Design

Rencontre avec l'architecte Rodolphe Parente

Après cinq années passées au côté d’Andrée Putman, le designer et architecte d’intérieur Rodolphe Parente se lance et convoque dans ses projets des atmosphères aux jeux de lumière sophistiqués et immersifs.

Portrait de Rodolphe Parente par Giulio Ghirardi.
Portrait de Rodolphe Parente par Giulio Ghirardi.

L’OFFICIEL : Qui vous a donné envie de devenir architecte ?
Rodolphe Parente : J’ai presque envie de dire… mon père. Il avait une entreprise de gros oeuvre et tous les architectes venaient
à la maison discuter de projets. Depuis l’enfance, je suis fasciné par ce dialogue entre la main et la matière, entre les architectes et les lieux.

L’O : Parlez-nous de votre parcours…
rp : J’étais programmé pour aller en école d’ingénieur ou faire des maths, mais j’ai fait un virage à 360° en intégrant les Beaux-Arts de Dijon avec de prestigieux intervenants comme Yan Pei Ming en professeur de dessin.

L’O : Vous n’avez pas été déboussolé par cet univers diamétralement opposé à celui que vous connaissiez ?
rp : Il a fallu que je me reprogramme. J’ai passé mon temps à la bibliothèque, j’ai essayé d’apprendre tout sur tout. Je pense que de ne pas avoir été élevé dans cette culture artistique au départ, a fait que, probablement, j’en ai appris davantage et plus vite.

L’O : Cela vous a permis de façonner votre propre regard puisque l’influence s’est faite à travers vos lectures.
rp : J’ai posé un regard neuf sur cet univers artistique qui me transcendait. Je me souviens des expositions au Consortium à Dijon, sur le travail de Barbara et Michael Leisgen, ou celles de Yayoi Kusama. Sublime ! Après les Beaux-Arts, j’ai intégré les Arts-Décoratifs de Strasbourg, puis je suis entré à l’ECAL à Lausanne où j’ai rencontré des artistes comme Florence Doléac des Radi Designers ou Ronan Bouroullec. C’est comme si tu rencontrais Madonna.

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Projet Saint-Germain photographié par Philippe Garcia.

L’O : Parlez-nous de votre arrivée chez Andrée Putman…
rp : J’ai eu la chance d’être en charge très rapidement de projets comme la rénovation de l’hôtel Morgans à New York. Je pense qu’avec envie de travailler l’architecture intérieure que le mobilier. Andrée a toujours dit une chose qui m’a porté, et encore aujourd’hui, “ne pas oser, c’est déjà perdre”. Quand tu as cela en toi, tout est possible. Avec elle, j’ai appris ce mélange du pauvre et du riche, et à regarder les matières différemment. Quand elle parlait, c’était du surréalisme à la André Breton. Je me souviens d’un jour où l’on devait dessiner
une collection pour Poltrona Frau et elle nous a raconté une histoire, celle d’une jeune fille qui embrassait une grenouille d’or au pied d’un arbre. C’était son point de départ, son inspiration pour dessiner cette collection. Et donc toi de cela, tu reprenais des éléments, tu essayais de comprendre, analyser pour dessiner et proposer des lignes. C’était une façon absolument inattendue de travailler. J’adorais son envie de déplacer les choses, sa façon de faire rayonner une matière, c’était très intéressant. Je me souviens également de cette conversation, elle avait 82 ans, sur la couleur des voitures dans Paris, ce faux blanc qui, selon elle, pouvait être une très belle couleur de laque pour une malle. Son oeil était ouvert en permanence.

L’O : Combien de temps êtes-vous resté à ses côtés ?
rp : Presque cinq ans et, peu avant mes 30 ans, j’ai quitté le studio pour monter le mien, en 2009. Les choses m’ont porté vers la direction artistique. J’ai aimé être confronté à des problématiques qui ne sont pas d’ordre stylistique, mais de celui de la performance, ou comment faire vivre une marque. Je continue d’ailleurs de travailler dans ce sens pour des maisons comme Cartier.

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L'appartement parisien d’un collectionneur, baptisé Concrete photographié par Olivier Amsellem.

L’O : Qui fut le premier client de votre agence ?
rp : Un homme que j’ai rencontré à un vernissage chez Andrée. Il m’a proposé de refaire son appartement. À notre premier rendez-vous, il est arrivé avec quatre images : une cellule de Le Corbusier, un chemisier d’Eileen Gray, une photo de Twin Peaks par David Lynch et celle d’un tapis damier. Et il m’a dit : je suis bouddhiste donc je veux évoquer mon rapport à la spiritualité dans mon intérieur.

L’O : Quel cahier des charges !
rp : Le plus beau pour faire un projet. Baptisé Concrete, j’ai imaginé pour ce lieu un sol rouge brillant, une colonne en laiton doré minimaliste, symbole de spiritualité, des tables de chevet qui s’ouvraient comme le chemisier de Gray et une douche dans une boîte en inox. Sophistiqué, détaillé et très soigné, j’ai réalisé un projet d’une beauté et d’une singularité rare parce que j’avais un client de confiance.

L’O : Parlez-nous de votre notion du style…
rp : Ma volonté est d’échapper à cette notion, je préfère parler de projets contextualisés et de culture de projet. Le lieu, c’est une chose, mais l’important est de comprendre ce dont mes clients ont envie : leurs usages, rituels et modes de vie. C’est très important de jouer au ping-pong avec eux pour créer des projets sur mesure.

L’O : Sans parler de style, on peut parler du sens de la couleur et de la place de l’art contemporain dans votre travail.
rp : Je comprends la couleur quand elle est architecturée et immersive. Elle provoque des formes qui changent la perception de l’espace. Pour l’art contemporain, j’ai la chance d’avoir des clients qui ont de belles collections, mais je ne suis pas Art Advisor. Quand mes clients en ont un, j’entretiens un dialogue étroit pour pouvoir mettre en place leurs pièces. Sinon, il y a ceux qui nous sollicitent pour développer leur accrochage. Il ne faut pas être snob par rapport à l’acquisition, il faut voir comment une acquisition résonne en soi. Nous donnons donc des directions sur des artistes, des galeries…

L’O : Une de vos inspirations revient-elle souvent, voire tout le temps ?
rp : Celle d’un rideau de Félix Gonzàles-Torres. J’aime ces matières très simples mais qui disent beaucoup en introduisant l’immatérialité en même temps. On retrouve également des images du travail de James Turrel et son rapport à l’espace, la couleur et la perspective. Je ne regarde pas ce que mes contemporains font, ça ne m’intéresse pas. Je suis plus intéressé par une robe de Jean Paul Gaultier brodée avec un certain dégradé, car il y a là quelque chose d’intéressant à reprendre. Je suis architecte d’intérieur, je m’intéresse au volume, à la matière, à la lumière, à des déambulations, des gestes, comment on ouvre un tiroir, comment on ferme une porte de placard, quel bruit fait cette porte. C’est cela qui m’intéresse, et que je retrouve dans les expérimentations des artistes.

L’O : Vous parliez tout à l’heure de la tradition des ensembliers, comment l’exprimez-vous à travers vos projets ?
rp : Les décorateurs ensembliers avaient tous ce rapport à l’artisanat, extrêmement poussé. Même si c’est presque commun aujourd’hui d’entendre parler des métiers d’art, on veut toujours les soutenir. J’aime passer mon temps dans les ateliers, comprendre les gestes, les objets, la matière, comment on brode où on plisse un tissu, pour transposer cela dans d’autres univers. On utilise ces savoir-faire quand ça amène quelque chose de nouveau. Je ne suis pas très sensible à ces univers trop chargés où on empile pour rassurer. La plus grosse complexité de notre métier, c’est de savoir renoncer et de le faire comprendre à nos clients.

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Intérieur d'un appartement parisien dans le quartier des Invalides photographié par Claire Israel.
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Intérieur d'un appartement dans le quartier des Invalides photographié par Claire Israel.

L’O : Quels sont vos projets en cours ?
rp : Actuellement, je travaille avec Marion Mailaender sur une salle de sport, le fameux Ken Club. Et l’année prochaine, on va livrer le mythique hôtel Le Provençal sur la presqu'île de Giens pour lequel on s’est questionné sur comment garder le charme de cet hôtel familial avec sa générosité et son style un peu désuet. On va aussi livrer un hôtel à Rome pour l’Experimental Group. Pour moi qui ai le passeport italien (son père vient des Abruzzes) et le passeport français, cet hôtel est un cadeau. Nous avons aussi un projet de résidence à Pantelleria où seront invités des écrivains, artistes, designers, géologues… Et nous travaillons également sur une maison dans les Hamptons.

L’O : Parlez-nous de votre travail de designer dont certaines de vos pièces viennent d’être acquises par le Mobilier national…
rp : J’ai en effet dessiné une dizaine de pièces, fauteuils et luminaires, avec des déclinaisons. Le mobilier a été lancé à travers des projets dès les débuts de l’agence. C’est une production qui a son existence propre. Je suis à la fois architecte d’intérieur et designer. Cet entre-deux me convient parfaitement.

L’O : Quel artiste vous a marqué cette saison à Art Basel Paris ?
rp : Mes coups de coeur vont à Jesse Darling chez Sultana et Osama Al Rayyan chez Federico Vavassori.

L’O : Pour qui aimeriez-vous imaginer une maison ?
rp : Un artiste. La plus belle que j’ai vue est celle de Bob Hope à Palm Spring.

Intérieur d'un appartement dans le quartier du Canal Saint Martin photographié par Giulio Ghirardi.
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Fauteuil Apertura photographié par Ophélie Maurus.

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