Femmes

Isabelle Huppert : "Je pense m’être construit un territoire cinématographique vaste"

Interprète extraordinaire dans plus de cent films en cinquante ans de carrière, elle inspire à la fois les réalisateurs, les nouvelles générations d’actrices et les créateurs de mode. La clé de son succès ? La curiosité.

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Texte FABIA DI DRUSCO
Photographie
GUILHERME NABHAN
Coiffure
PABLO PATANÉ

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Robe, IRIS VAN HERPEN ; boucles d'oreilles et collier, BVLGARI ; sandales, GIUSEPPE ZANOTTI ; canapé, Cleopatra par Geoffrey Harcourt pour Artifort, 1970.

Avec Caravage de Michele Placido (toujours en salles), Une robe pour Mrs Harris, La Syndicaliste, film présenté à Venise, qui sortira en France en mars, la reprise de succès au théâtre (La Cerisaie, en mars à Taïwan, Mary Said What She Said, un monologue de Mary Stuart mis en scène par Bob Wilson, à Paris en avril et mai) et le début de la production d’un film réalisé par André Téchiné, La Révocation, Isabelle Huppert occupe comme nulle autre le devant de la scène. Un regard sur sa filmographie donne le vertige : depuis 1970, elle a joué dans 118 films, travaillé avec le who’s who du cinéma français, de Tavernier à Chabrol, de Godard à Ozon et Chéreau, avec de grands noms internationaux, Marco Ferreri, Andrzej Wajda, Michael Haneke, David O’Russell, Wes Anderson, Paul Verhoeven, et a également pris le risque de faire appel à des réalisateurs débutants. Récompensée deux fois à Cannes, pour La Pianiste de Haneke et Violette Nozière de Chabrol, trois fois à Venise, pour La Cérémonie et Une affaire de femmes, tous deux réalisés par Claude Chabrol, elle a aussi remporté un lion d’or pour l’ensemble de sa carrière et un golden globe pour Elle de Verhoeven. Avec une carrière aussi longue, des films si différents, et tant de rôles audacieux, il existe beaucoup de perceptions d’Isabelle Huppert. La mienne dérive du film Ma mère de Christophe Honoré (2004), tiré d’un roman de Georges Bataille et interprété par Louis Garrel, et d’Elle (2016), deux films où elle est cérébrale, sensuelle, provocante, tranchante. Elle provient aussi de l’image qu’elle a construite au fil du temps, sans jamais une erreur, un écart, une vulgarité, celle d’avoir l’air plus jeune ou plus à la mode dans le sens trivial du terme. Avec sa silhouette mince, elle s’approprie avec le même naturel une robe Dior ou un T-shirt Balenciaga.

L’OFFICIEL : Dans votre carrière impressionnante, quels sont les films que vous considérez comme les plus importants ?
ISABELLE HUPPERT : Impossible de répondre, tous les films que j’ai faits ont été extrêmement importants pour moi, parce que j’arrive toujours à les rendre personnels.

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Robe longue, VALENTINO ; boucles d'oreilles et bague, CARTIER. OUVERTURE—robe, IRIS VAN HERPEN ; boucles d'oreilles et collier, BVLGARI ; sandales, GIUSEPPE ZANOTTI ; canapé, Cleopatra par Geoffrey Harcourt pour Artifort, 1970.

L’O : Je reformule la question : les réalisateurs avec lesquels vous avez eu l’alchimie la plus intense, les rôles qui ont défini votre carrière ?
IH : Avec Claude Chabrol j’ai fait sept films, avec Hanecke quatre avec Benoît Jacquot six, en choisir un en particulier serait profondément injuste. Et déloyal. En ce qui concerne les rôles, je citerais Elle, La Pianiste et La Dentellière.

L’O : Comment préparez-vous vos personnages ? Avez-vous une méthode, un détail sur lequel vous vous appuyez, un geste superstitieux ?
IH : Je ne travaille pas sur le personnage, j’absorbe plutôt l’atmosphère générale du film, le scénario, les dialogues.

L’O : Comment choisissez-vous vos films ?
IH : En fonction de la confiance qu’ils m’inspirent. Il faut avoir confiance dans un film, car si ce n’est pas le cas, ça n’a aucun sens. J’ai travaillé avec des réalisateurs de renommée internationale, et là, c’est principalement une question de scénario et de dialogues, alors qu’avec des réalisateurs moins connus ou plus jeunes, la question est de savoir à quel point je me sens proche des autres personnes impliquées dans le film. Je suis fière de la totalité de mes choix, je pense m’être construit un territoire cinématographique suffisamment vaste. Le cinéma n’est pas fait pour être gentil, mais pour explorer des sentiments et des actions qui restent normalement secrets, cachés.

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Manteau et chemise, BALENCIAGA ; boucles d'oreilles, BVLGARI.

“J’aime le théâtre parce que j’ai le luxe de travailler avec les meilleurs metteurs en scène qui existent, des génies absolus comme Ivo Van Hove ou Claude Régy.”

Isabelle Huppert en couverture portant une veste Dolce & Gabbana; robe, George Hobeika; boucles d'oreilles, Moschino.
Isabelle Hupper en couverture portant une veste DOLCE & GABBANA; robe, GEORGES HOBEIKA ; boucles d'oreilles, MOSCHINO.

L’O : Vous avez travaillé avec de nombreux réalisateurs italiens : Bolognini (La Dame aux camélias), Marco Ferreri (L’Histoire de Piera), les frères Taviani (Les Affinités électives)...
IH : J’aime beaucoup travailler en Italie, on y trouve une attention particulière à l’esthétique, à tous les niveaux de la production.


L’O : Qu’est-ce qui vous a poussée à devenir actrice ?
IH : Je me souviens à peine pourquoi et comment c’est arrivé, j’étais très jeune, ça a été progressif. Dans l’absolu, j’aime jouer la comédie parce que ça donne de l’espace à l’imagination.

L’O : Votre fille, Lolita Chammah, est actrice, avez-vous souvent travaillé ensemble, l’avez-vous poussée vers le cinéma ?
IH : Je n’ai jamais vraiment parlé avec ma fille des raisons pour lesquelles elle est aussi devenue actrice. Même si, d’une façon inconsciente, j’imagine que j’ai influencé son choix.

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Robe tissée, LOEWE; boucles d'oreilles et bagues, ALAN CROCETTI ; collants, CALZEDONIA ; chaussures, GIUSEPPE ZANOTTI.

L’O : En 1996, vous êtes montée sur scène avec Mary Stuart de Schiller au National Theater de Londres. Depuis, vous avez interprété sur scène Shakespeare, Ibsen, Tennessee Williams, Marivaux, Tchekhov, mais aussi Yasmina Reza et La Mère de Florian Zeller. Qu’est-ce qui vous fascine dans le théâtre ?
IH : J’aime le théâtre parce que j’ai le luxe de travailler avec les meilleurs metteurs en scène qui existent, des génies absolus, comme Ivo Van Hove ou Claude Régy.

L’O : Pour de nombreuses actrices, je pense à Jessica Chastain par exemple, vous représentez un modèle. Qui appréciez-vous particulièrement parmi vos collègues?
IH : En tant qu’actrice, j’éprouve un plaisir très particulier, un véritable frisson à regarder d’autres actrices jouer, à saisir les nuances de leur interprétation.

L’O : Avez-vous déjà pensé à la mise en scène ?
IH : Oui, je n’exclus pas que cela puisse arriver un jour. Jusqu’à présent, je n’ai jamais eu le temps, cela demande une énergie, une patience et un courage incroyables. Quand je pense au niveau d’implication personnelle que je mets dans le personnage du film d’un autre, alors que je suis absolument convaincue que le film est de toute façon avant tout celui du réalisateur, je sais que si je devais faire un film moi-même, j’exigerais de contrôler chaque détail et de me l’approprier.

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Robe et chaussures, SCHIAPARELLI ; collier, CARTIER; collants, CALZEDONIA.

"Je suis fière de la totalité de mes choix, je pense m’être construit un territoire cinématographique suffisamment vaste. Le cinéma n’est pas fait pour être gentil, mais pour explorer des sentiments et des actions qui restent normalement secrets, cachés."

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Veste et pantalon brodés, ALEXANDER McQUEEN ; boucles d'oreilles et bague, CARTIER.

L’O : Comment vous décririez-vous ?
IH : Je suis une personne curieuse, lorsque j’arrive dans un endroit que je ne connais pas, la première chose que je fais est d’ouvrir toutes les portes. Je suis une enthousiaste, ce qui revient au même, j’ai la passion de découvrir de nouvelles choses.

L’O : Une institution de l’hôtellerie parisienne, le Lutetia, vous a demandé d’imaginer une suite, car, selon elle, vous êtes l’incarnation même de l’esprit Rive Gauche. Pour de nombreux stylistes, vous êtes une icône, Demna Gvasalia et Gherardo Felloni, de Roger Vivier, vous ont voulue dans leurs campagnes, Charles de Vilmorin a déclaré que vous étiez sa muse... Votre style est extrêmement défini, c’est presque une marque reconnaissable. Quelle relation avez-vous avec la mode ?
IH :J’aime la mode, c’est superficiel naturellement, mais cela me procure un authentique plaisir.

L’O : Il existe également une édition limitée avec votre nom de Fracas, le parfum culte de Piguet. C’est toujours votre parfum signature ?
IH : Oui, en général j’aime les parfums de niche, j’aime beaucoup aussi ceux de Frédéric Malle, par exemple.

L’O : Vous vivez à Paris. Qu’est-ce que vous aimez dans cette ville ?
IH  :Je n’ai pas le permis, donc je marche beaucoup et Paris est parfait pour cela. Partout où je vais je vois des coins magnifiques qui continuent de m’éblouir. Mais je trouve beaucoup de belles choses dans d’autres villes aussi. Les villes en général me fascinent beaucoup.

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Veste et pantalon, ASHI STUDIO ; bracelet et bague, CARTIER.

L’O : Y a-t-il un réalisateur, un rôle, qui serait votre rêve caché ?
IH : Je n’ai pas de rêves cachés, je ne fonctionne pas comme ça, le cinéma est concret comme la cuisine, fait d’ingrédients.

L’O : Comme Juliette Binoche, Marion Cotillard, Isabelle Adjani et d’autres actrices françaises, vous vous êtes coupé une mèche de cheveux dans une vidéo pour soutenir la protestation des femmes iraniennes après l’assassinat de Masha Amini. Avez-vous soutenu d’autres causes ?
IH :Je ne me considère pas comme un activiste, cela demande beaucoup de courage, mais certainement en tant que citoyenne du monde, il m’a semblé logique, avec ce qui se passe en Iran, de prendre position pour défendre la liberté des femmes dans ce pays.

L’O : Je ne connaissais pas l’histoire (vraie) de Maureen Kearney, que vous incarnez dans La Syndicaliste de Jean-Paul Salomé...
IH : J’aime beaucoup le titre en anglais, The Sitting Duck (cible facile), car il résume bien l’histoire de cette femme qui se bat contre une élite financière et politique à laquelle elle n’appartient pas. J’ai rencontré plusieurs fois Maureen Kearney. En 2012, elle appartenait au syndicat des travailleurs d’Areva, qui était sur le point d’être absorbée par son partenaire chinois, son combat était donc de sauver 50000 emplois français. Un jour, elle a été retrouvée attachée à une chaise, un A scarifié sur le ventre et le manche d’un couteau enfoncé dans son vagin. Elle a porté plainte pour cet enlèvement, mais on ne l’a pas crue et elle a même été accusée de l’avoir organisé elle-même (au point d’être condamnée à une peine de prison, peine annulée en appel en 2018, ndlr). Même si l’histoire en elle-même mérite d’être racontée, je n’aurais pas eu envie de participer à un documentaire à ce sujet, j’ai choisi de participer au film parce que les choix du réalisateur sont extrêmement fascinants en soi.

CHEVEUX : Rudy Martins @ THE WALL GROUP
MAQUILLAGE : Morgane Martini @ THE WALL GROUP
ONGLES: Julie Villanova @ ARTLIST
SCÉNOGRAPHIE : Clément Pelisson
PRODUCTION : Serena Bonnefoy @ AGENCE B
ASSISTANT PHOTO : Matheus Agudelo
ASSISTANTE COIFFURE : Lucas Laloue
ASSISTANTE SCÉNOGRAPHIE : Maud Guyon
POST-PRODUCTION : Rumeurs, Flavia Cardoso Lefebvre, Gaëlle Bijani et Laura Alday
RETOUCHE : Angélique Marinacci
ASSISTANTS STYLISTES : Chloé Sauge-Gautier et Adrien Bedoucha

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