À voir : l’expo dédiée au peintre américain Rothko à la Fondation Louis Vuitton
L’exposition dédiée au peintre américain Rothko (1903-1970) à la Fondation Louis Vuitton jusqu’au 2 avril prochain nous plonge dans une remarquable expérience sensorielle, presque méditative.
Qui était Mark Rothko (1903-1970)? De quelle vie, de quels dépassements sont venues les grandes plages de couleurs en suspens qui ont fait la célébrité de ce peintre américain ? Le sait-on ? Ce n'est pas certain. Mark Rothko était, et reste, une figure énigmatique échappant aux historiens et aux critiques. Ses tableaux sont dangereux : ils sont le reflet de nos peurs, de nos âmes, de nos émotions. Face à eux, on se remémore la phrase de Nietzsche, dont il était un grand lecteur : "Si tu plonges longtemps ton regard dans l’abîme, l’abîme te regarde aussi." Pas étonnant alors, que son œuvre soit l'une des plus envoûtantes de la peinture américaine de l'après-guerre. Avec Barnett Newman, Pollock, Baziotes, Gottlieb, Arshile Gorky et d'autres, l’artiste est l'un des fondateurs de cette peinture new-yorkaise moderne, qui a été fécondée à Manhattan pendant les années 40 par les peintres expatriés européens qui fuyaient le nazisme… Né à Dvinsk (Russie) en 1903, de son vrai nom Marcus Rothkowitz, il a 10 ans quand il émigre avec ses parents aux États-Unis. Il étudie l'art et commence à peindre à sa majorité. Il a 26 ans lorsqu'il tient sa première exposition. Expressionniste comme beaucoup d'artistes venant de l'Est européen, Mark Rothko explore ensuite la veine surréaliste. Mais c'est seulement vers les années 1950 que s'affirme la vocation essentielle de sa peinture diffuse et légère, comme gonflée d’hélium : émouvoir à coups de vastes rectangles évanescents aux contours indéterminés qui semblent flotter dans des couleurs aux teintes subtiles (et aux recettes secrètes).
L’art de l’absorption
Derrière les murs de la Fondation Louis Vuitton, les cent quinze œuvres de Rothko (la plus grande rétrospective du peintre américain jamais organisée) sont réparties sur quatre niveaux, en dix salles. Celles des années 1930 et 1940, de formats encore assez réduits, sont logiquement placées dans la galerie inférieure, moins haute de plafond. Celles des deux décennies suivantes disposent des trois autres étages, dont les dimensions monumentales s’accordent aux leurs. Elles jouissent de tout le vide nécessaire et, plusieurs fois, l’une d’elles est seule sur un mur, rayonnant ainsi plus largement encore. Ici, les œuvres ne se livrent qu’à ceux qui veulent bien donner de leur temps. Dans chaque salle, les yeux doivent d’abord s’accoutumer à la pénombre avant de voir les tableaux surgir. On se sent alors comme absorbé par la couleur, au point d’avoir l’impression de voir les pigments palpiter. Lumière, hauteur d’accrochage, ordre et espace entre les œuvres… rien dans la scénographie n’est laissé au hasard. Tout ici est pensé, réfléchi pour maximiser nos sensations et émotions dès lors que l’on s’approche de la surface picturale. Aux commandes de cette magnifique exposition : Christopher Rothko, le fils de l’artiste, et l’historienne d’art et directrice artistique de la Fondation Louis Vuitton Suzanne Pagé qui, scrupuleusement, ont mis tout en œuvre pour respecter les demandes posthumes du peintre. "Il pensait qu’il valait mieux ne pas parler de son œuvre, qu’elle devait parler toute seule. Il adorait discuter de l’art, mais de celui des autres, des Italiens de la Renaissance notamment, mais pas du sien", explique Christopher Rothko pour illustrer l’ambition de son père de parler une langue universelle qui n’a pas besoin d’explications et d’élever la peinture au niveau émotionnel dont seule est capable la musique. Rothko peignait les émotions humaines fondamentales, la tragédie, la mort, l’extase comme personne. Rassemblée en grande partie à Paris, son œuvre nous met face à nous-mêmes et nous offre un envoûtement visuel. Rarement une rétrospective aura mieux servi l’œuvre d’un artiste.