Holger Rune: A Vingt Ans
Depuis Nadal en 2006, Holger Rune est le plus jeune joueur à accéder à la finale du Rolex Monte-Carlo Masters, l’incontournable tournoi ATP marquant le point de départ de la saison européenne de la terre-battue
Quand je suis arrivé, il se fondait au milieu des siens. Autour de la table, Holger Rune grignotait trois fraises, avec sa mère, son père, sa sœur et le copain de sa sœur. J’avais encore à la main mon sandwich d’aéroport, jambon blanc et fromage en plastique. Les présentations, alors, on l’imagine, ont été hasardeuses. J’ai délaissé mon mixte sur le meuble juste là, j’ai serré les pinces et tout fait pour retenir les prénoms. Holger, oui, ça je sais. Aneke, la mère. Anders, le père. Alma, la sœur et son boy-friend Kasper.
Globalement, on peut dire qu’il y a quelque chose comme une unité. C’est idiot sûrement, mais ils se ressemblent comme une famille. Les cheveux bien sûr, des frère et sœur, ce blond du Nord, profond et cendré, la peau aussi, de ces teintes pâles qui savent bronzer, mais c’est surtout une lueur dans le regard, un air qui pétille et qui se poile en coin.
Pierre-Ange a commencé les photos. Voilà la Riviera comme on l’attend finalement peu : ciel bas et humeur grise. Peu importe finalement, les images parleront autrement qu’avec les grands rayons du soleil ou la terre-battue des Country Club. Holger se prête gentiment à l’exercice. Une tenue puis une autre. Le joueur n’a pas l’air mal à l’aise. Il fixe nettement l’objectif, mais sans défis pour autant, je veux dire qu’il vise l’appareil sans narcissisme, d’une manière simple, franche et sereine.
Je ne vous apprendrai rien en disant que le jeune garçon de vingt ans est plus habitué aux courts de tennis et aux salles d’entrainement qu’aux shootings à la Galaxie. A vingt ans, le danois est professionnel depuis 2020. Il a remporté son premier Master 1000, les tournois de l’ATP, l’année dernière à Paris-Bercy en battant Djokovic, le serbe de légende, premier joueur de l’histoire du tennis à détenir au moins sept titres dans deux tournois du Grand Chelem, comprenez Australie, Rolland Garros, Wimbledon et US Open.
Bref, je ne suis pas journaliste sportif, mais je crois que je peux affirmer sans crainte que le très jeune Rune a plutôt une belle carrière devant lui. Huitième mondial, s’entrainant à l’académie Mouratoglou à Sophia Antipolis depuis ses treize ans, Holger Rune frappe vite et fort. On lui prête dans les vestiaires et sur quelques sites internet spécialisés une réputation de gamin colérique. Je dois avouer que je n’ai vraiment pas eu cette impression là pourtant. Au contraire, je le vois se plier avec une politesse infinie à la pose, aux essayages, à notre entretien aussi - mais j’y reviendrai.
Pour l’instant, je voudrais parler un peu de la famille. Un moment, je laisse Holger, Pierre-Ange et Kenzia à leurs affaires. Je n’ai pas grand-chose à faire là et je gêne plus qu’autre chose. J’aurais bien pu finir mon sandwich dans un coin, mais conscience professionnelle oblige, je me suis rapproché du groupe.
Très naturellement, Aneke, la mère, a engagé la conversation. Regard clair et geste vifs, je comprends bien d’où vient Holger. On parle de son fils bien entendu, mais pas seulement. Aneke me dit qu’elle l’accompagne sur les tournois depuis ses douze ans. J’imagine une enfance étrange, faite de voyages, de compétition, de victoires mais aussi de défaites. Pour sûr, alors, mieux vaut pouvoir se reposer un peu sur quelqu’un, avoir cette confiance ultime qui a l’air de planer entre eux. Une fois, me dit la mère, Holger a voulu partir seul pour un tournoi. Résultat, deux jours plus tard, il appelait sa mère en lui demandant de le rejoindre. Le tennis est plutôt habitué aux histoires familiales : un père coach, un grand frère joueur professionnel lui aussi, etc… Les solitudes des courts doivent-elles nécessairement être contrebalancées par les soutiens indéfectibles d’une famille attentive ?
Pour Aneke, la question se tranche facilement. Elle a essayé de trouver le meilleur endroit pour son fils, je veux dire, l’endroit où il pourrait justement être le meilleur. Tout gamin, il faisait du foot, mais sa mère s’aperçoit qu’il est trop grand, peu à l’aise, aussi, en, équipe. Alma, la grande sœur fait du tennis. Holger essaye. Tout de suite, ils le sentent ensemble : voilà son endroit. « On ne peut pas être meilleur partout », me dit Aneke. « Le risque, si on essaye d’être premier dans tous les domaines, c’est d’être moyen à tous les niveaux. Holger a tout de suite eu le tennis – je l’ai poussé dans cette voie-là, contre le reste ». Les compétitions ont commencé il y a sept ans – à l’échelle d’une adolescence, ce n’est pas rien.
Anders, le père d’Holger, partage la même conception que sa femme, mais il a suivi la carrière de son fils de plus loin. Il me dit assister à quelques matchs, Miami, par exemple, dont ils reviennent tous ensemble, mais il vit à Copenhague et n’interfère pas dans la carrière d’Holger. Anders a le sourire sympathique des hommes volontairement discrets. Il vend et loue des yachts au Danemark – si j’ai besoin d’un bateau, me dit-il, je n’ai qu’à l’appeler. Oui, j’y penserai Anders, j’ai joué au Super-Loto du lundi de Pâques.
On rit un peu et je parle de Paris à Alma, la sœur. Elle y a vécu un an et demi, à côté de Saint-Germain. Maintenant, elle est revenue à Copenhague et elle travaille pour l’entreprise de sa mère : Water Point qui commercialise des filtres à installer sous les éviers – eau pure et gazeuse directement au robinet. Kasper, le gendre, y bosse aussi. Décidément, la famille fait dans l’unité. N’ayant pas franchement connu un model comme celui-ci, je me dis que ça doit être quand même franchement agréable, de pouvoir se reposer les uns sur les autres, de fonctionner comme une grande équipe, quoi qu’il arrive.
S’ils sont tous là aujourd’hui, c’est parce qu’Holger est of et qu’ils fêtent l’anniversaire du père. Ce soir, restaurant, mais demain l’entrainement reprend et lundi, le Rolex Monte Carlo Master qui lance la saison de la terre battue en Europe.
A l’heure où j’écris ces lignes, Holger Rune vient de s’incliner en finale face à Andrey Rublev (7-5 2-6 5-7). Avant le début du tournoi, je le sentais plutôt serein et excité à la fois. Il me disait aimer la terre battue puisqu’il y avait une part de chance qui rentrait en jeu. Les rebonds qui surprennent, les trajectoires inattendues.
Je l’écrivais plus haut, mais je me répète, le garçon est franchement sympathique. Quand on était assis sur le grand canapé du salon, il a rapidement renversé la tendance de l’interview, me posant des questions sur Paris, sur mon boulot, s’intéressant sincèrement, je crois, à ce que je trafiquais. Croyez-moi, c’est plutôt rare.
J’ai vu un enfant ou un adulte, je ne saurais pas trop le dire, une personne en tout cas, à l’œil malin, à la réponse rapide et au sourire frappant. Une détermination qui ne se la raconte pas, l’envie de gagner bien sûr, mais sans détester les autres, quelque chose d’assez simple finalement : Holger Rune a l’aisance des types qui ont trouvé leur place dans le monde, le fauteuil où ils devaient s’asseoir. J’espère vivement qu’il va gagner cet après-midi. Quand vous lirez ces quelques mots, le résultat sera tombé. Mon souvenir de Rune restera le même : celui d’un moment suspendu, un jour sans entrainement, sans tournoi, avec sa famille et leur enthousiasme.
Photographie: PIERRE-ANGE CARLOTTI
Stylisme: KENZIA BENGEL DE VAULX
Casting: JENNIFER EYMERE
Assistant Photo : LUKA RADULOVIC
Coiffure et maquillage: ELODIE AUBERT