Hommes

Cédric Jimenez : "J’ai un rapport viscéral au cinéma"

Tendu, saisissant, le film “Novembre” nous plonge au cœur de la traque des auteurs des attentats du 13 novembre 2015. Rencontre avec Cédric Jimenez, son réalisateur, ainsi que Sami Outalbali et Sofian Khammes, acteurs parfaits dans leur rôle de rouages essentiels de cette mécanique narrative implacable.

Pull en laine et chemise en popeline, GUCCI.
Pull en laine et chemise en popeline, GUCCI.

Photographie KENZIA BENGEL DE VAULX

Stylisme JENNIFER EYMÈRE

L’OFFICIEL HOMMES : Quel est le film qui vous a donné envie de faire du cinéma ?
CÉDRIC JIMENEZ : Casino de Martin Scorsese.

L’OH : Avez-vous hésité avant d ’accepter de réaliser Novembre ? CJ : Avant de lire le scénario, j’étais un peu fébrile. Pour la première fois, il s’agissait de réaliser un film que je n’avais pas écrit. Il y avait deux questions : est-ce que je vais aimer ? Qu’est-ce que je vais en faire ? Sa lecture m’a bouleversé. Sa pudeur, sa mesure, et le choix du point de vue narratif défini par le scénariste Olivier Demangel m’ont convaincu. Je n’ai plus hésité une seconde.

L’OH : Il n’a jamais été question de montrer les attentats ou les scènes de crime ?
CJ : Jamais. D’un point de vue moral, d’une part, et d’autre part, comme le film suit les policiers de la SDAT (la sous-direction anti-terroriste), et que ceux-ci n’y déplacent pas, c’était inenvisageable.

L’OH : Comment se confronte-t-on en tant que metteur en scène à une histoire aussi récente que traumatisante pour tout un pays ?
CJ : Le sujet est plus important que tout. Il ne peut pas être au service de la mise en scène ou des acteurs-actrices. Rien ne peut être au-dessus de lui. Nous sommes tous et toutes à son service, il s’agit d’être humble. Ce qui m’intéressait, c’était de rentrer dans la peau de ces personnages, de leur psychologie, une psychologie d’urgence. Il n’y a de place que pour l’évènement, pas pour l’intimité. Il fallait essayer de faire ressentir ce poids fou, cette responsabilité. C’était une mission insensée, chaque heure pouvait déboucher sur une récidive. C’était un axe de travail fondamental pour créer la tension : économie des mots, des plans, des scènes, pour filmer des gens qui n’ont pas le temps. Prendre une pause était impensable. Ils étaient dans un effet tunnel, tant qu’il n’y a pas la lumière au bout, on est encore dans le tunnel, on n’en ressort pas.

L’OH : Vous êtes-vous senti investi d ’une sorte de mission ?
CJ : Il fallait rester humble et digne, sans être écrasé par la responsabilité, cela aurait été contre-productif. Il fallait garder en tête qu’être maladroit ou irrespectueux serait grave. Sur la scène de l’hôpital, où il fallait filmer des victimes, j’ai pris dix mille précautions pour être aussi délicat et pudique que possible.

L’OH : Avez-vous rencontré beaucoup de policiers de la SDAT ? CJ : Pas mal, oui. Mais seulement ceux qui ont quitté ce service, car autrement, ses membres ne parlent pas. Ils ont tous vécu la même chose, quelque que soit leur grade hiérarchique. Pendant ces cinq jours, il y avait une mission collective à mener. Je voulais filmer l’action, et l’interaction entre eux. La psychologie est celle de l’urgence, de la peur, de la maîtrise de son sang-froid. C’est autre chose que l’introspection, mais cela reste de la psychologie.

L’OH : Le casting s’est-il imposé naturellement ?
CJ : Je fonctionne à l’envie de travailler avec certaines personnes. Je connais Jean (Dujardin) depuis longtemps, son autorité, sa capacité de travail, sa façon d’en imposer. Anaïs (Demoustier) a une sincérité, un côté vivant, pétillant, énergique, volontaire. Cela correspondait parfaitement à leurs personnages.

L’OH : Quel genre de directeur d ’acteur êtes-vous ?
CJ : J’ai une approche horizontale, je ne crois pas en la verticalité. J’adore le travail d’équipe, faire confiance. Je suis sûr de ce que je veux faire, mais je laisse beaucoup de liberté, c’est mon élément, je n’ai jamais peur de me laisser déborder. Sur Bac Nord, il y avait beaucoup d’improvisation, ce qui n’était pas possible sur Novembre.

L’OH : Comment s’est traduite cette tension sur le tournage ?
CJ : Elle vient de la précision, du temps pris à tourner. En revanche, je faisais quasiment tous les jours des “mixtes”, on commençait à 16 h pour terminer à 3 h, afin de suivre le rythme qu’ont dû suivre les membres de la SDAT. Pour es- sayer de capter ce vertige à ne plus avoir de vie réglée.

L’OH : En termes de dramaturgie, quelles questions vous-êtes vous posées ?
CJ : Celles autour de la musique. J’ai fait tous mes films avec Guillaume Roussel. Je lui ai demandé beaucoup de musique, tout en lui disant que je ne voulais pas l’entendre... Il fal- lait qu’elle se mêle au sound design, sauf dans les moments d’émotion, de pics, pour rester dans les codes du récits.

L’OH : Vous aviez un mood-board ?
CJ : Je ne story-boarde que les scènes de grosse cascade, pour des raisons de sécurité. On travaille avec le chef-opérateur sur des références de peintures, de scènes de films. Par exem- ple, j’aime les lumières à 360 degrés pour pouvoir changer d’axe naturellement. Je travaille beaucoup sur les mouve- ments des personnages.

L’OH : À part votre premier film, Aux yeux de tous, vous ne filmez que des histoires inspirées de faits réels...
CJ : J’ai un rapport viscéral au cinéma. Les histoires vraies enlèvent un filtre qui me permet de rajouter celui de la fiction. J’ai des envies de pure fiction, je ne lis pas le journal tous les jours pour trouver un sujet. Essayer d’avoir un rapport empa- thique aux protagonistes autour de moments réellement vécus me projette de façon plus puissante dans ce réel. Inventer pour raconter me paraîtrait peut-être plus artificiel.

L’OH : De même, vos films parlent de justice...
CJ : Je suis quelqu’un d’assez sensible. The Voice peut me toucher. Je suis très sensible à l’injustice, donc au concept de justice.

L’OH : Quels sont vos projets ?
CJ : Des envies, j’en ai, mais d’abord j’aimerais me laver l’esprit, me reposer, pour ne pas repartir mécaniquement vers un autre film.

L’OH : Vous avez été mannequin, il y a une vingtaine d’années, en avez-vous gardé quelque chose ?
CJ : Pas du tout. J’ai recroisé Jean-Baptiste Mondino il y a quelque temps, j’étais super content de boire un verre avec lui. Mais je n’y pense pas plus que ça, mais c’est des bons souvenirs !

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