Inès Longevial : "Je peins pour combler le manque d’espace"
Photographie par : Bertrand Jeannot
Stylisme par : Alizée Henot
Vous avez beaucoup voyagé depuis notre dernière rencontre, il y a deux ans...
Oui, depuis 2016, j’ai exposé pour la première fois à Los Angeles, j’ai voyagé à Berlin, à San Francisco, et j’ai beaucoup produit au Maroc. Des amis m’ont invitée dans un riad à Marrakech. Là-bas, j’ai peint mais j’ai aussi créé des objets en céramique comme des assiettes ou des vases. Je travaillais avec des artisans locaux, maîtres dans l’art de la cuisson, de l’émaillage...
Pourquoi avoir fait une infidélité à la toile pour la céramique ?
Sur la céramique, on ne travaille pas de la même manière. On peint à base de poudre sur un biscuit qui boit immédiatement la couleur. On ne peut pas retoucher. Et puis, entre la teinte que l’on pose et la cuisson, il y a un écart de résultat immense. J’aime cet effet de surprise. On ne maîtrise pas tout. Ces petits défauts, voilà ce qui rend l’objet si unique. Avec la céramique, je voudrais maintenant faire des sculptures.
La couleur vous obnubile au point que vous lui avez dédié une exposition...
Quand je suis entrée en résidence à la Chandran Gallery de San Francisco, je n’avais rien fait, rien produit, et je savais qu’un mois plus tard j’allais devoir exposer dans cet espace de 300 m2. J’ai passé la première semaine à chercher, à tâtonner. Je me suis baladée dans la ville. Mon quartier, comme tous les autres, regorgeait de couleurs. La lumière était très prenante. Je trouvais logique de travailler sur ce titre – “Je suis une couleur” – car quel est le point de départ constant de mon travail ? Toujours la couleur.
Vous avez peint beaucoup de portraits, de femmes surtout... L’abstraction vous attire, parfois ?JeviensdesArtsappliqués.D’où ce ré exe de toujours vouloir expliquer, véhiculer un message per- sonnel et sincère. A priori, je suis plus attirée par la représentation mais, parfois, quand je fais des recherches de couleurs, je passe par des gribouillis, des touches, des aplats.
Tous ces voyages ont-ils changé l’artiste et la femme que vous êtes ?
Au départ, je n’aimais pas du tout voyager. J’avais le syndrome de l’hypocondriaque en voyage et qui a toujours l’impression que quelque chose de mauvais va lui arriver. Finalement, partir, quitter ma “zone de confort” m’a beaucoup aidée à me sentir plus libre.
Dans votre géographie, le Pays basque tient une place de choix...
Je suis née dans le Sud-Ouest, mes parents ont rejoint le Pays basque un peu plus tard, mais ma famille maternelle est basque. Je trouve très belle la dualité entre la montagne, la mer. Et j’adore manger là-bas, aussi ! Du fromage, du jambon et du piment !
Vous voilà de retour à Paris, à la galerie Joseph Tournelles...
Je déteste Paris quand j’y vis mais quand je n’y suis pas, Paris me manque. C’est contradictoire. Cette ville me séduit autant qu’elle m’ennuie, avec sa couleur un peu nacrée, façon bleu jean délavé.
Quelle couleur pour votre nouvelle exposition, “Œuvres récentes” ?
Il n’y a pas de thème à proprement parler comme pour “Je suis une couleur” ou “Je pleure comme je ris”. L’exposition étant entièrement autoproduite, je ne voulais pas me restreindre.
Au sujet de la ville, je me suis toujours demandé si les peintres qui y vivaient ne souffraient pas du manque de nature...
Ah si, cruellement. J’ai grandi dans une maison à la campagne. Depuis que je peins, je peins pour combler le manque d’espace, de nature.
Et quand vous ne peignez pas ?
Je vais souvent au cinéma. Et je vois des films chez moi. J’adore Harry Potter. Les séries, aussi. Et puis Pedro Almodóvar m’inspire beaucoup : son traitement des couleurs, son sens du détail. Au-delà de ça, j’aime les thèmes qu’il traite et la manière dont il présente et représente les femmes et les hommes. Il n’y a que le cinéma pour m’abstraire de ma vie de peintre. Je viens de voir Bienvenue à Marwen, le dernier film du réalisateur Robert Zemeckis. On y retrouve l’humour, des ingrédients de génie et d’avant-garde qu’il a pu mettre dans Forrest Gump.
Vous auriez aimé vivre à une autre époque ?
Dans les années 1920, à Montmartre, du temps de Picasso – quelqu’un qui me fascine depuis l’enfance, dont j’ai décortiqué l’œuvre, la vie, la personnalité. Mais plus encore, et je ne sais pas pourquoi ça m’est sorti de la tête quand vous m’avez posé cette question, j’aime les années 1960, les couleurs, les formes, l’esprit de liberté de l’époque.
C’est quoi être peintre en 2019 ?
Nous, les artistes, sommes contraints de nous vendre. Ça fait partie du travail. Et c’est ce que les gens attendent de nous, étrangement, sur les réseaux sociaux notamment. Il nous faut jouer le jeu. Je n’ai pas de problème avec ça mais je tiens à ce que le fond prime sur la forme dans mon travail. Et je rêve que l’on en parle dans plusieurs années...