Pourquoi les TikTokers détestent-ils le streetwear ?
Appelez ça de la naïveté, ou de l'élitisme. Quoi qu'il en soit, les créateurs TikTok veillent à ce que le streetwear obtienne le respect qu'il mérite.
"Pourquoi ne pouvez-vous pas simplement aller chercher un grand sweat à capuche chez Gap ?", a déclaré l'influenceuse Audrey Peters dans un TikTok désormais supprimé. "La seule chose, et je dis bien la seule chose, que Demna a fait dans la communauté de la mode, à mes yeux, est de normaliser le fait de porter des sweat-shirts et d'appeler ça de la mode." Demna est sur la corde raide après la controverse sur la campagne publicitaire de Balenciaga. Pourtant, les commentaires qui réduisent son travail de rapprochement entre le style de la rue et la haute couture à une "paresse" généralisée ont suscité un discours majeur au sein de la communauté mode sur TikTok. Ce débat ne porte pas sur une marque ou un créateur en particulier, mais sur la signification du streetwear.
Des créateurs comme Marlee Loiben ont répondu dans la foulée aux commentaires de Audrey Peters : "Réduire le streetwear aux sweats à capuche à 900 $ reviendrait pour moi à réduire Miu Miu aux sous-vêtements à 450 $ que vous [Audrey Peters] possédez." Évidemment, le streetwear peut être cher, mais comme dans le cas de ses homologues de la mode de luxe, les prix élevées n'invalident pas le caractère artistique.
Selon Marlee Loiben, le streetwear est basé sur la communauté. Les propos de Audrey Peters invalident de nombreuses communautés, notamment "les scènes hip-hop de New York, la culture du surf-skate et du graffiti de Los Angeles, et la nightlife du Japon". Né de l'opposition aux normes sociales, le streetwear n'est pas une tendance, "c'est un phénomène culturel". Ce style vestimentaire est né comme une forme d'expression créative pour des marginaux qui n'avaient d'autre choix que d'inventer leur propre définition de la mode. Daniel Day, plus connu sous le nom de Dapper Dan, est considéré comme le premier à l'avoir fait dans les années 80 et au début des années 90.
Cette légende de la mode hip-hop remixait des articles de marque préexistants et réinventait leur iconographie dans sa boutique de la 125e rue à Harlem. Certains pourraient attribuer l'utilisation généreuse des logos de créateurs par Daniel Day à une série de contrefaçons, mais cette pratique représente bien plus. La communauté environnante de Daniel Day, composée en grande partie de personnes non-blanches, n'avait pas accès aux marques de créateurs parce qu'elle ne pouvait pas se permettre de les payer. Les contrefaçons étaient un moyen de participer à la mode de luxe sans en payer le prix élevé. Daniel Day a offert à la communauté de Harlem la possibilité de participer à sa propre interprétation de la haute couture, posant ainsi les bases du streetwear tel que nous le connaissons aujourd'hui.
Le TikTok de Marlee Loiben poursuit : "Le streetwear concerne le style personnel, ce dont la plupart des influenceurs de mode ne savent rien... Contrairement à la plupart des genres de mode, la croissance du streetwear n'a pas été poussée par les marques, plutôt par les consommateurs. "
Audrey Peters ne serait probablement pas d'accord. Elle remarque dans un autre TikTok : "Le sac Saddle de Dior est absolument hideux, soyons honnêtes. Laissez-moi savoir pourquoi je renoncerais à mon premier enfant pour l'avoir... C'est à cause de l'équipe marketing géniale de Dior. Quelqu'un d'autre se souvient-il quand ce sac a été relancé, vous ne pouviez pas faire défiler n'importe quelle plateforme de réseaux sociaux, spécifiquement Instagram, sans voir ce sac toutes les 10 secondes... Ce sac a été poussé dans ma gorge, et ça a foutrement bien marché."
Des créateurs comme The Vintage Bea ont pesé dans la balance, soulignant la relation interconnectée, plutôt que hiérarchique, entre le consommateur, le streetwear et la haute couture. Elle explique qu'en 2000, lorsque John Galliano a lancé le Saddle Bag, inspiré des années 70, il a été critiqué par le public. Dior a fini par arrêter la production le sac en 2006. Alors pourquoi Maria Grazia Chiuri, la directrice de la création de Dior, l'a réédité en 2018 ? Selon The Vintage Bea, c'est la rue qui a suscité un regain d'intérêt pour cette pièce. "Les girlies vintage et les girlies streetwear ont commencé à vraiment rechercher les Saddle Bags et ils sont devenus très populaires."
Il y a eu de nombreux cas où des marques de luxe traditionnelles se sont inspirées du streetwear, et vice versa. Ce phénomène existe depuis les années 60, mais il a été particulièrement visible lorsque l'ancien directeur de la création de Gucci, Alessandro Michele, a fait défiler une veste ressemblant étrangement à une création de Dapper Dan datant de 1989. Cette appropriation a suscité l'indignation du public et Gucci a fini par engager le designer de Harlem pour une collection capsule avec la marque en 2018. Plus récemment, nous avons vu la marque de bijoux haut de gamme Tiffany & Co s'associer à Nike pour une paire de baskets et des accessoires en argent.
Avec sa riche histoire et son influence sur la mode d'aujourd'hui, la question demeure : pourquoi les créateurs de TikTok attaquent-ils le streetwear ? Par ignorance, principalement. Le discours sur le streetwear a mis en évidence une incompréhension généralisée de la façon dont les styles naissent et évoluent, mais au-delà de cela, les connotations élitistes de l'argument anti-streetwear sont difficiles à ignorer. Il est facile pour les personnes qui ne se sont jamais senties exclues de la culture de la mode dominante de rejeter et de déprécier ce qu'elles ne comprennent pas. Malheureusement, tout le monde n'a pas ce luxe. Grâce au streetwear, la mode commence à s'éloigner du moment condescendant, mais familier, du "c'est en fait bleu céruléen" dans Le Diable s'habille en Prada. Les créateurs de TikTok n'insistent pas pour que le streetwear devienne votre truc. Tout ce qu'ils demandent, c'est un peu de compréhension de la culture streetwear et de respect pour les divers créateurs qui l'ont inventée.