Femmes

Donatella Versace : "Mon frère était un génie"

Impossible de parler de “revival” sans évoquer Versace. Sa sœur Donatella lui dédie une collection printemps-été présentée lors d’un défilé plus émouvant que jamais, où elle a reformé le gang des supermodels – sa manière de commémorer les vingt ans de la disparition du fondateur de la maison. Autant de raisons pour échanger sur cette époque, Gianni, la mode, avec l’Italienne la plus blonde du globe.
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Comment avez-vous eu l’idée de recréer le “gang” Versace en faisant défiler Claudia Schiffer, Naomi Campbell, Cindy Crawford, Carla Bruni et Helena Christensen ?

Donatella Versace : Je ne sais plus quand et comment cette idée est née précisément, mais, lorsque vous pensez à Gianni, vous pensez aussi aux top-modèles. En travaillant sur cette collection “Tribute”, j’ai réalisé qu’elle ne serait pas tout à fait aboutie sans la participation des filles qui étaient à ses côtés tout au long de ces années. Gianni a créé le phénomène des top-modèles et je suis restée très proche d’elles. C’est comme si elles faisaient partie de la famille et elles le considéraient comme leur père spirituel, il aurait donc été impossible de ne pas les inviter. C’était aussi une façon de boucler la boucle en quelque sorte. En fait, je leur ai simplement envoyé un SMS pour leur présenter le projet.

Comment ont-elles réagi ? 

Elles ont tout de suite répondu “Oui ! Oui ! Oui !” sans hésiter. C’était comme replonger dans l’énergie des années 1990. Vous savez, je les ai vues évoluer et devenir les merveilleuses femmes qu’elles sont… Malgré tout, leur réaction reste la plus belle preuve d’amour qui soit. Le fait qu’elles aient confirmé leur présence aussi rapidement – ce sont des femmes d’affaires très occupées – était très touchant. Quand on y pense, Carla a quand même été la première dame de France et n’a pas défilé depuis un certain temps. Vous devez vraiment faire partie de la famille pour accepter aussi rapidement… et je leur en suis très reconnaissante !

Que représentent ces filles pour vous ? 

Un rêve.

Dans quel état d’esprit étiez-vous le jour du show ? 

Oh mon Dieu ! C’était un véritable ascenseur émotionnel. Je mentirais si je vous disais que je n’étais pas tendue. Ce n’était pas n’importe quel défilé pour moi. La veille, pendant les répétitions, nous étions tous en pleurs. Le processus qui m’a conduite jusqu’à ce 22 septembre fut une véritable succession de hauts et de bas. C’était la première fois que je pénétrais dans les archives et que je touchais le travail de Gianni après tant d’années. Mon frère était un génie et ce qu’il a créé était extraordinaire. Mais y aller, regarder, choisir certaines pièces que j’ai ensuite réinterprétées pour le défilé et commencer mon travail à partir du sien, construire sur ses idées avec ma vision, fut presque comme un processus thérapeutique. Je faisais enfin la paix avec un passé qui m’a longtemps hantée. C’était libérateur. Et je dois dire que la réaction au défilé était surprenante. Je ne m’attendais pas à une telle vague d’émotion de la part du public ! Tout le monde criait et applaudissait. Je n’avais jamais ressenti autant d’émotions à la fois. Beaucoup de personnes ont pleuré… Je me suis sentie tellement légère ensuite… Je suis prête à commencer le chapitre suivant. 

En haut, Carla Bruni, Claudia Schiffer, Naomi Campbell, Cindy Crawford et Helena Christensen défilent avec Donatella Versace, à Milan le 22 septembre dernier.

Pensez-vous souvent à votre frère ?

Je pense constamment à lui. Il est avec moi dans tout ce que j’entreprends et j’ai particulièrement ressenti sa présence à ce moment-là. Et je n’étais pas la seule. Grâce à la collection et à ses imprimés iconiques, certaines personnes qui ont eu la chance de le rencontrer ont eu l’impression de revivre un de ses défilés. 

Quel regard portez-vous sur les femmes d’aujourd’hui ? 

Elles sont fortes, indépendantes, intelligentes, audacieuses, belles. Les femmes apprennent enfin à s’entraider, à s’unir pour obtenir ce qu’elles méritent et à le revendiquer. Je suis moi-même cette femme et je sais parfaitement ce que cela implique. Bien que le mot soit un peu daté, je peux dire que j’ai toujours été une féministe. Je me bats pour l’égalité et je n’arrêterai jamais de pousser les femmes à défendre leurs positions. Beaucoup a déjà été fait, mais beaucoup reste encore à faire.

La féminité est une valeur essentielle du lexique Versace, quel sens a-t-elle pour vous ? Comment la vivez-vous ?  

C’est un état d’esprit. Cela ne dépend pas de ce que vous portez, de votre âge ou de votre look, c’est une attitude. C’est embrasser votre pouvoir de femme, le faire rayonner de l’intérieur, en être fière et le partager pour que tout le monde puisse le voir. J’aime le mot “féminité” parce qu’il renvoie à beaucoup d’images positives. C’est une femme qui assume entièrement sa personnalité et son moi intérieur. Il est intéressant de constater comme un seul mot peut avoir tant de significations. Être féminine varie d’une femme à l’autre. Je me sens féminine quand je porte des talons, mais aussi quand je donne mon avis, quand je soutiens une autre femme ou quand je crée des robes pour que d’autres femmes soient belles, sophistiquées, sensuelles, audacieuses, fortes, indépendantes… Tout ce qu’elles souhaitent incarner ! 

Parle-t-on toujours de cette féminité de la même manière aujourd’hui qu’il y a vingt ans ? 

Je pense qu’elle évolue en même temps que la société. Elle peut s’exprimer de différentes manières et dans différentes choses, mais c’est le reflet de la femme d’aujourd’hui. Ses valeurs ont changé, sa position dans la société a évolué et sa confiance en elle s’est développée. Comme toute idée, la féminité ne cesse de se transformer.

Qu’avaient de spécial ces filles du gang de Gianni ?

Elles avaient une forte personnalité et ont su l’exprimer avant même l’arrivée d’internet. C’est pourquoi Claudia Schiffer, Naomi Campbell, Cindy Crawford, Carla Bruni, Christy ­Turlington, Linda Evangelista ou Stephanie Seymour sont restées des icônes. Après elles, il a fallu attendre Gisele Bündchen pour retrouver la même attitude ou la même détermination. Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux, j’entrevois le retour de ces années. Gigi et Bella Hadid ou Kendall Jenner s’expriment à travers ces plates-formes. Elles font découvrir leur personnalité et permettent de se plonger dans leur univers. C’est ce qui a toujours fait la différence avec les autres. Il ne s’agit pas seulement d’être belle, c’est qui vous êtes et comment vous vous présentez au monde qui importe.

L’époque a changé aussi… 

Beaucoup ! Internet et les réseaux sociaux en particulier ont tout modifié ! Quand j’y repense, je me rends compte que les portes de la mode étaient fermées au reste du monde, presque comme un club privé. C’était une période bien plus élitiste pour la mode. Dans un sens, tout est beaucoup plus accessible désormais. J’aime comme les filles d’aujourd’hui interagissent avec leurs “followers” du monde entier. Avant, on parlait de fans… Dans tous les cas, elles ont acquis une nouvelle forme d’indépendance et de pouvoir. Elles expriment ce en quoi elles croient et deviennent une source d’inspiration pour la nouvelle génération. Par exemple, Instagram m’a permis d’avoir une conversation directe avec les gens. Je peux enfin leur montrer qui est véritablement Donatella Versace. J’ai tellement de followers ! Je viens de dépasser les deux millions, j’en suis très heureuse et reconnaissante. 

"[La féminité] C’est un état d’esprit. Cela ne dépend pas de ce que vous portez, de votre âge ou de votre look, c’est une attitude."

Pouvez-vous nous dire un mot sur chaque supermodel ?

Carla a toujours été la plus ouverte d’esprit. Claudia est la plus précise : elle a toujours détesté les changements de dernière minute. Mais quand elle marchait sur le podium, elle irradiait comme un soleil. J’ai toujours aimé la sensualité de Cindy : elle n’a jamais été effrayée de montrer son corps. Naomi a toujours été la plus féroce. J’ai une anecdote amusante à son sujet : une fois, elle avait dit aux autres filles que le podium était glissant pour qu’elles marchent de manière hésitante. Bien sûr, elle est apparue plus à l’aise que jamais avec une démarche de panthère, comme une déesse. Linda est une femme incroyable, une beauté sans égale. Elle pouvait passer cinq heures devant un miroir à se faire maquiller et soudainement soulever un sourcil en disant : “Ça ne va pas du tout…” Oh, comme cette époque me manque ! 

Quel rôle la maison Versace a joué et joue dans la mode ? 

Versace repousse les limites, transgresse les règles et a cette attitude “je-m’en-foutiste”. Gianni a parfois été très critiqué pour ses choix audacieux. C’est le problème lorsqu’on est un génie, on est très en avance sur son temps. Mon frère a ouvert la voie à la nouvelle génération de créateurs. Pensez aux symboles religieux, aux pièces en cuir découpés au laser, au total imprimé, au drapé… Il a créé un univers dans lequel la première règle est qu’il n’y en a pas, parce qu’il les avait déjà toutes transgressées. Ce n’était pas simple, mais en même temps c’est la raison pour laquelle les gens admirent encore ce qu’il a créé. Cela les inspire toujours.

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Gisele Bundchen dans la campagne Versace printemps-été 2018, par Steven Meisel.
Naomi Campbell dans la campagne Versace printemps-été 2018, par Steven Meisel.
Kaia Gerber dans la campagne Versace printemps-été 2018, par Steven Meisel.
Christy Turlington dans la campagne Versace printemps-été 2018, par Steven Meisel.

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