L'Officiel Art

Fondation Michelle et Antoine Riboud: “Encourager et soutenir les jeunes”

Créée en 1998 par Antoine Riboud, fondateur du groupe Danone, et Michelle Ferier, la Fondation Michelle et Antoine Riboud s’attache, via des bourses et des prix, à identifier, encourager et soutenir les jeunes qui font le choix de suivre la filière des métiers d’art. Aujourd’hui dirigée par Gilles Riboud, fils du fondateur, elle mène plusieurs actions en synergie avec l’Institut national des métiers d’art (INMA) pour soutenir l’entrée dans la vie professionnelle de ces jeunes (Prix Avenir Métiers d’Art, prêts d’honneur). L’Officiel Art a rencontré Gilles Riboud, Marie-Hélène Frémont, directrice de l’INMA et Nicolas Rizzo, directeur du développement, de l’innovation et de la communication.
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MÉCÉNAT - PHILANTHROPIE

 

L’OFFICIEL ART : Quel facteur a incité votre père, Antoine Riboud, à créer une fondation dédiée aux métiers d’art ?

GILLES RIBOUD : Au quotidien, mon père était en permanence entouré de ses enfants et des amis de ses enfants. Il a toujours éprouvé une certaine sympathie pour les jeunes et une passion pour les métiers manuels. Enfant, dans le jardin de la maison, j’ai le souvenir de mon père contemplant, fasciné, un jeune tailleur de pierres qui réalisait un mur en pierres sèches. Il a créé une fondation avec l’idée de venir en aide aux jeunes qui se dirigent vers les métiers manuels. En 2002, à la disparition de mon père, avec mes frères et sœurs, nous avons souhaité que cette histoire perdure. Et notre premier souhait a été de professionnaliser la Fondation, en l’inscrivant dans une démarche très rigoureuse. Nous nous sommes rapprochés de l’INMA, et avons commencé à financer des prix, et la logistique d’accueil à Paris de ces jeunes, principalement issus des régions, dans le cadre de l’élection des lauréats. Un membre de notre famille est systématiquement membre du jury.


MARIE-HÉLÈNE FRÉMONT : Dans la relation que nous avons tissée avec Gilles Riboud, cet aspect est à nos yeux très important. Le Prix Avenir Métiers d’Art est organisé dans chaque région sur trois niveaux d’études : du CAP au Bac + 2. Les candidats présentent leurs pièces de diplôme devant un jury de personnalités qualifiées et partenaires du secteur et sous l’œil avisé d’experts. Un 1er prix est décerné pour chaque niveau. Le soutien de la Fondation ne réside pas simplement dans la dotation, mais dans l’organisation entière de ce prix. En amont, nous informons les directions des établissements scolaires, car la spécificité de ce prix est qu’il récompense des jeunes encore en formation. Il est le seul sur ce créneau. C’est un prix très important car il intervient tout au début de la carrière des jeunes, faisant ainsi office de premier marchepied qui valorise leur parcours. Les lycées pros, les CFA (Centres de formation d’apprentis), les écoles d’arts appliqués en sont extrêmement contents. L’idée de remporter le prix crée une véritable énergie. Nos correspondants régionaux font en sorte de nous envoyer les lauréats les plus pertinents. L’émulation est issue à la fois de la direction et de l'équipe enseignante des écoles, des jeunes qui les fréquentent et de tout un écosystème en région qui se mobilise à ce moment-là. Ces prix, remis par le préfet ou par le recteur, créent un événement qui permet dans la région concernée de porter un coup de projecteur sur ces formations, ces métiers, ces jeunes. Les lauréats sont ainsi mis en valeur en Une des grands quotidiens régionaux, dans le cadre des salons locaux, etc. Ils sont ensuite invités à concourir à l’échelon national à Paris. Lors de ce séjour de deux jours dans la capitale, nous leur organisons un programme de visites de musées, notamment au Musée des Arts décoratifs (MAD), ainsi qu’au Centre de ressources de l’INMA. La veille du jury national, ils sont conviés à un dîner autour de représentants de la fondation et de l’INMA, c'est un moment de partage et d’échange très convivial.

GR : Généralement un ancien lauréat assiste aussi à ce dîner, cela rassure les candidats car ils sont plein de questionnements sur leur prise de parole du lendemain face au jury. Il est à noter qu’en dehors de la présentation de fin d’études, c’est le premier exercice de professionnalisation auquel ils sont confrontés : savoir se présenter, défendre son travail sont, bien entendu, des facteurs essentiels. C’est un galop d’essai très instructif pour eux. Au regard du temps, il semble que le profil des jeunes qui entrent dans ces métiers est en phase de changement radical. Nous n’avons plus à faire à des jeunes qui ont rejoint ces filières par défaut car en échec scolaire, aujourd’hui ils sont animés par une vraie vocation. Ainsi, on constate qu’au niveau CAP ces jeunes ont entre seize et vingt-six ans : les plus âgés étant issus de reconversions d’études scientifiques ou littéraires. Un jeune peut ainsi avoir fait un master de gestion en marketing et se découvrir une passion pour l’activité de vitrailliste... C’est un sang neuf qui irrigue et redynamise ces métiers.

MHF : Dans le cadre de ce prix, il est très émouvant d’observer comment ces jeunes, issus d’horizons et de milieux très différents, trouvent un langage commun et matière à longues discussions. Ces métiers représentent pour eux une évidence, un réel projet de vie et ils s’y épanouissent véritablement. Par ailleurs, il est à noter que ce prix est le seul qui assure une reconnaissance des diplômes métiers d’art et, ainsi, la pérennité de ces filières, ce qui est notre mission. Par la suite, nous menons une action de promotion globale notamment en exposant le travail de ces jeunes dans les Salons auxquels nous participons, ce qui, dans ce contexte professionnel, constitue pour eux une extraordinaire vitrine.

Au-delà de venir en aide aux jeunes, ces initiatives ont, plus largement, un impact sur l’avenir des métiers d’art.

NR : Elles constituent une mise en lumière indispensable pour les formations aux métiers d’art : si la France parvient à maintenir leur grande diversité, c’est parce qu’elle a la volonté de conserver ces filières qui sont relativement coûteuses pour l’Education nationale, car elles nécessitent des ateliers, de l'outillage, du matériel. Cette grande variété de métiers fait la richesse du secteur. Grâce à cette diversité, la France dispose aujourd’hui de professionnels aux savoir-faire uniques au monde. Valoriser ces filières, c’est ainsi préserver ces métiers et en assurer la pérennité et le renouvellement. Gilles Riboud et la Fondation qu’il incarne nous permettent, par leur soutien et leur présence, de maintenir cet intérêt et de développer et pérenniser cette initiative. Ainsi, nous avons mis en place un club Prix Avenir pour faire de ces jeunes des ambassadeurs de la relève des métiers d’art. Lorsqu’ils séjournent à Paris pour les jurys nationaux, nous organisons des prises de vues de la pièce qu’ils ont réalisée, ils font l’objet d’un film, d’une interview vidéo. Autant d’outils de communication diffusés sur tous les supports de l’INMA (site internet, réseaux sociaux) qui leur permettront de faire connaître leur travail. Quant à la remise des prix nationaux, elle a lieu chaque année au Ministère de l’Economie et des Finances, en présence de la ministre en charge de l’artisanat. C’est un moment très solennel et valorisant pour les jeunes lauréats qui viennent accompagnés de leurs professeurs et de leur famille.

Comment le regard des aînés s’insère-t-il dans votre approche de cette jeunesse pro-active ?

MHF :
Outre notre Jury, composé de personnalités qualifiées et de partenaires du secteur, il est également très important pour nous de faire intervenir des experts de chaque discipline (ébénisterie, ferronnerie, céramique...), qui éclairent les décisions du jury. Chacun d’eux participe bénévolement et accorde une matinée de son temps pour analyser le travail des jeunes et apporter avis, conseils et regard critique. Bénéficier de cet échange avec leurs aînés constitue une immense opportunité pour les lauréats de mieux identifier leurs forces et leurs faiblesses. En outre, cette mise en lien avec ces professionnels confirmés leur permet de s’inscrire dans un réseau, dont ils auront grand besoin pour ensuite trouver un stage de qualité. De notre côté, nous maintenons le dialogue avec ces jeunes pour les informer, les guider, favoriser les liens avec le monde professionnel. Nous fonctionnons ainsi à la manière d’un incubateur pour les aider à préparer leur projet professionnel et les encourager à présenter leur candidature à d’autres prix.

GR : C’est l’ensemble de cette dimension humaine solidaire, généreuse, réfléchie et la rigueur du travail accompli par l’INMA qui nous a confortés dans le renouvellement, année après année, de notre soutien. Nos dotations sont de 1 000 à 4 500 euros, ce qui peut sembler modeste en comparaison d’autres initiatives dans le domaine, mais on observe, via les retours de tous nos lauréats, que ces Prix sont de véritables leviers pour ces jeunes. Ils leur permettent d’amorcer de façon déterminante leur parcours professionnel.

NR : Notre expérience montre que les montants des dotations de la Fondation sont loin de paraître modestes à ces jeunes qui sont en pleine formation. Ils constituent un tremplin, leur permettant d’acquérir du matériel, de faire des voyages d’étude et de recherche… Ces Prix leur confèrent une reconnaissance de l’institution nationale référente et une incontestable image positive, notamment auprès du réseau professionnel. Il est d’ailleurs fréquent que des experts ayant participé aux jurys souhaitent par la suite embaucher ces jeunes lauréats.

MHF : A ce titre, je souhaite souligner que la Fondation n’est pas un “simple” mécène qui finance : il y a de la part des membres de la famille Riboud impliqués dans ce projet un réel et profond engagement. Nous échangeons de façon régulière et dans une grande confiance. Nous nous inscrivons ainsi dans un véritable partenariat d’autant plus enthousiasmant que la génération suivante déjà impliquée dans la Fondation entend poursuivre sur cette voie.

“ Nous sommes très attentifs à recourir à une expertise professionnelle pour la sélection des projets soutenus.”

Les actions de la Fondation sont aussi concrétisées par une initiative originale, les prêts d’honneur attribués à certains jeunes au regard d’un projet présenté. Quelle en est l’origine ?

GR : Après le premier volet de notre action dédié aux Prix, nous nous sommes interrogés sur la manière dont la dimension entrepreneuriale de la famille Riboud pouvait s’incarner à travers la Fondation. Nos réflexions nous ont mené à mettre au point ce dispositif de prêts d’honneur. Il s’adresse à toute personne porteuse d’un projet entrepreneurial dans les métiers manuels et les métiers d’art. Là aussi, nous sommes très attentifs à recourir à une expertise professionnelle pour la sélection des projets. Ils sont ainsi adressés à l’INMA qui opère une présélection ensuite présentée à un Jury auquel participe la Fondation et un troisième acteur à nos yeux très important, la Fondation EY pour les métiers manuels créée en 2008. Nos dotations varient en fonction de la teneur des projets (jusqu’à 10 000 euros par projet), et cette année, par exemple, le cru a été si enthousiasmant que nous avons distribué 40 000 euros via quatre prêts d’honneur. Une fois ces attributions faites, le rôle – primordial – de la Fondation EY, dans le cadre d’un mécénat de compétences, est de les accompagner étroitement dans la mise au point de leur business plan, la gestion, l’exploitation. Autant de paramètres à la base de la réussite de tout projet.

MHF : Ces prêts sont, bien entendu, primordiaux pour ces jeunes dans le lancement de leur projet mais également pour obtenir plus aisément des prêts bancaires : la “caution” morale de la Fondation Michelle et Antoine Riboud constituant, bien souvent, un sésame. Il est d’ailleurs à noter que tous les prêts consentis jusqu’à présent ont été remboursés.

GR: Nous avons ainsi eu le cas d’une jeune femme très talentueuse qui réalisait des textiles pour la haute haute couture avec une créativité et un savoir-faire magnifiques. Sa difficulté était qu’elle travaillait sur un métier à tisser qui opérait des bandes de tissu trop étroites. Du fait de cette contrainte, elle ne pouvait honorer un grand nombre de commandes. Avec notre prêt d’honneur, elle a pu faire l’acquisition du matériel approprié, et donc augmenter son rythme de production.

Le travail ainsi réalisé par la Fondation et l’INMA offre aux jeunes entrepreneurs des outils pour se développer. Au regard de votre dynamisme, il s’inscrit dans un maillage élaboré qui crée des passerelles de solidarité avec d’autres fondations.

MHF : Notre ambition est de partager nos outils, nos savoirs, nos réseaux avec d’autres fondations pour créer des synergies susceptibles d’être bénéfiques aux jeunes. Outre la collaboration avec la Fondation EY pour le prêt d’honneur, nous prenons part assez fréquemment aux jurys de différentes fondations, dont la Fondation de France. Nous avons également tissé des liens solides et durables avec la Fondation Bettencourt Schueller qui nous aide énormément. Elle est unique en son genre et, bien avant que les métiers d’art n’occupent plus largement le devant de la scène comme aujourd’hui, elle s’était positionnée sur un soutien en leur faveur et pour leur reconnaissance et a œuvré, à nos côtés, à la métamorphose du regard porté sur eux et à leur inscription dans la création contemporaine. A l’image de la Fondation Michelle et Antoine Riboud, elle est une pionnière dans ce secteur.

“Le Prix avenir métiers d’art est le seul qui assure une reconnaissance des diplômes de métiers d’art, ce qui permet de conserver la pérennité des filières.”

C’est une dynamique très bénéfique pour les jeunes professionnels des métiers d’art.

MHF : A chaque moment de leur parcours, selon la nature et la maturité du projet des artisans, des aides, des soutiens, des concours, des structures existent. Nous ne nous positionnons nullement sur le mode de la concurrence mais de la complémentarité. Car, tout en partageant une même chaîne de valeurs, chacun des acteurs intervient à des étapes spécifiques, et les critères propres à chaque Fondation engagée dans ce travail ressortent dans la nature de son accompagnement.
 

Au regard du travail accompli au fil des années, quelle est votre analyse du statut actuel et de l’image des métiers d’art ?

MHF :
 L’image très qualitative des métiers d’art a incontestablement hissé, plus généralement, celle des métiers manuels. Ce sont des métiers du faire, par essence, nécessitant de la technique et de la créativité, qui font aujourd’hui beaucoup appel à l’innovation. Désormais, les jeunes ont recours à tous les outils numériques qu’ils maîtrisent parfaitement, ce qui modifie nettement la donne au regard d’une plus ancienne génération, parfois désarmée face aux révolutions technologiques. Les jeunes font un excellent usage de ces outils, qu’ils ont parfaitement intégré à leur travail... S’ils ne remplacent pas la maîtrise technique, ils permettent de gagner en temps, en précision, en créativité car les artisans peuvent ainsi approfondir leurs recherches et multiplier les essais. Le dialogue des métiers d’art et du numérique renouvelle la teneur même de ces métiers et leur portée dans la société.

NR : A cet égard, les formations dispensées en France doivent être à la hauteur des nouvelles aspirations des ces jeunes. Si nous ne créons pas les conditions favorables à leur épanouissement professionnel (systèmes de formation, ressources, moyens), ils se dirigeront ailleurs. Nos néo-artisans, qui sont des artisans des générations Y et Z, parviennent à hybrider, à innover dans les modes de production et à imaginer des formes de diffusion, d’entreprises et de modèles économiques nouveaux. On observe l’émergence d’un réel mouvement nourri par de nouvelles aspirations dans les modes de travail et de création, que nous devons accompagner. Ce qu’il y a de formidable avec la Fondation Michèle et Antoine Riboud, c’est que véritablement nous partageons les mêmes valeurs, la même intelligence de travail, le même enthousiasme !


Fondation Michèle et Antoine Riboud, informations sur fondationdefrance.org
Institut national des Métiers d’Art, Viaduc des Arts, 23, avenue Daumesnil,
75012 Paris. T. +33 (0)1 55 78 85 85,
 institut-metiersdart.org

 

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