Paris peut-il devenir vegan ?
Il est 13h rue du Mont-Thabor. Juste à côté d’un Ferdi désormais clairsemé, toute une faune bien sapée s’engouffre dans une minuscule cantine, étroite comme un couloir mais colorée comme un appart danois, sans rechigner devant la queue qui s’allonge devant un comptoir take-away. Rédactrices, stylistes, attachés de presse, acheteurs.. toute la mode du faubourg Saint-Honoré a prévu de déjeuner au Maisie Café, comme chaque midi ou presque depuis son ouverture à l’automne dernier. Dans l’assiette ? Soupes de saison, salades vitaminées, avocado toasts, foccacias garnies et cakes sucrés, le tout exécuté sans viande, ni œufs, ni lait. Du végétalien en somme, bien fichu et coloré, juste prêt pour notre feed Instagram. "Le Maisie est le résultat d’un cheminement personnel qui dure depuis 9 ou 10 ans, la découverte d’une alimentation et d’un mode de vie différents", explique la fondatrice Isabella Capece. Avant elle, des entrepreneuses comme Agathe Audouze au Café Pinson, Angèle Ferreux-Maeght dans sa Guinguette ou Emma Sawko chez Wild and the Moon ont importé le concept de cuisine végétalienne à l’esprit mi-scandinave, mi-californien, suivies par une tapée de petites cantines surfant plus ou moins heureusement sur la vague de la superfood.
Oublié le temps des salades de kale crues punitives et des graines germées picorées par une flopée d’altermondialistes dans des rades aux murs caca d’oie, le veganisme alimentaire passe de micro mouvement alternatif à phénomène mondial et devient, après d’autres capitales, indissociable du paysage food parisien.
« A chaque service des clients nous demandent des plats sans viande, sans œufs ou sans lait »
Car même si beaucoup vont déjeuner dans ces nouvelles cantines en portant cuir et fourrure, force est de constater qu’une conscience sinon vegan, du moins végétarienne, fait peu à peu surface chez un public jusqu’ici pas vraiment animal-friendly. Simple considération diététique ? Pas seulement, selon Vincent Grégoire, responsable du pôle art de vivre chez Nelly Rodi et spécialiste des questions de consommation : "Dans le monde occidental, on devient de plus en plus sensible à la cause animale, il y a une vraie curiosité pour ces nouveaux modes de vie plus slow, une envie globale de retour à la nature, à la consommation raisonnée" . Outre la tentation d’un repas complet, protéiné et presque sans graisse pour une frange de la population obsédée par l'apparence, on constate que la multiplication des scandales alimentaires liés à l’élevage a fortement marqué les esprits au cours des 10 dernières années. Une crise de conscience que les images traumatiques filmées dans les abattoirs par des association comme L214 et le constat alarmant de l’impact écologique de l’élevage intensif (plus de 14,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et de 80 % de la déforestation amazonienne selon le dernier rapport du GIEC), n’ont fait qu’amplifier. "Ce n'est pas un effet de mode, souligne l'analyste, c'est un phénomène durable, qui touche certes une catégorie sociale aisée, mais qui en touche toutes les générations à des degrés plus ou moins extrêmes, du flexitarisme au veganisme".
« la cuisine des 10 prochaines années sera végétarienne »
Mais peut-on bousculer l’assiette du Parisien ? Cet « amoureux du terroir » autoproclamé, de qui l’entrecôte, le fromage et le saucisson forment la base de l’alimentation ? Avant la déferlante healthy, certains chef s’y étaient déjà risqués : Alain Ducasse au Spoon puis au Plaza Athénée, Àlain Passard à l’Arpège ou plus récemment Thierry Marx, lui-même végétarien. Au Shangri-La, le chef Christophe Moret a mis en place des dîners « 100% Green » et un afternoon tea entièrement vegan. "Une démarche cohérente" selon l’intéressé. "A chaque service des clients nous demandaient des plats sans viande, sans œufs ou sans lait. Nous voulions leur proposer quand même des recettes dignes d’un établissement comme le Shangri-La". Pari réussi, côté pâtisserie surtout, où imaginer des gâteaux de palace avec les contraintes vegan relève de la prouesse technique. Même performance chez Foucade, près de la place Vendôme, où la carte joue sur une totale transparence quant à la composition des créations (vegan ou non) et propose des gâteaux sur-mesure réalisés avec des matières premières alternatives. "Je pense qu'à l'avenir, le veganisme, et plus largement la conscience écologiste, peut passer de posture privative et cupabilisante à nouvel élan global, explique Vincent Grégoire. On assiste au développement de nouvelles start-ups écolo-techno qui préconisent des manipulations génétiques positives, dans l'idée de remplacer la viande ou les produits animaux." Pas un retour en arrière donc, mais une avancée vers une consommation plus responsable, conciliable avec la préservation du patrimoine culinaire.
Qu’il soit le résultat d’un militantisme écologique, symptomatique du rejet d’une alimentation de masse ou fruit d’une simple obsession diététique, l’engouement pour le vegan prend en France une ampleur inédite, en adéquation avec l’évolution logique d’une société qui ouvre les yeux sur les conséquences sanitaires, morales et environnementales de l’élevage animal. En 2013, le pape Robuchon lui-même déclarait : « la cuisine des 10 prochaines années sera végétarienne ». Il va falloir s’y faire.
Maisie Café : 32 Rue du Mont Thabor, 75001
Café Pinson : 6 rue du Forez, 75003 / 75 rue du Faubourg Poissonnière, 75009
Wild and the Moon : 55 Rue Charlot, 75003
La Guinguette d'Angèle : 34 rue Coquillère, 75001
Foucade : 17 rue Duphot, 75001
Le Shangri-La : 10 avenue d'Iena, 75116
Hank Vegan Burger : 55 rue des Archives, 75003
Le 5 Lorette : 5 rue Notre-Dame de Lorette, 75009
Sol Semilla : 23 rue des Vinaigriers, 75010
Tien Hiang : 14 Rue Bichat, 75010
Le Veganovore : 55 rue de Paradis, 75010