dans un intérieur architecturé façon Perriand, Jeanneret ou Prouvé, vont souvent se retrouver avec un bouquet de renoncules roses et d’eucalyptus pas formidable. Or ils ont besoin d’une autre proposition comme d’un bouquet d’anthémis – ou marguerites des champs – dont je retire la moitié du feuillage pour un côté plus luxueux. Il y aura toujours ceux qui comprennent et ceux qui ne comprennent pas.
L’OH : Les fleurs ne sont jamais éloignées de l’art...
LGC : J’ai repris les livres d’art sur lesquels j’ai travaillé pendant des années mais avec les fleurs à l’esprit. Prenons Jean-Michel Frank qui a réalisé la résidence de Raymond Patenôtre dans le Sud de la France, une sublime villa, comme La Californie de Picasso, même genre, remplie de bouquets du jardin. Ce n’était ni des lys ni des roses. Quand vous regardez les intérieurs de Helena Rubinstein, les fleurs étaient préparées selon les directives de son décorateur David Hicks, c’est-à-dire à la façon de Constance Spry, l’arbitre des élégances en matière florale dans les années 30, qui s’est occupée du mariage du duc de Windsor et de Wallis Simpson, ou du couronnement d’Elisabeth II. Elle retirait toutes les feuilles des tiges pour avoir cet éclat monochrome. Comme elle désirait une densité importante, il lui fallait plus d’une centaine de fleurs pour y parvenir. Bien sûr, tout le monde ne peut pas s’offrir ce genre de bouquet extrêmement luxueux. C’est pour cette raison que je dis souvent qu’il suffit d’une seule fleur ou de quelques tiges dans un morceau d’albâtre pour un très beau résultat.
L’OH : Parlez-nous de la notion d’artisanat dans votre métier...
LGC : C’est un sacerdoce qui implique une certaine dévotion. L’artisanat s’accompagne des notions de temps, de passion, de concentration, de recherche et d’aboutissement. Ce sont des choses que je respecte profondément et c’est pourquoi je me revendique davantage comme un artisan d’art que comme un artiste.
L’OH : Quel est votre mode de création ?
LGC : Ce sont les couleurs qui émanent de la nature à un moment donné, et dont je vais croiser le chemin, qui vont m’inspirer. Ce que je trouve ne s’anticipe pas.
L’OH : Parlez-nous de vos collaborations avec les céramistes qui réalisent des vases pour vous...
LGC : Au départ, le principe du studio était de proposer des vases et des fleurs. La maison Jean Roger fut la première à collaborer. Mais le cœur de ma collaboration est avec Mathilde Martin. Elle a un procédé unique qui lui permet d’émailler ses vases dans ce blanc crème, craie, presque Tipp-Ex. Son travail me rappelle ce plâtre d’Alberto et Diego Giacometti pour Jean- Michel Frank avec ce blanc très particulier. Un jour, il lui est arrivé de recréer, sans le savoir, la paire de bougeoirs qui avait été imaginée par Alberto Giacometti pour Elsa Schiaparelli pour son bureau de la place Vendôme, en 1936. C’est la personne avec qui je travaille le plus, même si je collabore également avec la céramiste australienne Alana Wilson et le céramiste Denis Polge pour des pièces en couleurs.
L’OH : Avez-vous des fleurs préférées ?
LGC : Je suis plus attaché à leur parfum. Mais j’ai une affection particulière pour la tulipe et son allure de fleur en sucre qu’on trouvait sur ces gâteaux des années 70. À la fin, elles sont comme cryogénisées et deviennent presque irisées comme les verreries de la Wiener Werkstätte.
L’OH : Vos bouquets semblent tout droit sortis d’une aquarelle, est-ce votre signature ?
LGC : Oui, il a une partie de moi qui ne peut pas s’empêcher d’avoir un déroulé d’artiste. Mes goûts pour Soulages, Rothko, Poliakoff, Klein, Lalanne, de façon inconsciente, se retrouvent dans mon travail. Quand on connaît les primitifs, les principes de la peinture à l’huile et des pigments, c’est exactement ce que l’on retrouve dans les fleurs aujourd’hui. Il y a donc ce lien.
L’OH : Vous imaginez de sublimes bouquets pour le monde de la mode, parlez-nous de ces rencontres...
LGC : Dans toutes ces maisons, il y a toujours quelqu’un qui aime profondément les fleurs. Ma collaboration avec Prada a commencé très tôt parce que la situation du studio, rue Debelleyme, m’a permis de rencontrer des gens intéressants, qui se rendaient dans les galeries d’art du quartier, comme Olivier Rizzo, proche de Madame Prada. Puis la maison s’est adressée directement à moi parce que mon travail correspondait au goût de la designer. Sans oublier que leur directrice de communication, Valérie Leberichel, est une passionnée. Je travaille également avec Christophe Lemaire. On partage ce goût japonisant. Je me souviens de sa commande assez surprenante de dahlias noirs. Je collabore aussi avec Acne Studios dont je me sens proche de l’esthétique nordique. J’essaie de leur trouver des couleurs et des fleurs un peu étranges comme des fritillaires et des mélanges de branches. Et depuis récemment je travaille avec la maison Saint Laurent et Anthony Vaccarello qui aime beaucoup les roses Baccarat.
L’OH : Racontez-nous votre collaboration avec Fendi pour son défilé haute couture...
LGC : Pour Fendi, j’ai travaillé en étroite collaboration avec le bureau d’Alexandre de Betak qui est venu me voir parce qu’il connaissait mon passé de marchand d’art. L’envie à travers cette prairie était de créer un dialogue entre l’Angleterre – en hommage à l’arrivée de Kim Jones chez Fendi – et l’Italie. Connaissant chaque pièce de mobilier, que ce soit le bureau personnel de Pierre Chareau, une table de Royère ou un paravent de Max Ingrand, j’ai pu imaginer au mieux les fleurs avec lesquelles on allait les marier. J’ai également proposé de faire une lézarde dans le sol en marbre, comme s’il était cassé, d’où sortaient des fleurs. L’inspiration était Virginia Woolf, une période que je connais très bien puisque j’ai travaillé dessus à travers Romaine Brooks ou Eileen Grey. Il a fallu trouver une solution pour remplacer les fleurs fraîches qui n’auraient jamais tenu, alors j’ai demandé à l’artiste Miyuki Nakajima d’imaginer des roses en soie entièrement patinées de poudre de laiton. Pour végétaliser l’espace, j’ai travaillé avec l’Atelier Devineau. Et pour recréer la sensibilité d’une prairie à la fin de l’été, j’ai amené des fleurs séchées, des mousses, enfin tout le reste. Ce défilé était comme une production de film.
L’OH : Qu’est-ce qui est insolite chez Castor Fleuriste ?
LGC : La contrainte est importante dans la création. Je ne tiens pas à avoir tout à disposition. Ce qui est insolite, c’est de repartir de chez moi avec un bouquet de pâquerettes.
Castor Fleuriste : 14, rue Debelleyme, Paris 3e.