Craig Green :"La réalité est bien plus inquiétante que la science-fiction"
Il n’est pas aisé, en 2018, de faire valoir sa différence lorsqu’on est un jeune créateur. Encore plus lorsque l’univers qui l’inspire est, de prime abord, à mille lieux d’une réalité commerciale qui fait aujourd’hui loi dans le marché du prêt-à-porter. Évoluant sur ce segment d’une créativité libérée et poétique, Craig Green a su, en cinq ans de présence, asseoir sa position de nouvelle coqueluche londonienne. En 2013, il présentait pour la première fois lors du défilé Topman / Fashion East initié par le British Fashion Council pour soutenir la jeune création locale. Et, carton total oblige, entrait la saison d’après dans le calendrier officiel. Show après show, son univers un brin enfantin, dénué de toute agressivité, le hisse au rang de star naissante du menswear international. Ce qui n’a pas échappé à Raffaello Napoleone, l’éminence grise à l’origine du Pitti Uomo, lequel l’invitait pour la 94e édition du salon florentin en qualité de Menswear Guest Designer. Succédant à Undercover ou Virgil Abloh pour les deux dernières éditions, et lui offrant une visibilité internationale encore plus établie.
Du coup, même après une heure d’attente - heure de Londres oblige -, l’excitation battait encore son plein lorsque les projecteurs s’éteignaient les uns après les autres, laissant la place aux lumières diffuses qui annonçaient le début du show. Silhouette après silhouette, de jeunes éphèbes glissaient presque à même la pelouse, certains pieds nus, dans un ballet onirique fait d’étoffes vaporeuses, de complets aux découpes romantiques, de baskets (faites en collaboration avec Nike) aux allures de chaussons de danse. Sur certains looks, le néo-casual s’ancre dans le conceptuel à l’aide de châssis en bois harnachés au corps imberbe du modèle par des cordes colorées (l’une des signatures du créateur), de silhouettes en bois découpé qui imite une ombre incandescente à l’arrière. Viennent ensuite les derniers passages, où le colorama s’embrase et les pièces se font toges, soutanes. Une apologie de la spiritualité mode, que nous a expliquée Craig Green après son premier défilé transalpin.
Votre inspiration pour cette collection ?
A la base, c’est parti de la chose la plus effrayante que vous pourriez vous imaginer lorsqu’on parle de la réalité. Comme les monstres dans les films d’horreur, nous sommes effrayés au quotidien par des choses qui peuvent potentiellement arriver. La réalité est bien plus inquiétante que la science-fiction. Il s’agit de twister ces idées de réalité, comme les néo-uniformes de femme de ménage que j’ai imaginés, avec de la poésie. Les couleurs aussi. J’avais regardé un documentaire qui expliquait comment, lorsque l’on associe deux couleurs ensemble, cela peut créer plus d’émotions qu’avec deux autres. J’ai donc essayé de faire vibrer les teintes par association, de les rendre vivantes.
Cette collection est-elle également une réflexion sur l’uniforme, la spiritualité ?
J’ai toujours été inspiré par l’uniforme et les codes de certaines communautés, par le fait également que l’on ne voit plus aujourd’hui (ou moins) de personnes portant un uniforme. Ce dernier devient donc une sorte de concept romantique et nostalgique, par sa disparition. Aujourd’hui, tout est devenu mécanique, chacun va au travail habillé de manière différente mais en même temps similaire. Je trouvais ça romanesque. Beaucoup de personnes pensent que l’uniforme est quelque chose d’opprimant. J’ai toujours pensé qu’il était plutôt inclusif, un moyen de rapprochement, qui bannit les idées reçues. Deux personnes dans le même uniforme ne savent pas si l’une est plus riche que l’autre, si elles viennent de villes ou de pays opposés.
Quelle était la communauté que vous avez faite défiler ?
Ce n’est pas vraiment une communauté, mais plutôt un contraste entre des couleurs totalement opposées reliées par des fils rouges, des détails similaires. Faire coïncider le différent avec le similaire, mais de manière subtile.