Comment le sport vintage est (re)devenu cool
Ces derniers temps, on a observé un intérêt certain pour la bulle “nineties”, petite fenêtre de tir coincée entre le rétro d’après-guerre et la haute technologie d’avant-hier. Une décennie qui séduit particulièrement la jeune génération, trouvant sans doute dans le fait de ne pas l’avoir vécue une saveur terriblement exotique, jusqu’à en forcer volontairement le trait. Le sport vintage des années 90 dicte les dernières tendances, in uençant jusqu’aux maisons de luxe qui en usent comme jamais, de collab’s en best-sellers. Une surenchère qui pèse lourd dans la balance et qui doit son succès à une géostratégie très complexe. Un décryptage s’imposait pour mieux comprendre le phénomène... voire bien le porter.
État des lieux
Les marchés du sportswear et du streetwear ne se sont jamais aussi bien portés. Dans leur globalité, les ventes du secteur que les Anglo- Saxons appellent l’athleisure (contraction d’athlétisme et de loisir) atteignaient en 2016 les 46 milliards de dollars. Et les experts en prévoient deux fois plus encore d’ici 2020, dans une conjoncture pourtant difficile. Avec, dans cette bulle, un réel enthousiasme pour ce que l’on appelle presque scientifiquement (religieusement ?) le rétro ou le vintage. Le survêtement en nylon, dit track suit, les hoodies et sweats zippés en coton molletonné, les logos, les bande-côtes... On ne compte plus les références aux codes sportswear des années 80-90.
Les pionniers
Certains voudraient que le phénomène soit né de l’improbable rencontre entre le collectif Vetements, créé fin 2014, et cette nouvelle génération dite des millenials, tous deux obnubilés par la nostalgie nineties, qu’ils remettent au goût du jour à coup de rééditions et, mieux encore, de réinterprétations. Mais ce serait oublier, et donc ne pas rendre justice, au grand instigateur du culte, Raf Simons qui, dès 2008, éditait ces cirés empruntés aux vestiaires des cours d’EPS et autres baskets surdimensionnées, premières références absolues en la matière. Suivi de près, l’année suivante, par le jeune Russe Gosha Rubchinskiy dont la troisième collection présentée à Londres était entièrement composée de pièces sportswear, inspirée du style de rue de la jeunesse moscovite de l’ère post-URSS. Un électrochoc pour les plus vieux, une révélation pour les plus jeunes, confirmée lors de la saison automne-hiver 2015/16 par la collection de Demna Gvasalia pour le label Vetements, dont l’art de détourner et de se réapproprier les codes classiques, toujours à la limite de la provocation, ouvre à la réflexion, à la discussion, au débat, et même à l’exaltation ! Demna, que l’on revoit aussi chez Balenciaga. Balenciaga où l’on retrouve LES baskets oversize de la saison. Il n’en fallait pas plus pour que le Géorgien que tout le monde s’arrache devienne le chouchou d’une jeune génération en quête de sensations fortes (et qui, en 2025, devrait représenter 45 % du marché mondial du luxe), entraînant dans sa course non seulement de nouvelles marques, mais aussi les maisons de luxe, et même les équipementiers. La puissance du phénomène devant beaucoup à sa globalité, c’est assez rare pour être souligné.
Les catalyseurs
Les maisons de luxe ont vite compris l’intérêt stratégique et commercial de suivre cette tendance (pourtant très éloignée de leur ADN pour certaines), et donc d’attirer tous les jeunes consommateurs qui vont avec, le noyau dur de leur future clientèle. Avec le postulat que ces derniers ont le pouvoir d’achat pour s’offrir ces produits : si la grande majorité d’entre eux font socialement partie du haut du panier, reste une proportion conséquente et surprenante d’accros capables de passer l’intégralité de leur salaire dans une paire de baskets “Triple S” de Balenciaga (650 € quand même). Autre maison de luxe qui a rapidement trouvé sa place au cœur du système, Gucci, pour laquelle son directeur de création Alessandro Michele a su proposer nombre de pièces devenues des références, principalement à coup de logos, de customisation, de DIY (Do It Yourself) et surtout de second degré. Pour toutes ces marques, imaginer les bons produits, ceux qui vont devenir des must-have en moins de temps qu’il ne faut pour les commander, est devenu ces derniers temps l’unique nerf de la guerre, loin devant les stratégies marketing pour les faire connaître du grand public. Ici, tout est affaire de rapidité et de réseau, le circuit classique semble désormais obsolète, laissant place à un marché parallèle réservé aux initiés, déjouant les listes d’attente et les ruptures de stock (qui existent désormais avant même que le produit ne soit mis en vente !). Des marques comme Prada, Fendi ou Saint Laurent l’ont bien compris : concevoir des produits au fort sex-appeal sportswear ou streetwear, au design parfois très éloigné du reste de la collection, c’est s’assurer autant de must-have sur une saison. Louis Vuitton, en s’acoquinant avec Supreme lors de la dernière saison automne- hiver, l’avait bien vu venir. Quant à la maison italienne Valentino, elle impose pour l’été prochain un volte-face radical et téméraire en proposant un nouveau vestiaire masculin totalement repensé pour les millennials, logo VLTN en tête, et elle ne s’en cache même pas. La collection intersaison dite “Resort” propose donc un tapis de yoga et un ballon de basket-ball estampillés des quatre lettres. Bref, le monde du luxe n’est pas en reste dans cette course au sportswear, que l’on piste jusque dans les institutions les plus premium : Berluti, Hermès, Bottega Veneta, Ermenegildo Zegna...
Les extrémistes
Quelques maisons de mode sont connues pour revendiquer haut et fort leur appartenance au clan très fermé du sportswear vintage, et ce par tradition plus que par simple opportunisme. À l’image de Junya Watanabe qui depuis longtemps déjà assure des collaborations régulières avec des marques comme The North Face, apportant ainsi une valeur ajoutée et un décalage génial à ses créations. Lacoste cultive également ses racines sportives, et encore plus cette saison avec une collection 85e anniversaire entièrement dédiée aux archives de la marque. Moncler, toujours à l’écoute de son temps et grand adepte de collab’s, vient de signer une nouvelle capsule avec le New-Yorkais Ronnie Fieg, créateur de la marque Kith. Même fascination pour le streetwear nineties chez Francesco Ragazzi, directeur artistique de la ligne principale de Moncler et fondateur de Palm Angels, petit label à gros potentiel entièrement dédié à la cause. Et pour terminer cette liste, loin d’être exhaustive, dif cile de passer à côté de Virgil Abloh, qui a grandi dans les années 90, créateur infatigable et collaborateur prolifique, dont la marque Off-White édite chaque saison quelques-uns des best-sellers street ou sportswear les plus cotés du moment.
Les puristes
Si la majorité des équipementiers sportifs – Nike, Adidas, Van’s, Converse, Puma et Reebok en tête – ont su surfer sur la vague, nombre d’entre eux ne l’avaient pas vu venir. Certains se sont même retrouvés très à la traîne, se réveillant juste à temps pour avoir leur part du gâteau. Un comble pour ces professionnels de la profession. Toujours est-il que les plus rapides, les plus gros aussi, ont réédité leurs best-sellers de la n du siècle dernier à tour de bras, et ont multiplié les collab’s, tandis que les plus petits, voire les oubliés, sortaient de terre comme des zombies, remerciant au passage les créateurs qui les avaient exhumés, tels Fila, Champion, Lotto, Kappa, Everlast, Umbro, Sergio Tacchini... Des marques dont le nom sonne d’un autre temps, et que la jeune génération replace désormais parmi les plus pointues de son dressing. Les deux premières (Fila, Champion) s’arrachent dans les cours de lycée, la troisième (Lotto) fait un carton une fois reprise par le créateur Damir Doma. En même temps, d’autres tels Opening Ceremony et Ports 1961 renouvelaient les podiums, ressuscitant au passage des marques de sport pro oubliées... même des athlètes.