Qui est vraiment Anthony Vaccarello ?
S’offrir la tour Eiffel en guise de décor. C’est en effet à proximité de la Dame de fer qu’Anthony Vaccarello a présenté au public sa collection printemps-été 2018 pour Saint Laurent, en septembre dernier. Sa troisième depuis qu’il y occupe le poste de directeur artistique. Et ce n’est pas un hasard si le créateur a choisi le symbole suprême de Paris pour révéler ses nouvelles silhouettes : cette maison et son fondateur ne sont-ils pas mondialement connus pour avoir si justement placé la Ville Lumière et ses habitantes au coeur de la mappemonde mode ? Dans les travées du Trocadéro, Anthony Vaccarello a donc de nouveau déroulé son propre vocabulaire Saint Laurent. Celui qui fait dire aux modeuses de tous pays que Paris est bel et bien la capitale de l’allure avec un grand A. Le noir, omniprésent, s’invite sur des blouses éthérées, il y a des shorts bouffants, des robes grand soir ou des vestes de smoking, évidemment. Le glamour est là, dans tout ce qu’il a de plus puissant : les accessoires scintillants, les décolletés suggestifs et les broderies précieuses. Les plumes, virevoltantes et gracieuses, ajoutent une dimension poétique à ce dressing moderne, dans lequel les références eighties ne sont jamais très loin. Car réinventer Saint Laurent – après le passage très remarqué d’Hedi Slimane de 2012 à 2016 –, implique de ne pas laisser de côté ce qui a fait le sel de ce label culte, pour mieux le projeter dans le présent et le futur. Et ça, Anthony Vaccarello l’a bien compris.
Aujourd’hui installé dans le Marais, ce fan de séries et fin cuisinier – il maîtrise comme personne la recette des pâtes all’arrabiata – confesse volontiers son extrême timidité. “Je ne suis pas très à l’aise avec les gens et je me cache derrière un air froid et distant. En fait, je suis juste super-timide et très sensible”, expliquait- il au magazine Antidote, en avril 2016.
À mille lieues des créateurs stars d’aujourd’hui, qui s’affichent sans filtre – ou, au contraire, avec pléthore – sur les réseaux sociaux, Anthony Vaccarello est effectivement un garçon du genre discret. Si son compte Instagram grimpe à près de 280 000 abonnés, on y trouve très peu de photos le mettant en scène. À 37 ans, il n’a d’ailleurs jamais péché par excès d’ego. En témoigne son parcours sans fausse note, à travers lequel transperce l’amour du travail bien fait. Né en Belgique de parents italiens – son père est serveur dans un restaurant et sa mère travaille dans l’administration –, ce fils unique décide, après s’être copieusement ennuyé pendant deux ans sur les bancs d’une fac de droit, d’intégrer la prestigieuse école d’arts visuels et de mode La Cambre, à Bruxelles.
Diplômé en 2006, il présente la même année le concours du Festival international de mode et de photographie de Hyères, avec une collection inspirée par la Cicciolina, et y décroche le grand prix. Un coup de projecteur non négligeable qui permet à son nom de circuler parmi les initiés : cinq de ses robes sont ainsi mises en avant dans la vitrine de la boutique Maria Luisa à Paris : elles s’écoulent en quelques jours. Il rejoint ensuite la maison Fendi, à Rome, en tant que designer fourrure, et se confronte aux réalités commerciales du métier. En 2009, en pleine crise économique, il prend pourtant le risque de lancer sa griffe sans tenir compte des mises en garde, aidé par sa garde rapprochée, une clique de jeunes gens éclectiques et branchés, dont son compagnon de plus de treize ans, Arnaud Michaud, ou encore Lou Doillon. Bien lui en a pris : récompensé par le prix de l’Andam en 2011, – l’un des plus prestigieux concours de la jeune création, longtemps sous l’égide de Pierre Bergé –, il gagne peu à peu le respect de ses pairs et se fait un nom. Et surtout, il retranscrit une vision claire : celle d’une femme sexy en diable, audacieuse, libre et volontaire.
Car la marque de fabrique d’Anthony Vaccarello, ce sont des kilomètres de jambes fuselées – souvent celles des tops Karlie Kloss ou Anja Rubik, deux de ses amies proches – perchées sur de très hauts talons, très peu de tissu de préférence façonné dans un cuir brillant. Et si ses héroïnes sont souvent court-vêtues, ce n’est pas tant pour aguicher que pour qu’elles puissent avancer dans la vie d’un pas décidé, surtout pas contraint. “Dans mon travail, il y a une rigueur belge dans la coupe et la déconstruction, mais la reconstruction du vêtement est plus sensuelle, peut-être plus sexy. Pourtant, je ne me dis jamais : ‘Je vais faire quelque chose de sexy.’ J’ai l’impression que cela le devient, comme par accident, une fois porté. Si la femme Vaccarello s’habille court, c’est plus une affaire de liberté, de modernité”, confiait-il à M, le magazine du Monde en septembre 2016. Une signature stylistique qui avait déjà tapé dans l’oeil de Donatella Versace, qui lui confia les rênes de la ligne bis de la maison italienne, Versus, en 2014. Un des castings les plus réussis de ces dernières années.
En deux années, le créateur chez Versus son idée de la féminité made in Italia, à grands coups de robes fourreaux asymétriques, de cheveux plaqués en arrière et de corsets cloutés sanglant les tailles. Car le sexy selon Vaccarello convoque depuis ses débuts une certaine idée de pouvoir. Une attitude bravache exhalant la confiance en soi, qui n’est pas sans rappeler ce qu’apporta Yves Saint Laurent lui-même aux femmes, en leur donnant, peut-être plus que personne, cette même liberté de ton. Un écho auquel les dirigeants de la marque ne pouvaient échapper. “Quand j’ai été appelé (…), reprendre une maison ne m’intéressait pas et ma vie me convenait. Mais on ne peut pas dire non à Saint Laurent. Kering m’a choisi pour ce que j’étais et ce que je faisais déjà avant ce renouveau”, estimait Anthony Vaccarello dans les colonnes de Madame Figaro en mars 2017.
En acceptant de prendre la direction artistique de l’illustre maison parisienne, Anthony Vaccarello a dû mettre en sommeil la griffe qui porte son nom. Une décision mûrement réfléchie, à l’encontre des préceptes du moment, qui voudraient que le créateur de mode soit un surhomme, prêt à assumer de plus en plus de collections et collaborations par saison. Pourtant, en mettant ses pas dans ceux de Saint Laurent, le Belge a dû se frotter à l’exercice inédit pour lui du vestiaire masculin. Sa partition pour les hommes est nerveuse, avec des accents rock savamment balancés. Et fait parfaitement écho à son pendant féminin, où le faste se niche jusque dans les détails des broderies dorées. Car évoquer le nom de Saint Laurent renvoie inévitablement à l’idée que l’on se fait du luxe à la française. Un luxe d’ailleurs florissant : sous l’égide d’Hedi Slimane, qui divisait autant qu’il suscitait l’émoi, le chiffre d’affaires de la marque a bondi de 25 %, atteignant plus de 1,2 milliard d’euros l’an dernier.
Anthony Vaccarello saura-t-il faire grimper les compteurs ? Objet de tous les désirs de la saison passée – et pièces hautement instagrammables –, les bottes montantes scintillant de mille sequins (facturées tout de même 8 000 €) évoquent à elles seules ce qu’est aujourd’hui la maison Saint Laurent sous le mandat de Vaccarello : une réflexion moderne sur la féminité et le luxe avec, toujours en ligne de mire, cette émotion qui contribue à écrire l’histoire de la mode parisienne.
Crédits photos : Collier Schorr, Victor Virgile / Gamma-Rapho via getty Images, DR